CYANA
Je rejoignis le chauffeur qui m'attendait à l'entrée du portail, impeccablement droit dans son costume sombre. Son visage ne laissait transparaître aucune émotion, comme si ce qu'il faisait n'avait rien d'anormal. Sans un mot, il s'empara de mon sac à main moyen et l'emporta je ne sais où, peut-être dans le coffre ou sur le siège avant, mais je n'y prêtai guère attention.
Mes pensées tourbillonnaient, mes pas étaient lourds. Chaque mouvement me rappelait que je franchissais une étape vers l'inconnu, vers une situation que je n'avais pas choisie. Lorsque le chauffeur revint pour m'ouvrir la portière avec une précision presque mécanique, un frisson me traversa. Tout dans ce geste était froid, impersonnel, comme si ma vie venait d'entrer dans une phase contrôlée par d'autres.
Je montai dans la voiture sans un mot, mes yeux cherchant un repère à l'extérieur, quelque chose à quoi m'accrocher, mais il n'y avait rien d'autre que l'obscurité naissante et les silhouettes fantomatiques des arbres qui se découpaient sous la lumière déclinante. Lorsque j'entrai dans la voiture, je fus immédiatement enveloppée par un parfum enivrant, à la fois subtil et captivant, appartenant à une personne que je ne connaissais guère. Pourtant, il y avait quelque chose de curieusement familier dans cette fragrance, comme une réminiscence d'un souvenir que je n'arrivais pas à saisir. Assis à l'autre bout de la banquette, l'inconnu gardait obstinément la tête tournée vers la vitre, m'empêchant de distinguer ses traits. Cependant, sa carrure imposante ne laissait aucun doute : c'était un homme. L'ombre de sa silhouette trahissait une force silencieuse, une présence que l'on ne pouvait ignorer. Le silence dans l'habitacle était presque palpable, entrecoupé seulement par le doux ronronnement du moteur. Je me demandais qui il était, pourquoi il était là, et surtout, quel rôle il jouerait dans cette situation où je me sentais de plus en plus comme une marionnette au fil invisible.
Le moteur se mit en marche doucement, sans brusquerie, comme si ce départ devait se faire dans un silence presque cérémonial. Mon cœur battait à un rythme qui ne reflétait en rien le calme apparent autour de moi.
Le trajet se fit dans un silence pesant. À peine le véhicule immobilisé, il sortit brusquement, sans attendre que le chauffeur lui ouvre la portière. On aurait dit qu'il cherchait à m'éviter, à fuir ma présence. Je pris une profonde inspiration et descendis à mon tour, me retrouvant face à une demeure colossale, bien plus imposante que la mienne.
Trois silhouettes attendaient à l'entrée : deux hommes et une femme vêtue d'un tablier immaculé. Avec un sourire formel, cette dernière me souhaita la bienvenue tout en tendant la main pour récupérer le sac que je tenais encore fermement.
— Je préfère le garder, dis-je, hésitante.
Mais le chauffeur intervint, d'un ton calme mais ferme.
— Laissez-la s'occuper de cela, mademoiselle. C'est son travail.
Je ne répondis rien et me contentai de suivre, résignée, les pas de la femme qui avançait avec assurance, précédée par celui qui m'avait jusqu'à présent soigneusement évité. La maison semblait m'engloutir de ses murs gigantesques. Les plafonds, vertigineusement hauts, me donnaient l'impression d'être réduite à une simple fourmi. Je fus éblouie par les œuvres d'art qui ornaient les murs, des toiles si raffinées qu'elles transformaient les lieux en un véritable musée.
Nous gravîmes un escalier en colimaçon. Le bruissement léger des pas résonnait dans l'air, m'incitant à lever les yeux. Mon regard croisa enfin le sien. Un jeune homme, à peine plus âgé que moi... Était-ce lui, mon futur époux ? La réponse ne tarderait sans doute plus longtemps.
— Cyana Perez... Bienvenue à toi. Je suis Fernando Herrera, et également ton futur époux.
