Chapitre 3-1

2020 Words
CHAPITRE 3 Je bondis du canapé en jurant. — Merde Isabel, mais c’est quoi ton délire là ! Je tirai sur le col de mon pull et j’essayai de regarder ma nuque en tournant sur moi-même. Je devais être ridicule et ressembler à un chien qui tente de se mordre la queue. Isabel me contempla les yeux toujours grands ouverts, elle n’aurait pas détonné dans un aquarium au milieu de poissons rouges, puis elle pâlit et porta la main à sa bouche. — Ne me dis pas que tu n’es pas au courant Erika, souffla-t-elle, je ne vois pas comment un tatouage a pu arriver jusque-là sans que tu en sois à l’origine ! Je me laissai retomber sur le sofa et rassemblai mes cheveux sur le côté, les mains tremblantes. — Je te promets que je ne me suis pas fait tatouer ! Mais enfin, tu me connais, j’ai peur des aiguilles et la moindre goutte de sang me donne envie de vomir ! Comment crois-tu que j’aurais surmonté tout ça juste pour me faire charcuter ? Elle sembla réfléchir au problème, puis se leva et se dirigea vers la salle de bains. Elle revint quelques secondes plus tard, munie de deux petits miroirs. Elle m’en tendit un. — Tiens, regarde par toi-même. J’attrapai le miroir et contemplai mon reflet pendant qu’elle plaçait l’autre à quelques centimètres de ma nuque. Après plusieurs ajustements, je pus avoir une vision suffisamment nette de la griffure-tatouage qui ornait mon cou. La plaie avait l’air assez étendue. Elle commençait à la racine des cheveux, et descendait pratiquement jusqu’entre mes omoplates. C’était rouge, gonflé, et on devinait des traits noirs par endroits. Isabel reprit la parole, me faisant sursauter. — Laisse-moi te dire que c’est du sale boulot. Je ne sais pas qui t’a fait ça, mais tu devrais aller voir un autre tatoueur pour le terminer. Et il faudrait aussi désinfecter, j’ai peur que tu ne chopes une saloperie ! Je laissai retomber ma main qui tenait le miroir et me tournai vers elle en me grattant. — J’ai déjà désinfecté ce matin, mais c’est vrai que ce n’est pas beau. Et ça ne ressemble en rien à un tatouage Isabel, il faut vraiment que tu te fasses soigner ! Ça ressemble surtout à une griffure qui est en train de s’infecter. Je fusillai Pitô du regard et repris en me levant. — Il y a du truc qui pique dans la salle de bains, et en fouillant il doit bien y avoir aussi de la crème cicatrisante. Je partis en direction de la salle de bains en traînant les pieds, j’étais encore sur le point de souffrir : je détestais royalement souffrir. Je trouvai immédiatement le désinfectant, il était encore dans le lavabo où je l’avais laissé tomber le matin même, après qu’il eut essayé de m’assassiner, mais il me fallut un peu plus longtemps pour dégoter la crème cicatrisante. Je finis par mettre la main dessus, tout au fond du placard, bien cachée au-dessous d’un épilateur que j’étais persuadée d’avoir perdu et que j’avais fini par remplacer le mois précédent en désespoir de cause. Je rejoignis Isabel, armée du désinfectant, de la crème et de l’épilateur. Je lui tendis ce dernier. — Je viens de retrouver ça au fond d’un de mes placards. J’ai acheté son frère jumeau le mois dernier, donc si ça t’intéresse. Elle me regarda, offusquée. — Tu me prends vraiment pour ta poubelle Erika, ça va finir par devenir vexant ! Puis elle haussa les épaules, saisit l’épilateur puis le rangea dans son sac. Je souris discrètement. À chaque fois que je lui donnais quelque chose, elle râlait pour la forme, mais ne refusait jamais. Je me rassis à ses côtés et lui présentai mon cou. Elle attrapa le désinfectant et, sans crier gare, m’en aspergea la nuque. Je poussai un petit cri, bien caractéristique des filles, puis me mordis la langue pour ne pas me ridiculiser davantage. Elle souffla dessus pour le faire sécher plus vite, puis appliqua la crème. — C’est quand même bizarre cette histoire. Au toucher ça ressemble à un tatouage, on sent bien les lignes, mais sur la plupart d’entre elles, il n’y a pas de couleur. Je me retournai et la tuai du regard. — Peut-être parce que ce n’en est pas un ! Je ne sais pas trop en quelle langue te le dire, je pourrais essayer en chinois si ça pouvait te permettre de me croire, Je Ne Me Suis Pas Fait Tatouer ! C’est juste une p****n de griffure, faite par