Chapitre 2
LE POINT DE VUE DE LÉA
Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit.
Chaque fois que je fermais les yeux, je revoyais son regard sombre posé sur moi, ce sourire carnassier, la façon dont sa voix grave avait prononcé mon prénom. 'Léa.' Comme une caresse.
À six heures du matin, j'abandonne tout espoir de sommeil et me traîne jusqu'à la cuisine pour me faire un café. L'assiette de la veille trône sur le comptoir, impeccablement nettoyée. Il faudra que je la lui rende.
Mon ventre se noue à cette pensée.
Ressaisis-toi, Léa. Ce n'est qu'un voisin poli qui t'a offert un repas. Rien de plus.
Sauf que la façon dont il m'a regardée n'avait rien de poli. C'était affamé. Prédateur.
Je secoue la tête et attrape mon téléphone. Trois messages de ma meilleure amie, Chloé.
"Alors ? Le nouvel appart ?"
"Tu survis ?"
"Léa Marie Dubois, réponds ou je débarque !"
Je souris malgré moi et commence à taper une réponse quand un bruit attire mon attention. Des pas dans l'escalier. Des pas qui s'arrêtent devant ma porte.
Mon cœur s'emballe stupidement.
Toc toc toc.
Je baisse les yeux sur mon pyjama froissé un vieux t-shirt des Ramones et un short en coton et mes cheveux certainement hirsutes. Pas vraiment une tenue pour recevoir qui que ce soit.
Mais je ne peux pas ne pas ouvrir.
Je tire sur mon t-shirt pour le rallonger et vais jusqu'à la porte. Quand je l'ouvre, Matthieu se tient là, dans toute sa gloire matinale. Il porte un jean sombre et un pull gris qui moule ses épaules de façon obscène. Ses cheveux sont encore humides, comme s'il sortait de la douche.
L'image de lui sous l'eau, ruisselant, s'impose dans mon esprit.
Non. Arrête ça tout de suite.
— Bonjour, dit-il avec ce sourire en coin qui devrait être illégal. J'espère que je ne vous réveille pas ?
— Non, je... j'étais debout.
Son regard glisse le long de mon corps avec une lenteur délibérée, s'attardant sur mes jambes nues, remontant sur le tissu fin de mon t-shirt. Quand ses yeux rencontrent les miens à nouveau, ils sont plus sombres.
— Je vois ça.
Un silence s'étire entre nous, chargé d'électricité.
— Je venais récupérer mon assiette, finit-il par dire. Si vous avez fini, bien sûr.
— Oh ! Oui, bien sûr. Attendez.
Je recule dans l'appartement, terriblement consciente qu'il me regarde marcher. Mes joues brûlent tandis que j'attrape l'assiette et reviens vers lui.
— C'était délicieux. Merci encore.
— Tout le plaisir était pour moi.
La façon dont il dit "plaisir" fait naître une chaleur au creux de mon ventre.
Il prend l'assiette, ses doigts effleurant les miens. Ce contact innocent provoque une décharge électrique qui remonte le long de mon bras.
— J'organise un dîner ce soir, dit-il soudain. Quelques amis. Rien de formel. Vous devriez venir.
— Je... je ne voudrais pas m'imposer.
— Vous ne vous imposeriez pas. Je vous invite.
Son regard plonge dans le mien avec une intensité qui me coupe le souffle.
— J'aimerais vraiment que vous veniez, Léa.
La façon dont il prononce mon prénom me donne envie de fondre sur place.
— D'accord, j'entends ma voix répondre avant que mon cerveau puisse intervenir.
Son sourire s'élargit, révélant des dents blanches et parfaites.
— Parfait. Vingt heures. Venez comme vous êtes.
Ses yeux parcourent à nouveau mon corps d'une façon qui suggère qu'il ne détesterait pas que je vienne exactement comme je suis maintenant, à moitié nue.
— Enfin, peut-être avec un peu plus de vêtements, ajoute-t-il avec un clin d'œil. Ou pas. Je vous laisse le choix.