Je reste figée, les mots coincés dans ma gorge. Ce n'est pas le mariage forcé qui me surprend — j'avais déjà accepté cette réalité à contrecœur — mais plutôt son apparence. L'homme que j'avais aperçu chez mes parents était nettement plus âgé, probablement dans la cinquantaine. Pourtant, celui qui se tient devant moi ne pourrait avoir plus de dix-neuf ans, à peine plus vieux que Christian ou Nath. Il dégage pourtant quelque chose de différent, une présence indéniablement plus mature. Sa silhouette, musclée mais sans excès, se tient avec une assurance qui rend sa jeunesse presque anecdotique. Une main dans la poche, il me transperce de son regard gris perçant. J'ai du mal à soutenir ses yeux, si impitoyables dans leur intensité.
— Je... euh... Merci.
— C'est ici que nous vivrons... le temps de faire connaissance, dit-il avec un calme glacial.
Je fronce les sourcils, confuse.
— Le temps de faire connaissance ? Je ne comprends pas... Comment ça ?
Il soupire, visiblement agacé.
— Effectivement. Nous allons passer un mois ici.
Sa voix est détachée, comme si cela allait de soi. Je cligne des yeux, encore plus perdue. Voyant mon incompréhension, il descend d'une marche pour se rapprocher de moi, réduisant l'écart entre nous. Il est si grand que je dois lever les yeux pour le regarder.
— Tu n'étais pas au courant ?
— Bien sûr que non... On dirait que mes parents sont doués pour garder les secrets et orchestrer des surprises désagréables.
— Tu es ici maintenant, alors.
— J'ai des cours, des devoirs, des amis. Je ne peux pas rester ici un mois. Je rentre chez moi, répliqué-je, décidée.
Je fais volte-face, me dirigeant vers la sortie. Mais à peine quelques pas plus tard, je me retrouve bloquée par le chauffeur et la domestique.
— Veuillez retourner auprès de Monsieur Herrera, s'il vous plaît, ordonne la domestique.
— Écartez-vous !
La colère commence à monter. Comment osaient-ils me piéger ainsi ? Quelle mère livre sa propre fille en pâture de cette façon ? Mais ils restent immobiles, me forçant à essayer de passer en force. Juste à cet instant, une main puissante saisit mon poignet. C'était le chauffeur.
— Lâche-moi !
Il resserre sa prise, chaque mouvement de ma part renforçant son emprise. Fernando descend calmement les marches jusqu'à notre niveau, son visage toujours impassible. Sans dire un mot, il pose sa main sur mes lèvres, étouffant les protestations que je m'apprêtais à formuler. Son regard reste rivé au mien, froid et calculateur. Je sens une peur glaciale envahir chaque fibre de mon corps.
— Tu te penses indispensable, Cyana ? ironise-t-il. Tu n'es pas la fille docile dont mon père m'a parlé. Physiquement, peut-être, mais mentalement, tu n'as pas ce qu'il faut. Avec ce tempérament, tu ne ferais jamais une bonne épouse sur le long terme. Je pourrais te tuer ici même, ramener ton cadavre dans un sac, mais j'aime les défis. Conduisez-la dans sa chambre.
Il retire sa main avec une lenteur calculée, tout en me fixant d'un regard qui me glace jusqu'aux os. Je n'ajoute rien. Après ce qu'il vient de dire, mes mots me trahissent. Je sens les larmes monter, brûlantes, mais je refuse de céder. "Reste forte", me répétais-je intérieurement, cherchant à retenir cette marée de désespoir qui menaçait de déborder.
Je le regarde s'éloigner, montant les escaliers sans me jeter un dernier regard. Ses employés me conduisent alors jusqu'à ce qui sera ma chambre pour le mois à venir.
— Je m'appelle Sarah. Je serai à votre service durant votre séjour, dit-elle avec un sourire poli.
— Je veux être seule, répliqué-je, l'air fatigué.
— Très bien, madame. Cependant, vous devrez être prête à sept heures pour le dîner. Il se déroulera à l'extérieur.
— Je n'ai aucune envie de sortir, je n'ai pas faim. Je veux juste rester seule et dormir. Est-ce trop demander ?
— Oui, madame, c'est trop demander quand le devoir passe avant tout.
Je me laisse tomber sur le lit, épuisée et frustrée. Du maître aux domestiques, ils ont tous cette même arrogance qui me hérisse.
— Je n'ai rien à me mettre. Personne ne m'a dit que je devais rester plus d'une journée ici.