mon scrogneugneu de chat, et encore, c’est pour être polie ! Elle me fixa plusieurs secondes, semblant se demander si elle devait me croire ou pas. Puis elle rendit les armes. — D’accord, mais si c’est juste une griffure, c’est plutôt inquiétant. Tu es certaine que tu ne ferais pas mieux d’aller voir un médecin ? — Oh, c’est sûr que ce serait moins inquiétant de me retrouver avec un tatouage que je ne me suis pas fait faire ! — Bah, en fait je t’ai déjà vue dans des états où tu serais capable de te faire recouvrir le corps d’encre et ne pas t’en rappeler ensuite ! Je haussai les sourcils. — Pourquoi… tu t’en rappellerais toi ? Non parce que, sauf erreur de ma part, j’aurais très bien pu faire ça le week-end dernier et ni toi, ni moi, ne nous en rappellerions ! Elle pinça les lèvres. J’exécutai la danse de la victoire intérieurement. Non, mais oh ! Ça suffit oui ! — Tu n’as pas l’impression d’exagérer un peu, Erika ? reprit-elle. — Oh si, excuse-moi. C’est vrai que nous ne nous sommes pas réveillées à six heures du matin à un arrêt de bus que nous ne connaissions même pas, et NON, à la question « mais comment on est arrivées là ?», « en soucoupe volante il me semble » n’était pas la bonne réponse ! Elle rougit jusqu’à la pointe des cheveux, oui oui, jusqu’à la pointe et non pas racine, c’était d’ailleurs très jouissif à regarder, puis finit par éclater de rire. — Oui, mais qu’est-ce qu’on s’est marrées ! Je haussai les épaules. — Je ne sais pas, je ne m’en rappelle pas. Ce fut le coup de grâce. Nous partîmes toutes les deux d’un fou rire qui dura plusieurs minutes. Lorsque nous eûmes réussi à reprendre notre sérieux, elle tenta de m’achever. — Non, mais sérieusement, tu n’as pas l’impression d’abuser un peu le week-end parfois ? — Quoi ? T’es sérieuse ? Attends, je ne bois que lorsque je ne travaille pas, oh attends une minute… comme toi en fait ! — C’est bon, on a vingt-deux ans ! Nous avons bien le temps de nous calmer ! Mais si c’est vraiment ce que tu veux, on peut rester là ce soir ! Hop, débrouille-toi avec ça ma vieille. Elle secoua vigoureusement la tête. — Non non ! J’ai promis que nous irions à la fête ! Et puis ensuite, ce sont les vacances, non ? Il n’y a normalement plus rien de prévu avant le mois de février. Ça nous fera un break. Je riais intérieurement, je savais pertinemment qu’Isabel était incapable de rater une grosse fête, mais elle avait trop d’amour propre pour l’avouer directement. — Très bien, alors préparons-nous au lieu de vouloir changer les choses. Je me levai, mais elle me retint par le bras. — Ton truc dans le cou, tu crois que tu as pu le faire le week-end dernier ? Je lui souris et lui tapotai la tête. — Ahhh, j’adore quand tu flippes ! Mais non idiote ! Je n’ai mal que depuis ce matin et je travaillais hier soir. Donc à moins que l’on m’ait droguée pendant mon sommeil, la seule et la plus cohérente des réponses est, comme je le dis depuis plus d’une heure, qu’il s’agit de la griffure de Monsieur le Chat Pitô ! En disant cela, j’eus le flash de la vieille dame de mon rêve me posant la main sur la nuque, et de la douleur que j’avais ressentie à ce moment-là. Mais il s’agissait tout bonnement d’une coïncidence. Ou alors d’une modification du rêve au moment où Pitô avait planté ses griffes dans mon cou. Je secouai la tête et me dirigeai vers ma chambre. Il fallait encore que je trouve une tenue pour la soirée. Isabel m’emboîta le pas. Comme à son habitude, elle allait piocher dans ma garde-robe. Je ne savais pas comment elle aurait fait si j’avais été plus enrobée. Elle aurait été obligée de s’acheter des fringues ! Après plus d’une heure de bataille, nous étions toutes les deux habillées. Moi en jeans slim taille basse bleu délavé et pull moulant noir, elle en micro-robe en laine rouge et leggings noirs. Les négociations avaient été dures. Allez savoir pourquoi, mais deux filles devant une garde-robe limitée, c’est comme enfermer des enfants dans une salle pleine de légumes dans laquelle vous avez caché quelques bonbons. Vous n’êtes pas certain qu’ils en ressortiront tous vivants ! Nous passâmes à la salle de bains pour nous repoudrer le nez, euphémisme féminin pour dire que nous sortions les pelles et les truelles pour nous refaire le