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1961 Words
      Thomas était sublime, tu le sais. Ce jour-là, nous sortions du concert de Niall Horan, nous qui étions fans du groupe dix ans plus tôt. Je me souviens que Tom et David attendaient dehors. Je n’étais pas censée le revoir, tu le sais. Le jour de ton mariage datait d’il y a deux semaines, toi tu rentrais de ta lune de miel et moi j’avais repris ma vie d’étudiante modèle. Tu étais trop jeune et je sais que c’est une réflexion idiote, mais tu étais trop jeune pour te marier. Tu le sais, aujourd’hui.            Quand nous sommes sorties de la salle, je me souviens de la manière dont tu t’es lancée dans les bras de David, comme si tu ne l’avais pas vu depuis des lustres. Je n’avais d’ailleurs pas compris puisque avant le concert, tu me disais combien tu avais le sentiment d’avoir fait une erreur. Aujourd’hui je sais que tu avais fait ça dans l’espérance de me voir te dire tout ce que tu espérais entendre alors que moi, j’en étais venue à espérer croiser Thomas tellement il hantait mes pensées. Ce soir-là, il n’était pas vêtu d’un smoking. Il portait un jean troué, une chemise satinée rose gold aux motifs baroques. Il avait des chaussures vernies aux pieds et une veste en jean sur le dos. Je me souviens de la façon dont son piercing au nez reflétait les lumières aux alentours. Il ne pouvait bouger sans que l’anneau brille. Il était beau. Ses cheveux noirs étaient plaqués sur son crâne, on aurait dit un casseur de l’époque. Un mec qui faisait partie d’une b***e de timbrés toujours prêts pour les castagnes. J’étais intimidée comme s’il était venu pour moi, alors qu’en réalité, il était juste en train de passer là et David l’avait arrêté. Je me souviens de comment il me regardait. Le vert de ses yeux n’était pas voyant, il faisait nuit et les lampadaires n’éclairaient pas des masses dans le coin, mais j’étais tellement attentive à son regard que je parvenais à voir la couleur de ses yeux juste en l’imaginant. En vrai, il me faisait penser au Dark Harry des fanfictions qu’on lisait à l’époque, lors de nos week-ends de folies. Je me souviens qu’on critiquait tout le temps les auteurs. Je me souviens que nous étions d’accord pour dire que même si nous ne connaissions pas Harry Styles en personne, il n’était certainement pas comme ils le décrivaient sur w*****d et Skyrock. Ah, quelle époque…            – Si j’avais su que je te croiserais, je me serais fait beau !            C’est ce que Thomas m’a dit. Tu t’en souviens ? Parce que moi oui. Je me souviens de mon rire nerveux, moi qui le trouvais déjà très beau comme il était, et je me souviens de ta façon de pouffer, toi qui n’étais pas fan de sa tentative d’approche.            – Il lui en faut plus pour la draguer ! Tu as dit.            – Qui a dit que je la draguais ? T’a demandé Tom.            C’est vrai, il ne m’avait pas dragué et pourtant, tu l’avais supposé comme si c’était sûr que ce soit ça. Comme si tu connaissais ses intentions moi qui les ignorais.            – Je te connais Thomas, tu dragues tout ce qui bouge…            Là, j’ai soupçonné que tu voulais saboter quelque chose qui n’avait pas encore débuté. J’étais gênée et cette fois, pas parce que j’étais enfin remarquée, mais seulement parce que tu te rabaissais à des choses que moi j’avais évitées de faire, quand c’était mon tour.            – C’est vrai, t’a soutenue David. Mais qui sait ! Peut-être qu'avec Asia ça sera différent !            Lui, il nous voyait déjà ensemble, Thomas et moi. J’imaginais qu’il voulait que je m’éloigne de toi.            – Ça ne vous dérange pas de parler comme si elle n’était pas là ? A demandé Thomas.            