DWEEN
Je tentais de suivre tant bien que mal le cours, bien que mon attention fût régulièrement détournée par la présence captivante de Halia. Je me surprenais à la dévisager à plusieurs reprises, m'efforçant de rester discret pour ne pas attirer son attention. Le cours s'acheva finalement, à mon grand soulagement, car, quelques minutes de plus, et je peux vous assurer que mon carnet de notes serait resté désespérément vierge.
À la sortie, ma charmante et douce belle-mère m'attendait déjà. Son sourire radieux à ma vue trahissait sans doute son impatience de m'entendre raconter les péripéties de ma première journée. Lyana n'arrêtait pas de me bombarder de questions tout au long du trajet. Ce n'était pas contre elle, mais je n'avais aucune envie de lui raconter l'épisode de la cafétéria avec cette b***e de jeunes imbéciles, débordants d'hormones. Encore moins de lui parler de Halia. Je savais que, la connaissant, elle ne cesserait de me taquiner à ce sujet pendant des jours, voire des semaines. Alors, je gardais le silence en évitant ses nombreuses questions.
Comme à son habitude, ma mère nous avait préparé de délicieux petits plats. Pourtant, un détail attira mon attention : un dessert supplémentaire trônait sur la table, soigneusement confectionné de ses mains pour une raison qui m'échappait. Intrigué, je n'ai pas hésité à l'interroger.
— Et ce petit four, c'est pour qui ? Pourquoi nous n'y avons pas droit ?
— Je vous interdis de toucher à cette belle tarte, répliqua-t-elle en souriant. Elle est pour une adorable mamie qui vient d'emménager non loin d'ici.
— "Ils" viennent d'aménager ? répétai-je.
— Oui, elle est venue avec sa nièce et son neveu.
— Tu pourrais simplement leur souhaiter la bienvenue, mais pourquoi tant d'efforts ?
— Cette mamie est vraiment charmante et d'excellente compagnie.
— À ce point-là, tu t'ennuies ? Jusqu'à sympathiser avec des vieilles mamies ?
Mon père et moi éclatâmes de rire sans vraiment le vouloir, ce qui attira sur nous le regard foudroyant de Lyana.
— Occupez-vous de vos affaires ! répliqua-t-elle, visiblement vexée. Et pour tout vous dire, je préfère la compagnie de cette dame à la vôtre. Elle, au moins, ne me juge pas. D'ailleurs, ajouta-t-elle en se tournant vers mon père, je la reçois ici demain, avant ton départ.
— Désolé... murmura-t-il.
— Et tu n'as pas tort, nous sommes effectivement de très mauvaise compagnie, renchéris-je avec un ton volontairement ironique.
Elle leva les yeux au ciel face à mon air amusé.
— Au moins, ça te détourne de ces mamans hypocrites du quartier.
— Tu l'as dit. Bon, je vais vous laisser, je dois me préparer. Le dessert se mange après le déjeuner, vous savez !
— Tu nous abandonnes vraiment pour une mamie à chat, chérie ? plaisanta mon père.
— Papa, ne commence pas...
— Mais tu l'as bien cherché toi aussi, non ? dit-il en souriant.
— Eh bien, je crois que vous vous passerez de moi pour le dîner aussi, répliqua-t-elle, faussement fâchée.
— Quoi ? Alors Dween a le droit de te taquiner et pas moi ?
— Lui, au moins, connaît mes limites. À ce soir, messieurs.
19h
Lyana avait passé une après-midi mémorable en compagnie de cette grand-mère inconnue, pleine de tendresse et de sagesse. Quant à mon père et moi, nous avons enfin pris le temps de discuter. Il me questionnait sur ce que j'avais fait il y a un mois, le jour de mon anniversaire. Cela faisait longtemps que nous n'avions pas partagé un moment aussi long et simple, ses voyages nous ayant souvent éloignés.
Je me rappelle clairement cette soirée d'anniversaire. Lyana et moi étions allées à la plage. Sous la lueur des étoiles, nous avons allumé un petit feu et partagé des souvenirs, riant et se remémorant des moments passés. Puis, une étoile filante a traversé le ciel. Sans hésiter, j'ai formulé un vœu : celui de vivre pleinement, de surmonter cette maladie qui me ronge en silence. Ce serait un soulagement immense.
— Il commence à se faire tard, tu devrais aller te coucher, tu as cours demain, non ? me dit mon père, me tirant de mes pensées.
— Oui, tu as raison. Faudrait pas que ta femme me gronde parce que j'aurais été en retard, plaisanté-je.
— En effet, ne la tente pas, ses hormones sont en ébullition ces temps-ci, dit-il en riant doucement.
— Bonne nuit, papa.
