Chapitre 7

1312 Words
Mes jambes refusaient presque de me porter après quelques minutes à peine. La douleur me lançait dans les genoux, mais je serrai les dents, déterminée à ne pas lui montrer la moindre faiblesse. J’avais trop enduré pour fléchir maintenant. Pourtant, il s’immobilisa soudain, son regard se baissant sur mes jambes tremblantes. Il n’avait pas besoin de mots pour comprendre. — Tes jambes te font mal ? demanda-t-il d’une voix grave mais douce. — Juste un peu… rien de grave. Je peux continuer, répondis-je aussitôt. — Appuie-toi sur moi. Je fronçai les sourcils, cherchant à comprendre. Avant même que je puisse réagir, il m’avait déjà soulevée. Son geste fut si naturel, si sûr, que j’en perdis toute contenance. Il me portait dans ses bras, comme si j’étais une mariée. Mon cœur s’emballa, mes joues s’empourprèrent. — Je peux marcher, murmurais-je, gênée. — Repose-toi, répliqua-t-il simplement. Et il reprit sa marche, me tenant contre lui avec une aisance déconcertante. On aurait dit que je ne pesais rien, que j’étais faite d’air. Peut-être était-ce vrai. Mon corps, affamé et frêle, ne représentait pas un grand fardeau. Mon père avait toujours refusé de me nourrir convenablement, sous prétexte qu’une fille rassasiée devenait paresseuse. Les rares fois où j’avais tenté de voler un morceau de pain, il m’avait battue à coups de ceinture jusqu’à ce que je perde conscience. Un soupir s’échappa de mes lèvres. Ma vie venait de basculer en une seule nuit. Pour la première fois depuis des années, je ne me sentais plus en danger. J’étais entre les bras d’un homme dont je ne savais rien, sinon qu’il se disait roi des loups-garous et qu’il voulait faire de moi sa reine. L’idée me paraissait irréelle. Pourtant, la chaleur de son corps, la force tranquille de ses bras, tout cela me semblait si… sûr. Son parfum m’enveloppa lentement, comme une brume chaude et enivrante. Il avait une odeur unique — mélange de bois, de pluie et d’un quelque chose de sauvage. Sans m’en rendre compte, je posai ma tête contre son torse. Mon geste paraissait involontaire, mais au fond, je savais que je le faisais parce que j’en avais besoin. Ce parfum avait quelque chose d’apaisant, d’addictif. Mes paupières se firent lourdes. J’avais si peu dormi ces derniers temps… Je luttai pour rester éveillée, me répétant qu’il serait inconvenant de sombrer dans ses bras. Mais la fatigue gagna. Tout se brouilla. Et puis les voix revinrent. — Tu n’es qu’un fardeau. Une moins que rien. Personne ne voudra jamais de toi, cracha la voix de mon père. Son timbre brutal résonnait dans mon crâne. Chaque mot était un coup. — Espèce de bonne à rien ! Va me chercher ma bière avant que je t’apprenne à obéir ! Je tremblais. Ces mots, je les avais tant de fois entendus. Et je savais qu’il n’hésiterait pas à passer des menaces aux coups. — C’est de ta faute, Blue, entendis-je la voix douce et perfide de ma mère. Tu aurais dû l’écouter. Puis, comme un souffle d’air frais, une autre voix s’imposa, celle de Maxen. — Tiens bon, ma sœur. Ce n’est qu’un passage. Je te le promets, tout ira mieux. Mais les cris reprirent, plus forts, plus proches. — Reviens ici, espèce de traînée ! rugit Draven. Les insultes se mêlaient, se chevauchaient, jusqu’à former un brouillard de hurlements et de haine. J’avais beau fermer les yeux, leurs voix me poursuivaient, m’écorchaient. — Tu mérites de mourir ! — C’est ta faute ! — Personne ne t’aimera jamais ! Et au milieu de ce chaos, une autre voix s’éleva. Grave. Impérieuse. — Elle est à moi, maintenant. N’osez plus la toucher. Elle m’appartient. Je sursautai, haletante. Mon cœur battait à tout rompre. La voix résonnait encore dans ma tête : Elle est à moi. Était-ce un rêve ? Ou l’avais-je vraiment entendu ? Et surtout… pourquoi disait-il cela ? Je mis du temps à reprendre mon souffle. La sueur perlait sur mon front. En balayant du