Chapitre 3-2

2397 Words
— Hum ! c’est bon, mais c’est chaud ! — Oui, c’est bien ce qu’il me semblait avoir compris, mais j’ai eu un peu de mal, la prochaine fois essaie avec un peu plus de nourriture dans la bouche. Elle haussa les épaules. — Ça va, on est entre nous ! Ce n’est pas comme si nous dînions avec la Reine d’Angleterre ! — Ah, je te le confirme ! Il n’y a que moi pour assister au spectacle ! Et je trouve ça magnifique ! Comment tu fais quand un mec t’invite à dîner ? Elle me sourit. Je découvris avec bonheur qu’elle avait un morceau de salade coincé entre les dents. Je décidai de ne rien lui dire et pris mon air le plus innocent. — Question idiote ma poule. Quand je sors avec un mec, je le laisse parler ! Déjà parce que ça me permet de manger tranquillement, et en plus parce que ça lui donne l’impression d’être important ! me répondit-elle triomphante. — Un point pour toi ! J’espère tout de même que tu as conscience que tu manges comme un porc ? Elle me sourit à nouveau. Le morceau de salade illumina un peu plus mon humeur. Je n’allais pas pouvoir garder mon sérieux bien longtemps. — Non, mais je ne mange comme ça que lorsque je suis avec toi ! Ne t’inquiète pas, je sais me conduire en société autrement. Oh bah, son morceau de salade, elle risquait de le garder un moment si elle continuait à être aussi agréable ! Je me grattai vigoureusement la nuque pour ce qui me semblait être la cinquantième fois en une heure. Isabel reposa son tacos et me fixa, inquiète. — Tu es sûre que ça va ? Tu n’arrêtes pas de te triturer. Tu as mal ? — Non, je n’ai pas vraiment mal, mais j’ai l’impression que ça me brûle maintenant. Pas vraiment fort, mais suffisamment pour que ce soit désagréable. Elle rapprocha sa chaise de moi puis tira sur le haut de mon pull. — On dirait que c’est moins rouge et moins gonflé. La crème cicatrisante a dû faire effet. Mais j’ai l’impression de voir encore plus de lignes noires que tout à l’heure. Je ne sais pas, c’est étrange, il me semble que ça forme un dessin. Je m’extirpai de sa main, et relevai mon col. — Arrête d’halluciner, Isabel. Il va falloir que je dise à Manou de ne plus mettre de drogue dans tes tacos, sérieusement ! Elle se cala au fond de son siège et prit un air sérieux. Il était d’ailleurs bien mis à mal quand je pensais à la feuille verte qui lui décorait subtilement la bouche. — Je suis plus que sérieuse, Erika, ce truc est vraiment bizarre. Moi, à ta place, je flipperais ! Je haussai les épaules. — Moi j’applique la politique de l’autruche, tout ce que je ne vois pas, n’existe pas. Et comme je ne suis pas près de voir ma nuque, le problème est réglé. Elle secoua la tête. — Fais comme tu veux, mais ne viens pas te plaindre dans quelques jours si ça empire. Je lui attrapai la main. — Ne t’inquiète pas ma belle, si demain ça ne s’est pas amélioré, j’irai voir le médecin avant d’aller bosser. Elle approuva du menton et sortit son téléphone de son sac. Mince, j’avais oublié cette manie qu’elle avait de se regarder sous toutes les coutures avant de partir à une fête. Elle l’alluma et passa en mode photo pour être certaine qu’elle était présentable. Bingo, elle termina par un examen des dents ! — Merde Erika ! Tu aurais pu me dire que j’avais un morceau de salade collé sur les incisives. Je battis innocemment des paupières. — Ah bon ? Je n’avais pas vu ! Elle me fusilla du regard. Un jour, elle finirait par vraiment me tuer à force de me regarder comme ça ! — Rhoo allez, c’était pour rire. Juste pour voir la reine tomber de son piédestal une fois de temps en temps ! Elle leva les yeux au ciel. — Tu sais pertinemment que je me moque pas mal d’être considérée comme la reine, par contre avoir l’air ridicule, ça oui, ça risque de me mettre en rogne. Je lui fis