Je monte dans ma chambre, située au rez-de-chaussée. J'ôte mes vêtements, puis je me dirige vers la salle de bain pour une douche bien chaude. C'est un rituel apaisant avant de me coucher. Une fois propre et détendue, je m'installe près de la fenêtre, un livre à la main. Lire m'offre une évasion bienvenue, une plongée dans un univers où tout semble possible. Les pages m'absorbent, me transportant dans un monde où l'on ressent des émotions intenses, parfois même plus réelles que celles de la vie quotidienne. J'aime cette sensation d'empathie, où l'on vibre avec des personnages qui, pourtant, n'existent que dans l'imagination.
Sans même m'en rendre compte, le sommeil m'emporte doucement. Une nouvelle journée m'attend demain, mais je n'ai aucune envie de croiser cette b***e d'imbéciles qui peuplent mon quotidien.
Le lendemain matin, nous étions en route pour l'université lorsque Lyana décide de se garer à deux rues de chez nous. Perplexe, je me tourne vers elle pour comprendre.
— Pourquoi tu te stationnes ici ? On est en retard, m'étonnai-je.
Lyana m'ignore, descend de la voiture et se dirige vers une maison où elle frappe à la porte. Intrigué, je reste là, à attendre, me demandant ce qu'elle peut bien mijoter. Quinze longues minutes passent avant qu'elle ne revienne enfin.
— Qu'est-ce que tu faisais là ? On peut y aller maintenant ? J'aimerais vraiment pas rater mon premier cours, insistai-je.
— Si t'es si pressé, tu devrais envisager de t'acheter une voiture, réplique-t-elle avec un sourire narquois.
— Tu serais la première à dire non, rétorqué-je en levant les yeux au ciel.
Elle esquisse un sourire mystérieux.
— Elle arrive..., annonce-t-elle.
Je fronce les sourcils, cherchant des yeux la personne dont elle parle. Lorsque cette dernière se rapproche, mon cœur se met à battre plus fort malgré moi. Comment est-ce possible ? Je ne comprends pas pourquoi je réagis ainsi.
— Merci, Lyana, de m'accompagner. J'espère que je ne te dérange pas..., dit une voix douce et hésitante.
La jeune femme semblait mal à l'aise, mais sa voix avait un charme indéniable.
— Ça me fait plaisir, répond Lyana. C'est moi qui ai demandé cette faveur à ta mamie, vu que mon fils va à la même université que toi. Allez, monte.
La jeune femme monte à l'arrière, et son parfum délicat emplit l'air. Lyana me lance un regard taquin.
— Dis bonjour, Dween. Ne sois pas mal élevé, ajoute-t-elle avec un sourire en coin.
Je suis tellement surpris que je bafouille.
— Je... euh..., balbutiai-je.
La fille éclate de rire, un son léger et agréable.
— Je te connais, non ? me demande-t-elle en me scrutant avec curiosité.
Lyana, perplexe, ne semble rien comprendre à ce qui se passe. Je prends une profonde inspiration et me tourne enfin vers l'arrière. Je suis frappé par la beauté de cette fille à la peau d'ébène.
— Salut... Athalia, c'est ça ? dis-je, essayant de cacher mon trouble.
— Oui, c'est bien ça. Et toi? Dween, répond-elle.
Lyana interrompt notre échange, toujours aussi espiègle.
— Vous vous connaissez ? demande-t-elle, feignant l'étonnement.
— On est dans la même classe. Je l'ai accidentellement bousculée hier, explique-je en essayant de rester détendu.
Lyana lève les sourcils, visiblement amusée par la situation.
— Eh bien, pour une coïncidence... Dween, je te présente officiellement la petite-fille de celle que tu as surnommée hier "Mamie à chat" à table !
Je me renfrogne dans mon siège, gêné par les sous-entendus de Lyana. Elle ne rate jamais une occasion de me taquiner, et cette fois encore, elle n'en perd pas une miette. Elle ne cessait de discuter durant le trajet, ça se voyait qu'elle s'appréciait sans forcer.
Pour mon plus grand soulagement, nous finissons enfin par arriver à l'université. Lyana me fait un signe rapide de la main avant de repartir, me laissant seul avec Athalia.
— Ta mère est adorable, t'as vraiment de la chance, dit-elle avec un sourire sincère.
— Oui, elle l'est, mais crois-moi, elle ne rate jamais une occasion de me mettre mal à l'aise, répliqué-je en secouant la tête.
— Dis celui qui appelle ma grand-mère "mamie à chat", rétorque-t-elle en riant doucement.
Je sens la chaleur me monter aux joues.
— Désolé...En plus c’est mon père qui l’a dit , murmuré-je, légèrement embarrassé.
— Je te taquine, ne t'inquiète pas, ajoute-t-elle avec un sourire qui éclaire son visage.
