Au piège de ma vengeance

Paris — Monsieur Kurkovich? M’interpelle le maître d'hôtel l'air curieux. — C'est bien moi. — Votre table est prête, la deuxième près de la terrasse. — Merci. Je remercie le responsable du restaurant qui a bien voulu m’indiquer l’emplacement de la table qui m'était réservée. Je m'y dirige, pensant aux événements de la soirée. Aujourd'hui c'est un grand jour pour moi, je vais demander Hélèna en mariage. Je vais le faire de la manière classique, devant un dîner succulent, au cours d'une conversation que je crois, sera animée. Elle et moi avons beaucoup de points en commun. Elle est ce qu'on peut appeler une beauté classique, blonde aux yeux bleus, sexy et attrayante. Elle fera bonne impression à mon père. Nous nous apprécions, je me suis attaché à elle et je crois que je tiens à elle. Bien entendu, à chaque fois que je lui dis que je l’aime, je sais en mon for intérieur que je ne suis pas tout à fait sincère. Je ne l'aime pas. Du moins pas autant qu’elle m’aime. Elle me l'a d’ailleurs démontré à plusieurs reprises. Je ne doute pas de ses sentiments à mon égard. Je ne doute pas des miens à son égard. Ils sont platoniques et passionnés. Certes je ne suis pas amoureux, mais je tiens beaucoup à elle, et je suis prêt à m'engager. Ne dit-on pas que dans une relation il vaut mieux que l'un soit plus amoureux que l'autre ? Elle a fait bonne impression à mon père, seul mon frère beaucoup trop perspicace, a deviné que nos sentiments ne sont pas partagés. Qu'importe ? Elle m'aime, je me sens bien avec elle, que vouloir de plus ? Rien évidemment ! Je ne suis pas de ceux qui espèrent  l'amour fou, ou encore qui croient au coup de foudre, moi je suis pratique et réaliste. N'allez surtout pas penser que j'ai eu une enfance difficile, que j'ai été trahi ou encore qu'on m'a brisé le cœur. Non. Mon cœur est entier et intact. Je suis juste pragmatique et je suis de ceux qui ne perdent pas leur temps sur des théories utopiques. J'ai eu une enfance heureuse, avec mes parents et mon frère, jusqu'à ce que ma mère ne meure assassinée, par des ennemis de mon père. Je n’ai donc pas eu un père ou une mère psychopathe qui m’aurait traumatisée. Je prends enfin siège à la table, élégamment décorée, je tapote ma poche pour vérifier si la bague y est toujours. Je regarde autour de moi. Le restaurant cinq étoiles est bondé, les gens discutent entre eux sans se préoccupé du monde autour d'eux. Mon regard se perd dans la contemplation d'un tableau de style contemporain, représentant une femme et son enfant. Une femme et son enfant. Je me remémore, l'assassinat de ma mère et mon cœur se serre. J'aurai dû être là, j'aurai dû rentrer plus tôt de cette soirée arrosée entre amis. Mon père et mon frère étaient en voyage d'affaires en Italie, elle était donc sous ma responsabilité. J'avais dix-neuf ans et huit ans plus tard, cette soirée me hante encore comme si je la revivais. Mon père, ne s'est pas encore remit de sa mort. Je le sais, car je voyais à quel point il était fou d'elle. Je me sens toujours honteux et coupable par rapport à cette nuit-là. C'est pourquoi peu de temps après la tragédie, j'ai quitté mon pays natal, la Russie, loin de mes souvenirs en essayant d'enterrer ma culpabilité. Il faut dire que je n'ai jamais été aussi apte que mon frère à comprendre ce monde de la pègre. Je me suis donc refait une vie ici à Paris avec le soutien indéfectible de mon père et de mon frère, la seule famille qu'il me reste. N'oublie pas Hélèna! Elle sera ma femme, et j'aurai bientôt une famille à moi. Une famille qui ne sera exposée à aucun danger, car j'ai pris le soin de prendre le patronyme de ma grand-mère maternelle : KURKOVICH. Ainsi, je