portrait, et après une nouvelle séance de torture à base de désinfectant et de crème cicatrisante, nous étions fin prêtes. J’étais en train d’admirer Isabel défiler tel un mannequin au milieu de mon salon, quand mon portable sonna. Je le cherchai au milieu des coussins du canapé, tout en jurant sur l’impolitesse qu’avaient ces fichus appareils d’aller se planquer dès qu’on avait besoin d’eux, et lorsque je le dégotai, je grognai. — Warren ! Cela stoppa net la mannequin en herbe, qui se tourna vers moi, mi-amusée, mi-interrogative. — Et tu ne réponds pas ? Je la fusillai du regard. — Certainement pas ! Et d’ailleurs, comment a-t-il eu mon numéro ? Elle me tourna précipitamment le dos. — Isabel ! Elle fit demi-tour en se tordant les mains. — Je n’ai pas fait exprès… je savais qu’il y avait un truc de pas net… — Allez ! Crache le morceau plus vite que ça ! — Ce matin quand je l’ai vu, il m’a demandé s’il pouvait prendre mon portable pour appeler un pote. Comme j’étais en train de discuter de la soirée avec un des étudiants, je n’ai pas fait attention, et j’ai réagi quand je me suis aperçue qu’il avait le sien et qu’il recopiait un numéro ! — Tu n’as pas enregistré mon numéro à : La Chieuse ? — Si, mais comme il n’y a pas de Erika dans mon répertoire, il a dû faire le rapprochement. — Je te remercie ! Elle leva les yeux au ciel. — Rhooo, mais t’es chiante sérieusement ! — Oui voilà, c’est bien ce que je dis ! Elle me tira la langue. — Et qu’est-ce que c’est puéril de me piquer mes répliques ! Elle n’eut pas le loisir de me répondre, car son portable se mit à sonner à son tour. Elle le pêcha au fond de son sac, regarda l’écran et me le montra : Warren ! Elle m’interrogea du regard, je secouai la tête. Elle bascula l’appel sur la messagerie vocale. Dans des moments comme celui-là, je bénis la messagerie vocale. Elle jeta son téléphone dans son sac et se tourna vers moi. — Tu vois, heureusement que j’ai insisté pour te donner son numéro, autrement tu aurais répondu et t’aurais pas eu l’air conne, tiens ! Je lui tirai la langue à mon tour. — Quand tu auras fini de t’envoyer des fleurs et de faire la belle dans mon salon, on pourra peut-être y aller ! Elle attrapa son manteau et son sac et je l’imitai. — Tu veux que nous nous arrêtions pour manger un truc avant ? Elle acquiesça. — Oui, j’ai bien envie d’un tacos ! Je ris en ouvrant la porte. — Tu sais qu’un jour tu ne rentreras plus dans tes jeans si tu continues comme ça ! Elle leva les yeux au ciel et me donna une tape sur les fesses. — Hummm, mais qu’est-ce que je sens-là ??? Tu n’aurais pas grossi ? Je lui montrai les dents, tel un chien enragé. Il y a des choses avec lesquelles je refusais de plaisanter. Elle s’esclaffa et passa son bras sous le mien pour m’entraîner dans le couloir de l’immeuble. — C’est bon, Erika, ne t’inquiète pas, tu es encore carrément potable ! — Oh !! Je vous remercie bien Madame la reine des garces ! Vous m’en voyez ravie ! Dans cette ambiance joyeusement ironique, nous quittâmes la chaleur de mon immeuble pour affronter le froid mordant de l’hiver. Une demi-heure plus tard, nous étions attablées dans notre resto de tacos préféré. Le Vincenzo Tacos. Il était tenu par Manou, une grosse Mama noire, adorable, mais qui jurait définitivement avec le style du restaurant. Ses mets étaient succulents. Nous venions tellement souvent qu’elle nous appelait par nos prénoms, nous faisait la bise et n’avait plus besoin de nous demander ce que nous voulions (soja spécial végétarien pour moi, et à la viande cent pour cent morte pour Isabel). J’enfournai une poignée de frites bien grasses et la fis descendre avec un peu de coca zéro (oui je fais attention à ma ligne moi !), tout en regardant Isabel se débattre avec son tacos et essayer de le manger sans en mettre partout. Ces trucs étaient de vrais pièges. J’étais persuadée en mon for intérieur que tous les vendeurs de restauration rapide avaient des parts dans l’industrie de la lessive ou du détachant. — Mmm ch’ai...bwom, ma ché chow ! Je fixai Isabel, imperturbable. Cette fille n’avait jamais appris les bonnes manières, en tout cas pas celles de la bienséance à table. Elle finit par avaler sa bouchée et reprit.
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