Et c’est là que j’ai su qu’il était différent des autres. De toi. Je me souviens de ce que j’ai dit, et même si je l’ai regretté à la seconde même, ça devait sortir ;            – Ils ont l’habitude de faire comme si je n’existais pas.            Thomas s’est tourné vers moi et ton regard était passé de la fille un peu trop sûre d’elle, à celle qui me haïssait du plus profond de son être. La manière dont tu m’as tourné le dos m’a blessée, mais j’imagine que je l’avais fait avant toi. David était resté là, devant moi. Il ne savait pas quoi me dire et je pense que le silence qui s’était installé a fini par le faire fuir pour te rejoindre. Ce soir-là, Thomas m’a embrassée parce que du coup, comme vous m’aviez laissée là, il avait changé ses plans, juste pour moi. Au lieu de se rendre à la soirée d’anniversaire d’un de ses amis, il m’a invité à boire un verre, et de ce verre nous sommes passés à une balade puis, à un banc aux pieds de la Tour Eiffel. Il ne faisait pas froid, même qu’il faisait lourd. L’orage tonnait, mais la pluie ne tombait pas et les grondements semblaient éloignés. Thomas avait croisé ses jambes, j’avais appris ce soir-là, qu’il était professeur en Arts et qu’il occupait son temps libre à d’autres activités. Qu’il n'avait jamais le temps de rien, pas même le temps d’avoir une petite amie. Il m’a demandé l’origine de mon prénom, qui, tu l’avoueras, n’est pas très commun. Asia… c’était simple. Mes parents avaient voyagé et c’est en Asie qu’ils ont appris qu’ils allaient devenir parents. Ils n’espéraient pas que je sois plus une fille qu’un garçon, c’est juste que quand ils ont appris que j’en étais une, le prénom a été choisi et ça tombait sous le sens pour eux. Asia Gisèle Lemoine. Il n’y a rien qui va, je le sais.            – Qui est Gisèle ? A demandé Thomas.            – La maman de mon père, j’ai répondu. Elle est décédée avant d’avoir pu me rencontrer.            Il a doucement grimacé, tout en tapant le mégot de sa cigarette sur son étui en argent.            – Moi, c’est Thomas Alexandre Leroy, a-t-il dit.            Il avait trente-deux ans, je n’en avais que vingt-quatre et toi tu étais déjà mariée.            – Tu fumes ? a questionné Tom.            J’ai répondu que non. Toi, tu savais déjà que mon père était atteint d’un cancer du poumon, lui qui fumait tel un pompier, et que ça avait été une raison valable à me dissuader de l’imiter.            – Ah, a dit le garçon. Je la fumerai plus tard alors…            – Mais non, l’ai-je empêché de ranger sa clope. Je ne maudis pas tous les fumeurs du monde sous prétexte que je témoigne des dégâts du cancer, l’ai-je rassuré. Tu as le droit de fumer.            – Je préfère attendre.            J’ai su dès lors qu’il prendrait soin de moi comme tu ne l’as jamais fait. J’ai su à cet instant précis que j’avais rencontré quelqu’un d’extraordinaire.            – Donc, tu étudies le commerce ? A demandé Tom.            J’ai répondu que oui. Que je faisais les mêmes études que toi, mais plus parce que j’étais paumée plutôt que par réelles ambitions. Il a doucement ri, m’ayant répondu qu’on a toute la vie pour comprendre à quoi nous sommes destinés. Comme si j’avais le droit d’apprendre à quatre-vingt-dix ans qu’en réalité, je voulais être coiffeuse.            – Tu dessines ? J'ai demandé comme une idiote.            – Non, je t’avoue je fais un soleil au coin de ma feuille et je demande à mes élèves de faire mieux que moi ! A-t-il dit pendant nous riions tous les deux. Quel challenge au quotidien !            – C’était bête de le demander, lui ai-je alors dit.            – Je dessine oui, énormément, a précisé Tom. Tout et n’importe quoi, mais j’aime croire que j’ai mon propre art. Peut-être qu’un jour des gosses m’étudieront !            