ne suis plus Mickail OUDINNOV, depuis huit ans. Personne ne connait donc mon lien de parenté avec la puissante famille à la tête de la mafia Russe, les OUDINNOV. Mon père a délibérément laissé croire que j'avais disparu du jour au lendemain sans laisser de traces, pour me protéger. Certains me croient mort, d'autres encore ont oubliés mon existence en huit ans, ce qui n'est pas pour me déplaire. Mickail OUDINNOV est le fils cadet de Grigory OUDINNOV. Tandis que Mickail KURKOVICH est un investisseur russe qui a fait fortune dans le monde des affaires. Mon frère, Daniil, me demande de revenir en Russie mais, je ne pense pas dire oui. Ma vie est en France, avec Héléna. En parlant du loup... Je l'aperçois, se déhanchant sa robe moulante noire, ultra sophistiquée venir vers moi. J'esquisse un sourire, les cheveux relevés en un chignon impeccable dessinent l'ovale de son visage parfait. Des boucles en argent pendent à ses oreilles. Dès qu'elle me repère parmi les nombreux visages masculins qui se tournent vers elle, son visage s'illumine et ses yeux bleus pétillent d'un éclat espiègle. Elle est juste magnifique. Elle s'approche de moi, me donne une bise et un serveur que je n'ai pas vu venir, lui tire une chaise afin qu'elle prenne siège. Tu étais trop occupé à la contempler. — Je reviens plus tard pour prendre votre commande. Je hoche la tête pour lui donner mon assentiment. Léna, petit diminutif que je lui ai donné, balaye la salle des yeux, le regard admiratif. — Waah... ! Pourquoi m'as-tu invité dans ce restaurant ? J'espère pour toi que c'est pour me passer la bague au doigt ! — Et si c'était le cas ? — Je te dirai oui, sans une once d'hésitation. Je l'observe en silence, dernièrement elle est plus réservée avec moi. Peut-être que ma demande va la remettre d'aplomb. Sans réfléchir, je sors la petite boîte de ma poche, et je l'ouvre sous le regard ahuri de ma compagne. Ses yeux prennent la forme de deux soucoupes qui s’agrandissent d’émerveillement. — Mickail... Qu'est-ce que... ?? — Veux-tu m'épouser ? — Oh mon Dieu... Mickail... Tu es sérieux ? — Bien sûr. Elle se couvre le visage avec ses deux mains, en essayant de retenir son souffle. — Oui… Oui... Je le veux... Mon portable vibre et attire mon attention. Un appel maintenant ? Je la regarde d'un air désolé et elle m'arrache la boite des mains. Je suppose qu'elle me permet de décrocher mon appel. Un numéro inconnu ? C'est peut-être Daniil. Je décroche, sourire aux lèvres. — Allô Danii... — Votre père et votre frère sont morts aujourd'hui assassinés par des tueurs. C'est une blague ? Si oui elle est de mauvais goût. Je regarde l'écran de mon portable comme si je pourrai y voir la tête du plaisantin. J'ai discuté hier à mon frère. Il doit m’appeler sous peu pour savoir si Léna a accepté ma demande en mariage. — Qui êtes-vous et comment avez-vous eu mon numéro ? — Si vous ne me croyez pas, appelez les mais avant, je vous envoie les photos du m******e. La voix de mon interlocuteur, ne m'évoque aucun souvenir. Je repose ma question une nouvelle fois. — Qui êtes-vous ? — Vous êtes en danger de mort. Ils vont vouloir terminer le travail. — Mais répondez-moi bordel ! Clic ! Il a raccroché. Qui qu’il soit, il ne semble pas vouloir me répondre. Léna me dévisage inquiète. — Que se passe-t-il ? — Rien de... Une autre vibration et l’icône de la messagerie s’affiche sur mon écran. Une vive inquiétude s’empare de moi. Et si …si c’était vrai ? J’hésite à cliquer sur l’icône. J’essaie d’appeler mon frère en vain. Le cœur battant, je finis par ouvrir le message. Les images que j'y découvre me figent d'horreur. Papa, Daniil... Pas eux, pas encore... Non ! C’est impossible.