mon regard de chien battu, ça fonctionnait à tous les coups. — Bon d’accord, promis je ne recommencerai plus ! Elle se détendit et me fit même un petit sourire. Un petit sourire que je trouvai tout de suite louche. Ce qu’elle me confirma dans la foulée. — Bon, je vais te dire que tu as un morceau de tomate coincé entre les dents alors. Je fermai instinctivement la bouche, et attrapai mon téléphone dans la poche de mon jeans. La g***e, elle n’avait pas menti ! — Ah ben c’est agréable de pouvoir compter sur ses amis ! dis-je une fois le rocher rouge (oui oui il était gros comme ça !) retiré d’entre ma canine et ma prémolaire. — Tu peux parler toi ! Non, mais franchement… Elle laissa sa phrase en suspens, me regardant droit dans les yeux. Puis d’un même ensemble nous éclatâmes de rire. Les gens installés autour de nous commencèrent à se retourner, à nous regarder, ce qui fit redoubler notre hilarité. J’avais les larmes aux yeux et une barre au ventre. Isabel était rouge comme un poivron trop mûr prêt à éclater et elle avait du mal à respirer. C’est exactement pour ces moments-là que nous étions amies. Rien ne pouvait nous séparer, nous nous comprenions et nous ne nous voulions pas vraiment de mal. Nous avions juste un humour pourri, un poil différent, mais tout aussi nul. Une fois que nous eûmes retrouvé notre sérieux, nous saluâmes Manou puis nous quittâmes le restaurant bras dessus, bras dessous. Le repas nous avait réchauffées, le trajet à pied jusqu’au campus fut agréable. Les rues étaient encore animées, la neige recouvrait une grande partie des artères et des parcs. Les illuminations de Noël scintillaient au-dessus de nos têtes. L’ambiance des fêtes était là, présente, presque palpable, et mon cœur se gonflait de joie au fil des minutes qui s’écoulaient. À mes côtés, Isabel, pour une fois silencieuse, avait les yeux qui brillaient comme un enfant devant ses cadeaux le matin du vingt-cinq décembre, ses joues et son nez rougis par le froid ajoutant au charme du tableau. Nous arrivâmes sur le campus, le cœur rempli d’allégresse, motivées à passer une bonne soirée. Il était plongé dans la pénombre, seulement éclairé par les lampadaires placés à intervalles réguliers, le long des allées. Nous nous dirigeâmes vers l’Entre-Act’. Plus nous nous en approchions, plus les abords étaient peuplés. Malgré le froid, des b****s de jeunes traînaient dehors. Je resserrai mon manteau autour de moi. Je n’aimais pas vraiment marcher comme ça, en pleine nuit, dans un lieu mal éclairé, entourée de personnes que je distinguais à peine. Il y avait eu des agressions sur le campus, elles étaient d’ailleurs en augmentation depuis le début de l’année, ce qui ne me rassurait pas. Je fus contente de voir apparaître la salle quelques minutes plus tard et je sentis Isabel se détendre également. Nous n’avions pas échangé un mot depuis que nous étions entrées dans le parc de la fac. Alors que nous étions encore à plusieurs mètres, nous entendîmes les basses typiques de la musique électronique résonner dans la nuit. Heureusement que l’Entre-Act’ était planté en plein milieu du campus, loin de toute habitation, parce que parfois le volume de la musique pourrait réveiller les morts. Et je pense sincèrement que « World War Z à la faculté », n’est pas le premier film dans lequel j’aurais envie de tourner ! Dès que nous passâmes la porte, Isabel poussa un cri de joie et commença à se déhancher en partant à l’assaut de la première salle. Je la suivis en souriant. Je n’aimais vraiment pas la musique électro, j’étais plus branchée pop-rock, mais pour faire la fête, c’est vrai que c’était appréciable. La pièce, pourtant immense, était bondée. Il régnait dans l’air un mélange d’odeurs hétéroclites. L’alcool dominant toutes les