Et sur ces mots, il s'éloigne dans le couloir, me laissant une fois de plus tremblante et confuse sur le seuil de ma porte.
***
À dix-neuf heures trente, je suis au bord de la crise de nerfs.
Mon lit est jonché de tenues rejetées. Trop habillé. Pas assez. Trop sexy. Pas assez sexy. Je ne sais même pas ce que je cherche à accomplir.
'C'est juste un dîner entre voisins. Calme-toi.'
Finalement, j'opte pour une robe noire simple qui s'arrête mi-cuisse, avec un décolleté juste assez plongeant pour être intéressant sans être provocant. Des talons pas trop hauts. Cheveux lâchés en vagues naturelles. Un peu de maquillage.
Je m'observe dans le miroir. Pas mal. Élégante mais décontractée.
' Qui essaies-tu de convaincre ?'
À vingt heures pile, je me retrouve devant sa porte, une bouteille de vin à la main, le cœur battant la chamade. J'entends des rires et de la musique à l'intérieur. Au moins, je ne serai pas seule avec lui.
Je ne sais pas si je suis soulagée ou déçue.
Je frappe.
La porte s'ouvre presque immédiatement. Matthieu apparaît, et mon souffle se bloque. Il porte une chemise blanche aux manches roulées jusqu'aux coudes, révélant des avant-bras musclés. Les premiers boutons sont défaits, dévoilant la naissance de son torse.
— Léa, dit-il, et quelque chose dans sa voix fait tressaillir tout mon corps. Vous êtes magnifique.
— Merci. Vous aussi. Je veux dire... votre appartement. C'est joli.
'Vraiment ? C'est tout ce que tu trouves à dire ?'
Il rit doucement et s'écarte pour me laisser entrer.
— Entrez. Laissez-moi vous présenter.
L'intérieur est exactement ce à quoi je m'attendais : élégant, masculin, avec une cuisine professionnelle ouverte sur le salon. Des livres de cuisine s'empilent sur des étagères, des couteaux de chef étincelants sont alignés sur un support magnétique.
Trois personnes sont installées dans le salon. Un couple une femme rousse flamboyante et un homme aux lunettes rondes et une blonde sculpturale en robe fourreau rouge.
— Tout le monde, voici Léa, ma nouvelle voisine. Léa, je vous présente Sophie et Marc, des amis de longue date. Et voici Anaïs.
La blonde me dévisage avec un intérêt qui me met mal à l'aise. Ses yeux voyagent de moi à Matthieu avec une expression indéchiffrable.
— Enchantée, dit-elle d'une voix de miel. Matt ne nous avait pas dit que sa nouvelle voisine était si... charmante.
Il y a quelque chose dans son ton. Une pointe de territorialité.
— Merci, je réponds prudemment. Ravie de vous rencontrer tous.
— Léa, un verre ? propose Matthieu en s'approchant de moi.
Sa main se pose au creux de mes reins, légère mais possessive, me guidant vers la cuisine. Cette simple pression fait naître des frissons sur ma peau.
— Du vin rouge, s'il vous plaît.
— Matthieu fait le meilleur Bordeaux de tout Paris, ronronne Anaïs en nous suivant. N'est-ce pas, chéri ?
Le mot "chéri" me fait l'effet d'une douche froide. Bien sûr. Un homme comme lui ne peut pas être célibataire. Matthieu me tend un verre, et nos doigts se frôlent à nouveau. Ses yeux plongent dans les miens, et je peux y lire... quelque chose. Une promesse ? Un avertissement ?
— Anaïs exagère, dit-il sans la regarder. Je me contente de bien choisir mes bouteilles.
Il ne retire pas sa main de mes reins.
— Matt est trop modeste, intervient Sophie depuis le canapé. Il est chef dans l'un des meilleurs restaurants de Paris. Le Clair de Lune. Vous connaissez ?
Mon cœur fait un bond.
— Le restaurant trois étoiles du 8ème ? Vous êtes ce Matthieu Beaumont ?
