Chapitre 17
Point de vue d'Anaïs
Trois mois plus tard.
Je suis assise dans le petit café en face du Clair de Lune, sirotant un espresso amer qui reflète parfaitement mon humeur. Je ne devrais pas être là. Je me l'étais promis. Mais je n'ai pas pu résister.
Parce qu'aujourd'hui, c'est le grand jour. Le jour où Matthieu reçoit la visite des inspecteurs du Guide Michelin pour la réévaluation de ses étoiles.
Je le vois à travers la vitrine du restaurant, impeccable dans sa tenue de chef, dirigeant son équipe avec cette autorité naturelle qui m'a toujours fait fondre.
Et à côté de lui, dans la salle, installée à une table discrète, se trouve Léa.
Elle observe le service avec un sourire fier, ses yeux ne quittant jamais Matthieu bien longtemps. Et lui, malgré la pression, trouve le temps de lui lancer des regards, de lui sourire comme si elle était la seule personne dans la pièce.
Ça me déchire de les voir comme ça. Si parfaits ensemble. Si... heureux.
— Tu vas bien, ma belle ?
Je lève les yeux. C'est Simone, la vieille propriétaire du café. Elle me connaît. Elle m'a vue pleurer ici trop de fois ces derniers mois.
— Pas vraiment.
— Tu devrais arrêter de venir ici. Arrêter de te torturer.
— Je sais. Mais je ne peux pas m'en empêcher.
Elle secoue la tête avec compassion.
— L'amour rend fou, hein ?
— L'amour détruit, tu veux dire.
Elle pose une main sur mon épaule.
— Seulement si tu le laisses faire, ma chérie. Il est temps de tourner la page.
Elle a raison, bien sûr. Mais savoir et faire sont deux choses différentes.
Mon téléphone vibre. Un message de ma thérapeute me rappelant notre rendez-vous demain. Oui, je vois une thérapeute maintenant. Après l'incident au restaurant, après toutes mes manipulations qui n'ont mené nulle part, j'ai finalement accepté que j'avais besoin d'aide.
Je règle mon café et me lève, jetant un dernier regard vers le restaurant.
Matthieu et Léa sont maintenant près de la fenêtre, parlant à ce qui semble être un critique. Ils se tiennent la main sous la table, unis face à la pression.
C'est ce que j'ai toujours voulu avec lui. Ce partenariat. Cette connexion.
Mais ce n'était pas destiné à être. Pas avec moi.
Je me détourne et commence à marcher, mes pas me menant vers le métro.
Il est temps de laisser partir. Vraiment cette fois.
Pour lui. Pour elle.
Mais surtout pour moi.
Point de vue de Pierre, le second de Matthieu
Je regarde le chef depuis la cuisine, et je ne peux m'empêcher de sourire.
Il est dans son élément. Concentré. Précis. Brillant.
Mais c'est différent maintenant. Il y a quelque chose dans ses yeux qui n'y était pas avant. Une lumière. Une joie.
C'est elle. Cette Léa qui a bouleversé sa vie.
— Chef, le prochain plat est prêt, j'annonce.
— Parfait. Vérifie l'assaisonnement une dernière fois.
Je goûte la sauce. C'est impeccable, comme toujours.
— C'est bon, chef.
Il s'approche quand même, goûtant lui-même. Un sourire satisfait apparaît.
— Envoie.
Je dresse le plat avec soin, sachant que chaque détail compte aujourd'hui. Les inspecteurs du Michelin ne pardonnent rien.
Matthieu s'arrête à côté de moi, observant mon travail.
— Merci, Pierre. Pour tout. Pour avoir tenu le fort pendant mes... moments difficiles.
— C'est mon travail, chef.
— Non. C'est plus que ça. Tu es un ami. Un bon ami.
Je hoche la tête, touché. Matthieu n'est pas du genre à exprimer ses sentiments facilement.
— Elle vous rend meilleur, je dis en jetant un regard vers Léa dans la salle. Plus humain.
— Elle me rend fou aussi. Mais dans le bon sens.
Il sourit, et je vois l'amour pur dans son expression.
— Je vais l'épouser, tu sais. Bientôt.
— Vous lui avez demandé ?
— Pas encore. Mais j'ai la bague. Je cherche juste le bon moment.
— Après l'annonce des étoiles ?
— Peut-être. Ou peut-être avant. On verra.
Un serveur entre en trombe dans la cuisine.
— Chef ! Les inspecteurs partent. Ils ont demandé à vous voir.
Matthieu inspire profondément, se redressant.