autres. Je distinguais tout de même la transpiration et autre chose que je ressentais à chaque fête, que je ne saurais décrire, qui ne ressemblait à rien d’autre. J’étais persuadée que c’était l’odeur des hormones en ébullition de la centaine de post-adolescents qui s’en donnait à cœur joie sur la piste. J’attrapai Isabel par le bras avant qu’elle ne disparaisse dans la foule et lui fis signe que j’allais chercher à boire. Elle opina du chef et m’emboîta le bras. Il faut savoir qu’officiellement l’alcool est interdit sur le campus, vous n’en trouverez donc pas au bar de l’Entre-Act’. Par contre lorsque vous savez où chercher, vous ne mettez pas longtemps à trouver tout ce que vous voulez. Cinq minutes plus tard, nous étions donc toutes les deux munies de nos premières boissons de la soirée. Je supposais que ce ne serait pas les dernières. Nous fîmes claquer nos verres sur le comptoir placé devant nous, avant de les descendre cul sec. L’acidité du citron qui suivit m’arracha une grimace et me fit sourire. La chaleur de la téquila se répandit dans mon estomac, la musique me sembla tout de suite un poil plus forte. Isabel m’attrapa par la main pour m’entraîner dans la foule. Nous nous déhanchâmes pendant plusieurs heures, en nous hydratant régulièrement d’alcool transparent, pour compenser les l****s d’eau perdus. Il n’aurait pas fallu se déshydrater ! Trop dangereux pour la santé ! Nous étions consciencieuses. Ma nuque me brûlait de plus en plus au fil des heures, ou au fil des verres, je ne sais pas trop, mais l’avantage c’est que je n’y faisais plus vraiment attention. La musique faisait trembler tous mes os, et j’adorais ça. Isabel et moi nous démenions sur la piste, comme nous ne l’avions pas fait depuis longtemps. C’était certainement la meilleure fête depuis le début de l’année. La fac de médecine avait encore réussi à marquer le coup, nous parlerions de cet évènement pendant longtemps. Vers trois heures du matin, alors que nous prenions un bol d’air à l’extérieur, le pire se produisit : Warren se matérialisa devant moi. Du sang de hyène devait couler dans ses veines pour qu’il soit si discret. — Erika, je t’ai cherchée toute la nuit, dit-il en m’embrassant sur la joue. Je le fixai, l’œil certainement très vif et alerte, et me rendis compte qu’il attendait une réponse. — Oh ! Heu ben tu m’as trouvée ! Ça, c’était de la répartie. Isabel se mit à glousser comme une collégienne, ce qui fit naître un sourire sur mes lèvres rapidement suivi par un rire incontrôlable. Warren me dévisagea sérieusement et ajouta : — Je t’ai appelée tout à l’heure, tu ne m’as pas répondu, je voulais savoir si tu venais ce soir. Je réussis à reprendre suffisamment d’air pour lui répondre. — Et bien comme tu peux le voir, je suis là. Isabel éclata de rire, et je l’accompagnai. Qui a dit que l’alcool rendait bête ? Non non, nous étions en train de prouver que l’alcool rendait drôle ! Nous étions pliées lamentablement en deux, la gorge en feu, des larmes coulant sur nos joues, entraînant avec elles la moitié de notre maquillage, mais nous n’y pouvions plus rien. Les vannes étaient ouvertes, le barrage avait cédé, nous étions perdues ! Warren fit un pas dans ma direction, je reculai spontanément. Voilà qu’il venait de trouver comment colmater la brèche. Je me cognai contre le mur derrière moi et poussai un cri. La brûlure dans ma nuque explosa. Je me retrouvai de nouveau pliée en deux, non plus de rire, mais de douleur. Ce fut aussi la douche froide pour Isabel qui se précipita sur moi. — Erika ! Ça ne va pas ? Je cherchai à ouvrir la bouche pour lui répondre, mais un haut-le-cœur m’en empêcha, je me contentai donc de secouer la tête. La douleur irradiait dans tout mon dos. J’avais l’impression qu’elle me rongeait la colonne