II-3

1113 Words
– Dans celle du pays, donc ! C’est des choses qu’on raconte, qui nous viennent des anciens. La physionomie de l’étranger se rembrunit. – Ah ! bon ; c’est une légende ! – Je n’en sais rien... Ça peut être vrai. – Évidemment. « On dit aussi que ces souterrains s’étendent jusqu’à Runesto ? – Il paraît... Mais l’ancêtre des marquis de Penvalas qui fit bâtir le château, y ayant été voir, un jour, en revint comme un fou, avec des cheveux tout blancs, et ordonna que fût scellée l’entrée de par chez lui. Jamais il ne voulut dire ce qu’il avait vu là-dedans... Et voilà comment personne n’alla plus dans les souterrains. Elsa tira la manche de son père. – Papa, viens !... Ce vent est terrible ! – Oui, ma petite. Ils rebroussèrent chemin... De temps à autre, l’étranger se détournait, regardait encore la pointe du promontoire, l’horizon de mer voilé par la brume sombre, et murmurait : – Superbe !... vraiment superbe ! Au moment de s’engager à nouveau dans le sentier menant à Conestel par la côte, le colporteur s’arrêta. – Je crois que je ferais mieux de revenir par les terres. Cet air marin, si vif, ne me va pas du tout. « Voilà que je sens encore ces étouffements... – Bien oui, si ça vous gêne, rentrez par Runesto. Ce n’est pas plus long, parce que vous pourrez gagner Conestel presque en ligne droite. – Bonsoir, donc, et merci ! – De rien. Si ça vous a fait plaisir, tant mieux ! Et, serrant la main de l’étranger, puis celle que lui tendait Elsa, Yves Gouez s’éloigna, sa pipe à la bouche. Elsa mit sa main sous le bras de son père. – Marchons doucement, papa, pour ne pas te fatiguer. – Oui... Cela ira mieux, quand je ne sentirai plus cet air qui fouette... qui serre la poitrine... Ils avancèrent lentement... La lande s’étendait devant eux, semée de rocs affleurant le sol, couverte d’ajoncs et de maigres petites bruyères... Puis vinrent des champs, des petits vergers, des terrains couverts d’une herbe rase où broutaient des moutons... Peu à peu, la terre prenait un aspect plus fertile, à mesure qu’on approchait du château, dont la grosse tour crénelée apparaissait maintenant entre les frondaisons des vieilles futaies magnifiques. Près d’un talus bordant une prairie, le colporteur, qui semblait souffrir, s’arrêta, en disant : – Reposons-nous là. – Mais, papa, c’est mouillé. – Étends ma pèlerine, nous nous mettrons dessus. Ils s’assirent, et l’homme, aussitôt, prit dans sa poche un calepin, sur lequel il se mit à écrire, d’une main agitée. De temps à autre, des mots s’échappaient de ses lèvres : « Situation parfaite... Et, si les souterrains existent, on peut faire quelque chose de fort intéressant... « Il faudrait aussi qu’on fouillât ces grottes sous-marines... Des scaphandriers y arriveront, peut-être... « Enfin, c’est à étudier... Je montre une voie, simplement. Mais elle peut être excellente. Quand il eut fini d’écrire, l’étranger ferma son calepin, et dit d’un ton résolu, en le remettant dans sa poche : – Il faut absolument que ce Valserres nous vente sa maison. « Ce ne sera peut-être pas bien difficile à obtenir, d’ailleurs, car, d’après ce que j’ai compris, sa femme est une dépensière, qui est en train de le ruiner. Alors, il sera trop content qu’on lui paye un prix raisonnable sa vieille bicoque. « Allons, petite, repartons ! « Ces maudits étouffements ne cessent pas... Et toujours cette douleur qui me tient là... Ils se levèrent, reprirent leur marche... L’homme semblait avancer avec peine... Bientôt ils se trouvèrent près de l’entrée de Runesto. Deux massifs piliers de granit se dressaient de chaque côté. La grille était ouverte sur l’avenue des chênes centenaires conduisant au château, dont on apercevait d’ici l’imposante masse grise. Le colporteur s’arrêta, en portant les deux mains à sa poitrine. – Je ne peux plus... « J’étouffe... Je souffre trop. Son visage s’altérait de façon effrayante. Il répéta : « Je souffre ! » et se laissa tomber sur le sol. Elsa jeta un cri d’effroi et se mit à genoux près de lui. – Papa !... papa ! Il dit, d’une voix à peine perceptible : – Va au château... demande... du secours... « Mais, avant... mes papiers... prends... le calepin surtout... Il essayait de trouver sa poche... Elsa guida sa main, et il sortit quelques papiers, puis le calepin sur lequel il avait écrit tout à l’heure. – Prends... Cache bien... Pour remettre à Otto... ou Ulrich... Et puis, va... vite ! Elle obéit, courut le long de l’avenue, passa le pont jeté sur les douves, traversa l’imposante cour d’honneur fermée d’un côté par la grosse tour ronde à mâchicoulis, de l’autre par un corps de bâtiment un peu postérieur au reste du château et soudé à une tour à poivrière – le tout relié par le principal corps de logis, noble construction d’allure féodale, comme la tour sa voisine. Une porte était ouverte... Elsa s’y engouffra, au hasard, et se heurta au jeune garçon brun rencontré la veille. Il s’exclama : – Eh bien ! qu’est-ce que c’est ? – Pardon !... Mais papa est malade... Il faudrait qu’on vienne à son secours... La physionomie d’Alain de Penvalas exprima aussitôt un intérêt compatissant. – Ah ! pauvre petite !... Où cela ? – Près de l’entrée de l’avenue. Il étouffe, je ne sais ce qu’il a... – Eh bien ! je vais vite prévenir ma grand-mère ! Attendez-moi là ! Quelques instants plus tard, il revenait avec la dame aux cheveux blancs qu’Elsa avait aperçue hier, descendant de voiture devant le presbytère, avec une petite fille. Et tous trois se hâtèrent vers le lieu où était demeuré le colporteur. Chemin faisant, Mme de Penvalas encourageait l’enfant avec de douces paroles... On allait le soigner, son père, et il serait vite remis... Précisément, le médecin de Kerhuel se trouvait chez le jardinier du château, dont les deux petits enfants étaient malades. Un domestique était allé le prévenir, et il viendrait dans un moment. L’homme était toujours à terre, le dos appuyé contre un arbre. Il étouffait encore, mais semblait souffrir moins. D’une voix faible, il s’excusa du dérangement qu’il causait... Mais la marquise l’interrompit avec bonté. – C’est trop naturel !... Voyons, mon brave homme, pourrez-vous marcher jusqu’au château, en vous appuyant sur nous ? – Je crois que oui, madame. Il se leva, aidé par Mme de Penvalas et son petit-fils. Puis, à leur bras, il s’achemina lentement vers le château, suivi d’Elsa, dont les cheveux sombres, dégagés du capuchon qui avait glissé sur ses épaules, tombaient en longues mèches sur le visage bouleversé.
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