Elle hoche la tête sans un mot et sort de la chambre. Enfin, se pourrait-il qu'elle abandonne ? Un soupir de soulagement m'échappe. Je sens mes paupières s'alourdir ; visiblement, j'ai dépassé l'heure habituelle de ma sieste. Mais c'est sans compter sur les vibrations insistantes de mon téléphone qui me tirent de ma torpeur. Avec des pas lourds, je récupère l'appareil dans mon sac.
Un sourire naît sur mes lèvres en voyant que c'est Nath.
**"Tu vas bien ma puce ?"**
**"Oui, ne t'en fais pas."**
**"Je suis devant chez toi, il faut que je te vois."**
Je m'immobilise. Que devrais-je lui répondre ? Je ne peux pas lui dire que je ne suis pas chez moi ; il ne le prendrait pas bien du tout.
**"Cycy ? Pourquoi tu ne réponds pas ?"**
Je panique. Que faire ?
**"Je ne peux pas sortir, Nath..."**
**"Alors j'entre."**
**"Non... attends."**
**"Cyana, je ne te comprends pas..."**
Mon téléphone se met à sonner, affichant l'appel de Nath. Mon cœur s'emballe à l'idée de devoir lui parler, de devoir trouver une excuse. Mais mes doigts tremblants manquent l'appel.
**"T'es avec un autre ?"**
**"Réponds-moi, Cyana !"**
**"T'es là ?"**
Les mains tremblantes, je finis par répondre en tapotant sur l'écran.
**"Ce n'est pas ce que tu crois."**
Nath m'appelle à nouveau, insistant, mais je n'ai plus la force de décrocher. Je me crispe soudain en entendant la porte s'ouvrir brutalement. Je sursaute, et mon téléphone glisse de mes mains, s'écrasant violemment au sol.
— m***e !
Je me précipite pour le ramasser, mais l'écran fissuré affiche à peine le visage de Nath avant de s'éteindre définitivement. Plus rien ne fonctionne. Des pas lourds se rapprochent, et une ombre se dresse devant moi.
— Qui est-ce ? demande une voix froide, qui m'envoie un frisson dans le dos.
Je relève les yeux. C'est Fernando.
— Ça ne te regarde absolument pas, répliqué-je sèchement, la gorge nouée.
Il ne bouge pas, mais son regard devient encore plus perçant, comme s'il cherchait à lire en moi, à décortiquer chaque émotion que j'essayais de cacher.
— Tu crois vraiment ?
— Qu'est-ce que tu veux ? lâché-je, agacée.
— Parle-moi avec respect, et cesse de te morfondre. Sarah m'a dit que tu n'as pas de tenue pour le dîner de ce soir.
— Je ne me morfonds pas ! Tu ne me connais pas, alors évite de me juger. Et pour ta gouverne, je n'ai aucune envie de sortir dîner, encore moins avec toi, Fernando.
Son regard s'assombrit, un éclair de menace traversant ses yeux.
— Ne me poussez pas à bout, mademoiselle Perez. Vous allez gentiment me suivre jusqu'à la voiture.
— Sinon quoi ? Tu vas faire quoi, Monsieur Herrera ? M'envoyer chez mes parents dans un sac mortuaire, comme tu l'as insinué tout à l'heure ?
Ma colère éclate, mes paroles cinglantes résonnant dans l'air. Mais lui, il ne bronche pas. Il reste immobile, totalement impassible face à ma tirade, ce qui ne fait qu'attiser ma frustration.
— Vous avez terminé ? demande-t-il calmement.
Son détachement m'irrite au plus haut point. Avant même que je puisse réagir, mes pieds quittent brusquement le sol. En un éclair, il me soulève et me balance sur son épaule comme si je ne pesais rien. La tête en bas, je me débats, furieuse.
— Qu'est-ce que tu fais ? Pose-moi tout de suite !
Mais il ne m'écoute pas. Sans un mot, il avance jusqu'à la voiture et me jette à l'intérieur avec une désinvolture qui me rend folle. Il claque la portière avant que j'aie le temps de réagir, m'enfermant à l'intérieur. La panique et la rage montent en moi.
— Laisse-moi tranquille ! Je veux sortir ! hurle-je en frappant contre la vitre.
Il m'ignore royalement et démarre la voiture. Sa froideur implacable me laisse sans voix, et pour la première fois, je réalise à quel point il est prêt à imposer sa volonté, peu importe les moyens.