Je l’ai souhaité de tout mon cœur, comme si j’étais déjà amoureuse de lui quand il l’a dit, mais revenons-en à l’essentiel. C’est-à-dire le moment où il m’a embrassé. Nous avions passé la soirée à faire connaissance. Nous n’avions pas grand-chose en commun et pourtant, nous étions toujours très attractifs envers l’autre. Très investis. C’était comme si l’univers voulait qu’on soit là, à comprendre que nous étions faits l’un pour l’autre, qu’une relation amoureuse ne se limitait pas à des points communs. Je me souviens que l’on marchait sur le chemin tracé pour s’éloigner de la Tour et comme si c’était ce qu’on avait à faire, nous nous sommes pris la main pour se la tenir tout le long. Encore aujourd’hui je me demande pourquoi et comment était-ce possible que ce soit si normal entre lui et moi. Je me souviens même avoir pensé que l’on s’était vu qu’une fois lors de ton mariage, puis une seconde ce jour précis. Je n’avais pas l’impression que ça allait trop vite et ni l’impression de me jeter dans quelqu’un que je ne connaissais pas. Au contraire, j’étais complètement sûre de moi. Je le connaissais à peine, c'est vrai, mais c’était comme ça. J’imagine que ce fût ton cas également, quand tu as rencontré David.            Je me souviens de la manière dont nous marchions. Parfois éloignés de l’autre avec nos bras tendus, pendant que nos mains restaient accrochées à celle de l’autre, et parfois, nous marchions collés à l’autre, à la limite de s’emmêler les pieds. C’est quand nous étions éloignés qu’il a tiré fort sur mon bras pour que je revienne à lui, moi qui riais d’une de ses blagues idiotes. Quand il a posé sa main sur mon cou, j’ai cessé de rire, comme si l’instant s’était suspendu. Comme s’il pouvait contrôler l’univers. Thomas a collé son front sur le mien. Son pouce s’est posé sur mon menton pour entrouvrir ma bouche qui ne savait même pas comment on embrasse quelqu’un correctement, moi qui avais eu peu d’occasions pour l’expérimenter. Je ne voulais pas te parler de ce passage précis de ma vie, je sais combien je t’ai brisée quand je t’en ai fait part, mais Lucie, ce passage de ma vie est sûrement l’un des plus importants. Thomas était là, le front collé au mien, le pouce sur mon menton à essayer d’entrouvrir mes lèvres et quand il a eu le cran de le faire, il s’est légèrement courbé pour pencher la tête sur la gauche afin de presser mes lèvres une première fois. J’avais les sourcils froncés, moi qui espérais mieux que ça, mais je savais qu’il n’en avait pas fini. Sa main s’était étalée sur mon cou et ses lèvres étaient restées trop proches des miennes pour que ça en soit fini. Je n’étais pas en train de penser à toi et d’ailleurs, je ne pensais jamais à toi quand j’étais avec lui. Je me souviens de la manière dont j’ai passé ma lèvre supérieure sur l’inférieure et la façon dont j’ai pris mon courage à deux mains. Il était juste là, plié en deux pour se tenir à ma hauteur. Il avait les yeux clos, on aurait dit qu’il se demandait s’il avait eu raison de m’embrasser, moi qui n’avais pas encore réagi. J’ai attrapé les pans de sa veste en jean et j’ai touché ses lèvres. Je n’osais pas jouer celle qui savait ce qu’elle faisait. Je m’étais juste contenté de plaquer ma bouche sur la sienne, sans oser quoique ce soit d’autre. C’est Thomas qui a fait le reste. Il a ouvert sa bouche et la mienne a suivi le mouvement. Nos langues ne se mélangeaient pas encore. Il ouvrait et fermait sa bouche sur la mienne, les mains autour de mon cou. Il s’agissait sûrement d’un des plus beaux jours de ma vie. Nous étions aux pieds de la Tour Eiffel toujours allumée, à échanger notre premier b****r. Qu’est-ce que je pouvais demander de plus ? 
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