Son sourire est comme un rayon de soleil, apaisant et naturel. Je ne peux m'empêcher de la regarder un peu plus longtemps qu'il ne faudrait, captivé par cette lueur de gentillesse. Nous continuons notre chemin en direction de la salle de cours, une agréable complicité s'installant entre nous. Tout semblait si simple en sa compagnie.
Soudain, notre bonne humeur est interrompue par la présence de la b***e de Manuel, ces fils à papa arrogants que tout le monde connaît. Comme à leur habitude, ils se plantent devant nous, bloquant notre chemin.
— Athalia..., dit Manuel d'un ton mielleux en s'approchant.
— Manuel..., répond-elle, son sourire disparaissant aussitôt.
— Tu sais, t'es comme un petit bonbon au caramel. Ça te dirait d'aller boire un verre après le match ? propose-t-il avec ce sourire suffisant que je déteste.
— Pas vraiment. Je dois rentrer après l'entraînement, je ne veux pas rater le dîner, réplique-t-elle poliment mais fermement.
Manuel, loin d'être découragé, insiste.
— Je peux te déposer. Comme ça, t'auras pas à attendre la nounou du petit handicapé.
Un silence lourd s'installe. Athalia fronce les sourcils, visiblement agacée.
— Commence pas, Manuel, c'est vraiment bas de dire un truc pareil, le réprimande-t-elle.
— T'as pas à prendre sa défense, laisse tomber. Il sait même pas de quoi il parle, lâché-je avec une amertume que je peine à contenir.
— Dween, attends..., m'appelle-t-elle, inquiète.
— Non, vas-y, te gêne pas pour moi, dis-je froidement en tournant les talons.
Je passe devant la b***e de Manuel, ignorant leurs regards moqueurs. Mais l'un d'eux, bien décidé à pousser l'humiliation plus loin, tend discrètement son pied devant moi. Je ne le vois pas venir et trébuche violemment, manquant de peu de m'étaler par terre. Des éclats de rire fusent immédiatement autour de moi.
Les rires résonnent dans ma tête, chacun de leurs échos me rappelant à quel point je suis différent, à quel point je ne fais pas partie de leur monde. L'humiliation est cuisante, mais ce qui me touche le plus, c'est l'idée qu'Athalia ait été témoin de cette scène. Je me redresse aussi dignement que possible, refusant de leur offrir le plaisir de voir une quelconque faiblesse. Mais malgré mes efforts pour garder contenance, une brûlure d'injustice et de tristesse se répand en moi.
Athalia se précipite à mes côtés, l'inquiétude visible dans ses yeux.
— Ça va, Dween ? demande-t-elle doucement.
Je hoche la tête sans un mot, sentant la colère et l'embarras me submerger. Tout ce que je veux, c'est m'éloigner de cette situation, de leurs regards pleins de mépris et de leurs sourires narquois. Sans attendre, je m'éclipse, laissant derrière moi les rires et la cruauté de ceux qui ne comprendront jamais ce que c'est d'être différent, de lutter constamment contre ce sentiment d'inadéquation. Je me réfugie dans les toilettes, le cœur lourd et l'esprit embrouillé. La douleur de l'humiliation me serre la poitrine, et je sens une boule de colère grandir en moi. Dès que la porte se referme derrière moi, je frappe violemment dessus à plusieurs reprises, essayant désespérément de canaliser ce tourbillon d'émotions. Mais plus je cogne, plus la frustration grandit. Chaque coup résonne comme un écho de ma détresse, mais aussi comme un rappel cruel de ma propre faiblesse.
Très vite, je me rends compte que je m'essouffle, chaque mouvement devenant plus difficile. Mon souffle se fait court, oppressant. Je m'arrête soudain, pris de vertige. Je sais que je dois me calmer, que continuer ainsi ne m'apportera rien de bon. Je ferme les yeux, essayant de repousser les larmes qui menacent de couler.
Je prends une longue et profonde inspiration, puis une autre. Je laisse l'air remplir mes poumons, chassant petit à petit cette tension qui m'étouffe. Petit à petit, mon souffle retrouve un rythme plus régulier. Je me concentre sur ce simple acte de respirer, comme si chaque bouffée d'air pouvait emporter avec elle un peu de ma peine.
Lentement, je rouvre les yeux. Les murs froids des toilettes m'entourent, silencieux et indifférents, comme une forteresse temporaire contre ce monde extérieur qui me semble si hostile. Mais je sais que je ne peux pas rester ici éternellement. Je dois affronter cette journée, affronter ces regards, affronter la vie malgré tout.
Je serre les poings une dernière fois, comme pour m'ancrer dans cette réalité. Puis, je m'efforce de chasser les pensées sombres qui me tourmentent, décidé à garder la tête haute, même si cela me demande chaque parcelle de ma volonté.