— C'est l'heure de vérité.
— Vous allez les garder, chef. J'en suis sûr. Vous pourriez même en gagner une quatrième.
— De ta bouche aux oreilles de Dieu.
Il retire son tablier, ajuste sa tenue, et sort pour rencontrer son destin.
Je le regarde partir, fier de faire partie de son équipe. De faire partie de son voyage.
Point de vue de Chloé
Je suis au téléphone avec Léa, écoutant son récit du service au restaurant.
— Et puis les inspecteurs sont partis sans rien dire ! s'exclame-t-elle. Matthieu est en train de devenir fou. Il analyse chaque plat, chaque interaction.
— C'est normal. C'est important pour lui.
— Je sais. Je veux juste qu'il se détende. Qu'il réalise qu'il est incroyable quoi qu'il arrive.
J'entends l'amour dans sa voix. Ce même amour qui était là dès le début, même à travers la douleur et les trahisons.
— Tu es heureuse, constate-je. Vraiment heureuse.
— Je le suis. C'est fou, non ? Après tout ce qui s'est passé, je ne pensais pas que ce serait possible.
— Tu mérites d'être heureuse, Léa. Vous méritez tous les deux cette chance.
— Même après... tu sais. Alexandre ?
Je soupire. Alexandre et moi avons eu une longue conversation après toute cette histoire. Il a été honnête sur ses sentiments, et j'ai été honnête sur le fait que Léa ne pourrait jamais les retourner.
Nous sommes restés amis, mais il a pris ses distances. Pour guérir.
— Même après. Tu as fait une erreur. Il en a fait une. Mais vous avez choisi de vous battre l'un pour l'autre. C'est ce qui compte.
— Je l'aime tellement, Chloé. Parfois ça me fait peur.
— L'amour est effrayant. Parce qu'on donne à quelqu'un le pouvoir de nous détruire. Mais c'est aussi magnifique. Parce qu'on choisit de faire confiance malgré tout.
— Quand es-tu devenue si sage ?
— J'ai toujours été sage. Tu ne m'écoutais juste pas.
Elle rit, et je souris en l'entendant. Ma meilleure amie. Heureuse. Amoureuse. Épanouie.
C'est tout ce que j'ai toujours voulu pour elle.
— Matthieu revient, murmure-t-elle. Il a l'air... oh mon Dieu, il sourit. Il sourit tellement. Je dois y aller !
— Appelle-moi après ! Je veux tout savoir !
Elle raccroche, et je reste là avec mon téléphone, un sourire idiot sur le visage.
Quelque part à Paris, ma meilleure amie vit son histoire d'amour.
Une histoire compliquée, imparfaite, mais vraie.
Et je ne pourrais pas être plus heureuse pour elle.
POINT de vue de Léa
Matthieu revient vers notre table, son visage rayonnant. Avant même qu'il ouvre la bouche, je sais.
— Alors ? je demande, me levant d'un bond.
— Quatre étoiles, souffle-t-il, les yeux brillants. Nous avons quatre étoiles.
Je crie, ne me souciant pas des regards, et me jette dans ses bras. Il me fait tournoyer, riant aux éclats.
— Je suis tellement fier de toi !
— Nous, corrige-t-il en me reposant. Nous avons quatre étoiles. Parce que tu m'as rendu meilleur. Tu m'as donné une raison de me battre.
Autour de nous, son équipe émerge de la cuisine, applaudissant et criant. C'est le chaos joyeux, les félicitations fusant de partout.
Mais Matthieu ne regarde que moi.
— Viens, dit-il en prenant ma main. J'ai quelque chose à te montrer.
Il me guide hors du restaurant, vers la petite cour arrière où nous avons partagé notre premier b****r il y a des mois.
— Matthieu, qu'est-ce que...
Il me coupe en s'agenouillant. Mon cœur s'arrête.
— Léa Dubois, commence-t-il, sa voix tremblante d'émotion. Ces derniers mois ont été les plus fous, les plus difficiles et les plus beaux de ma vie. Tu m'as vu à mon pire. Tu as vu mes erreurs, mes faiblesses, mes moments de lâcheté.
Il sort une petite boîte de velours de sa poche.
— Et malgré tout, tu as choisi de rester. Tu as choisi de te battre pour nous. Tu m'as montré ce qu'est le vrai amour. Pas parfait, mais réel. Fort. Incassable.
Les larmes coulent déjà sur mes joues.
— Je ne peux pas te promettre la perfection. Je ne peux pas te promettre qu'on ne se disputera jamais ou qu'on ne fera jamais d'erreurs. Mais je peux te promettre mon cœur. Ma fidélité. Mon amour, chaque jour, pour le reste de ma vie.