vertébrale de l’intérieur. Warren s’approcha à nouveau et s’adressa à Isabel. — Tu veux que je vous ramène ? Elle se pencha pour m’interroger du regard. Lorsque j’acquiesçai, je vis une étincelle d’inquiétude embraser ses prunelles. Elle n’avait pas tort. Pour que j’accepte que Warren nous raccompagne et qu’il découvre où j’habitais, c’est que j’étais vraiment mal en point. Elle m’aida à rejoindre la voiture et m’installa à l’arrière. Puis elle s’assit à côté de lui, avant de lui donner mon adresse. Elle m’avait allongée, je m’étais recroquevillée en position fœtale. Elle se tourna vers moi pour m’observer. — Tu veux que j’appelle un médecin ? Je secouai la tête et je réussis à articuler. — Non… je prendrai un médoc pour la douleur en rentrant. Les larmes me brûlaient les yeux, mon eyeliner ne devait pas arranger les choses. Comme à son habitude, Isabel sembla deviner ce qui m’arrivait, elle sortit une lingette démaquillante de son sac puis entreprit de me débarbouiller. Je la remerciai d’une pression de la joue sur sa main, elle me caressa les cheveux. Elle avait complètement dessoûlé et semblait très inquiète. Le reste du trajet se passa en silence, j’étais concentrée à ne pas crier à chaque cahot de la voiture. Lorsque Warren s’arrêta en bas de chez moi, Isabel m’aida à m’extirper du véhicule. Elle voulut me raccompagner jusqu’à la porte, mais je lui fis signe que je pouvais y arriver toute seule. Elle secoua la tête. — Tu ne crois tout de même pas que je vais te laisser seule cette nuit ! Je me redressai pour paraître plus crédible avant de lui répondre. — Ça va aller, Isabel, je vais même déjà mieux. Je m’aperçus au moment où je lâchai ces mots que ce n’était pas vraiment un mensonge. La douleur était en train de refluer. Elle me regarda longuement avant de reprendre la parole. — C’est vrai que tu as repris des couleurs, mais je m’inquiète quand même beaucoup. Tu ne veux pas que je jette un dernier coup d’œil à ton cou ? Je me tournai vers la voiture pour lui montrer Warren du menton. — Il sait déjà où j’habite, si je pouvais éviter de lui donner d’autres informations à mon sujet ça m’arrangerait. Elle m’attrapa la main. — Bon, alors laisse-moi dormir chez toi ce soir. Je pourrais surveiller que tout va bien, franchement, ce serait plus sage ! Je secouai la tête à mon tour. — Isabel, tu sais à quel point ta mère est inquiète quand tu découches sans la prévenir. Rentre chez toi, je t’appelle demain dès que je me lève. Elle me serra contre elle et se recula pour me regarder dans les yeux. — D’accord, mais promets-moi d’appeler si la douleur revient. Je garderai mon téléphone allumé et je piquerai la bagnole de mon père si besoin. À mon tour, je la serrai sur mon cœur. — C’est promis. File maintenant. Je te promets que ça va aller ! Elle m’embrassa sur la joue puis se réinstalla dans la voiture. Elle me fit un petit signe de la main, enfin Warren démarra. Lorsque je fus certaine qu’elle était trop loin pour me voir, je m’avachis sur moi-même avant de me diriger vers mon immeuble. Je n’avais pas vraiment menti à Isabel. J’allais mieux, même beaucoup mieux, mais la douleur était toujours là, et bien plus forte que dans la journée. Je pris appui contre la porte d’entrée, me concentrant pour faire entrer la clef dans la serrure : je n’avais pas totalement dessoûlé finalement. À ce moment-là une voix retentit dans mon dos, me faisant lâcher mes clefs et pousser un cri. — La marque est en train de sortir, n’est-ce pas ? Je peux déjà la sentir sur toi ! Est-ce que tu souffres énormément ? Je me retournai au ralenti et découvris, comme je l’aurais parié, Monsieur Robocop voix envoûtante, en tee-shirt, encore plus beau que dans mes souvenirs.
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