regard les alentours, je me rendis compte que je n’étais plus dans ses bras, mais allongée dans une chambre inconnue — immense, majestueuse. Le lit sur lequel je reposais était gigantesque, drapé d’un tissu bleu nuit qui rappelait la profondeur du ciel avant l’orage. Les oreillers étaient si nombreux qu’ils formaient presque une muraille autour de moi. Les murs, peints de la même teinte sombre, diffusaient une atmosphère à la fois apaisante et royale. Un chandelier doré pendait du plafond, parsemé de petites pierres argentées qui reflétaient la lumière vacillante des bougies. Les tableaux accrochés aux murs représentaient des paysages étranges — des forêts nocturnes, des lunes pleines, des créatures que je ne reconnaissais pas. Tout semblait irréel, comme si j’avais été transportée dans un autre monde. Une voix fluette rompit le silence, juste derrière la porte : — Je peux la voir maintenant ? Une autre voix, masculine, répondit doucement : — Pas encore. Elle doit se reposer. Tu la verras demain matin. C’était lui. Démétrius. — S’il te plaît, oncle Démétrius ! Je veux voir tante ! Tante ? Mon cœur fit un bond. Parlaient-ils de moi ? — Oncle Démétrius t’a dit d’attendre demain, ma chérie. Elle sera ravie de te rencontrer, mais elle doit dormir un peu, intervint une femme. Sa voix avait une douceur rassurante, presque maternelle. — D’accord, maman, répondit la fillette. — Viens, va jouer avec Alan, dit la femme avant d’ajouter d’un ton taquin : Et prends soin de ma future belle-sœur, grand frère. — Tu sais bien que je le ferai, répondit-il avec amusement. Des bruits de pas s’éloignèrent, puis la porte s’ouvrit. Démétrius entra, vêtu d’une chemise noire ouverte sur le col. Les reflets de la chandelle glissaient sur sa peau hâlée. Son allure dégageait à la fois autorité et sérénité. — Tu es réveillée, constata-t-il. — Oui, depuis quelques minutes. Cette chambre est… immense, dis-je en jetant un regard circulaire. — Elle te plaît ? — Elle est magnifique, répondis-je sans hésiter. — Parfait. Le guérisseur a pris soin de toi pendant ton sommeil. Tes blessures ont disparu. Instinctivement, je baissai les yeux sur mes bras. Plus aucune trace de bleus. Ma peau, auparavant marquée, semblait neuve. Une étrange légèreté m’envahit. Mais je remarquai alors que je ne portais plus mes vêtements. — Où sont mes habits ? — Les servantes t’ont changée, expliqua-t-il calmement en avançant d’un pas. Je baissai la tête, gênée, puis acquiesçai. — J’ai demandé qu’on t’apporte ton dîner ici. Tu es encore trop faible pour descendre, même si ma famille aurait aimé te rencontrer ce soir. — Ce n’est pas grave, je peux… — Non, pas maintenant, coupa-t-il avec douceur. Demain matin, tu les verras. Je hochai la tête, incapable de détacher mes yeux de lui. Son visage, à la fois dur et beau, semblait taillé dans la pierre. — Ma nièce est impatiente de te voir. Depuis qu’elle a entendu parler de toi, elle me supplie de t’amener ici. Elle est persuadée que tu es une princesse, ajouta-t-il avec un sourire rare. — Quel âge a-t-elle ? — Quatre ans. Et elle parle comme si elle en avait dix. Tu verras, elle va te charmer. — Je l’aime déjà, soufflai-je. Et c’était vrai. L’idée que quelqu’un puisse se réjouir de ma présence me réchauffait le cœur. — Bien. Repose-toi, maintenant. J’ai des affaires à régler, mais je reviendrai demain matin. Il se tourna vers la porte. Sans réfléchir, je l’appelai : — Démétrius ? Il s’arrêta. Sa silhouette se découpa dans la lumière dorée du couloir. Je sentis ma gorge se serrer. Mille questions me brûlaient les lèvres, mais une seule parvint à s’échapper. — Pourquoi moi ? Il se retourna lentement, son regard plongé dans le mien, intense, insondable. Puis, sans un mot, il esquissa un sourire — à la fois tendre et mystérieux — avant de disparaître derrière la porte close.
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