J'aurais dû faire le lien. Matthieu Beaumont, le jeune prodige de la gastronomie française. J'ai lu des articles sur lui. Son ascension fulgurante. Son talent exceptionnel. Sa réputation de perfectionniste impitoyable.
Il hausse les épaules avec une fausse modestie.
— Coupable. Mais ce soir, pas de titres. Juste Matthieu, votre voisin qui cuisine trop.
— Ne le laissez pas vous embobiner, rit Marc. Il adore qu'on parle de son restaurant.
L'ambiance se détend, et nous nous installons dans le salon. Matthieu disparaît dans la cuisine pour terminer les préparations, refusant toute aide. Je le regarde travailler à travers l'ouverture, fascinée par la précision de ses gestes, la concentration sur son visage.
Anaïs vient s'asseoir à côté de moi, un sourire qui n'atteint pas ses yeux.
— Alors, Léa, vous venez d'emménager ?
— Oui, hier.
— Quelle coïncidence. Matt adore accueillir les nouveaux voisins.
Il y a quelque chose de venimeux sous le sucre de sa voix.
— Il est très généreux, je réponds prudemment.
— Oh, il l'est. Très... généreux. Surtout avec les jolies femmes.
Sophie lance un regard d'avertissement à Anaïs, mais celle-ci l'ignore.
— Vous savez, Matt et moi avons une histoire. Une longue histoire. Nous nous connaissons depuis des années.
— Anaïs, intervient Marc avec un malaise évident. Ce n'est peut-être pas...
— Quoi ? Je fais juste la conversation.
Matthieu revient à ce moment, portant une grande assiette fumante. Ses yeux passent d'Anaïs à moi, et sa mâchoire se crispe imperceptiblement.
— Le dîner est servi, annonce-t-il.
Nous nous installons autour de la table, et ce qui suit est une expérience culinaire extraordinaire. Chaque plat est une œuvre d'art, une explosion de saveurs. Matthieu explique chaque création avec passion, ses yeux s'illuminant quand il parle de cuisine.
Et malgré la présence d'Anaïs qui ne cesse de le toucher une main sur son bras, un rire trop fort à ses blagues je ne peux m'empêcher d'être complètement captivée par lui.
À plusieurs reprises, nos regards se croisent au-dessus de la table. À chaque fois, l'air devient plus dense, plus chargé.
Après le dessert une tarte tatin qui me fait presque gémir de plaisir — Sophie et Marc annoncent qu'ils doivent partir. Travail tôt demain matin.
— Je devrais y aller aussi, dis-je en me levant.
— Moi aussi, ajoute Anaïs immédiatement. Matt, tu me raccompagnes ?
Elle s'accroche à son bras avec une familiarité qui me noue l'estomac.
— Je crois que je vais rester un peu, dit-il en se dégageant doucement. Ranger tout ça.
— Je peux t'aider, ronronne-t-elle.
— Non, merci. J'ai l'habitude.
Son ton est ferme, sans appel. Anaïs se raidit, ses yeux lançant des éclairs dans ma direction, comme si c'était ma faute.
— Très bien. Appelle-moi, dit-elle d'un ton glacial avant de partir.
Et soudain, nous sommes seuls.
Le silence qui suit le départ des invités est assourdissant. Matthieu se tient près de la porte fermée, me regardant avec cette intensité qui me fait trembler.
— Vous n'êtes pas obligée de partir, dit-il doucement.
— Je ne voudrais pas vous déranger...
— Vous ne me dérangez pas.
Il s'avance vers moi, lentement, comme un prédateur approchant sa proie.
— En fait, j'espérais que vous resteriez un peu. J'ai un cognac exceptionnel que j'aimerais partager avec vous.
Je devrais partir. Chaque instinct rationnel me le hurle. Cet homme est dangereux pour ma tranquillité d'esprit. Et visiblement, il y a une Anaïs dans le décor.
Mais quand il me tend la main, je la prends.
— D'accord. Un verre.
Son sourire est triomphant, presque félin.
— Un verre, répète-t-il.
Mais la façon dont ses yeux me dévorent suggère qu'un verre ne sera que le début.