Il ouvre la boîte, révélant une bague magnifique. Simple mais élégante, exactement mon style.
— Léa, veux-tu m'épouser ? Veux-tu passer le reste de ta vie à mes côtés ? À construire quelque chose de beau, même si c'est imparfait ?
Je ne peux pas parler. Les mots sont bloqués dans ma gorge, étouffés par l'émotion.
Alors je hoche la tête. Frénétiquement. Encore et encore.
— Oui. Oui, mille fois oui.
Il se lève, glissant la bague à mon doigt, puis m'embrasse. C'est salé de mes larmes, sucré de promesses, et parfait de toutes les façons qui comptent.
Derrière nous, son équipe — qui a visiblement suivi — applaudit et siffle.
— Je t'aime, murmure Matthieu contre mes lèvres. Pour toujours.
— Pour toujours, j'acquiesce.
Et tandis que je le regarde, cet homme qui a brisé mon cœur puis l'a recollé morceau par morceau, je réalise quelque chose.
Notre histoire n'est pas un conte de fées. Elle est réelle. Désordonnée. Imparfaite.
Mais elle est à nous.
Et ça, c'est plus précieux que n'importe quelle perfection inventée.
Parce qu'au final, l'amour ne consiste pas à ne jamais tomber.
Il consiste à se relever ensemble. Encore et encore.
Et avec Matthieu, je suis prête à me relever autant de fois qu'il le faudra.
Pour toujours.
(QUELQUE SEMAINE PLUS TARD )
Point de vue de Matthieu
Je me tiens devant le miroir, ajustant ma cravate pour la dixième fois. Mes mains tremblent légèrement.
— Calme-toi, chef, dit Pierre en riant. Tu as affronté les critiques les plus impitoyables de France. Tu peux gérer un mariage.
— Ce n'est pas pareil. C'est... c'est Léa.
— Justement. C'est Léa. La femme qui t'aime. Qui a dit oui. Qui est en train de s'habiller pour devenir ta femme. Respire.
J'inspire profondément, essayant de calmer mon cœur fou.
Dans quelques minutes, je vais la voir marcher vers moi. Dans quelques minutes, elle sera ma femme.
— Tu as la bague ? je demande paniqué.
— Pour la centième fois, oui, j'ai la bague.
On frappe à la porte. C'est mon témoin, un vieil ami de l'école de cuisine.
— C'est l'heure, annonce-t-il avec un sourire.
Je suis mes témoins vers le jardin de ma maison de campagne — notre maison de campagne maintenant. L'endroit où tout a vraiment commencé.
Les chaises sont remplies d'amis et de famille. Mais je ne vois personne d'autre qu'elle.
Léa. Ma Léa.
Elle apparaît au bout de l'allée, au bras de son père. Sa robe est simple, élégante, et elle est absolument rayonnante.
Nos yeux se rencontrent, et le reste du monde disparaît.
Elle avance vers moi, et chaque pas semble durer une éternité.
Quand elle me rejoint enfin, je prends sa main, incapable de retenir mes larmes.
— Tu es magnifique, je murmure.
— Et tu pleures, sourit-elle en essuyant mes joues.
— Je suis heureux. Tellement heureux.
La cérémonie passe dans un brouillard d'émotions. Les vœux, les bagues, les promesses.
Et puis, finalement :
— Vous pouvez embrasser la mariée.
Je l'attire contre moi, l'embrassant profondément tandis que nos invités applaudissent.
Ma femme. Mon amour. Mon tout.
Plus tard, pendant la réception, alors que nous dansons notre première danse, Léa pose sa tête sur mon épaule.
— Pas de regrets ? je murmure.
— Aucun. Et toi ?
— Comment pourrais-je regretter le meilleur jour de ma vie ?
Elle lève les yeux vers moi, et je vois notre futur dans son regard. Des hauts et des bas. Des rires et des larmes. Des disputes et des réconciliations.
Mais toujours, toujours ensemble.
— Je t'aime, Matthieu Beaumont.
— Je t'aime, Léa Beaumont.
Et tandis que nous tournons sous les étoiles, entourés de ceux qui nous aiment, je sais une chose avec certitude.
Notre histoire a commencé avec un repas partagé et un regard à travers une fenêtre.
Elle a survécu à la trahison, aux doutes, aux erreurs.
Et maintenant, elle continue.
Pas parfaite.
Mais vraie.
Et c'est tout ce dont nous avons besoin.