Je t’en supplie, ne fais pas ça… » C’était la dernière fois que je le disais, mais comme toujours, mes paroles se perdirent dans le vide. Le silence me répondit, puis un coup v*****t s’abattit sur mon ventre. Mon corps se plia sous la douleur ; je mordis mes lèvres jusqu’au sang pour ne pas crier, refusant de leur donner la satisfaction de me voir faiblir.
« Alors, tu vas recommencer ? » gronda Draven, sa main s’agrippant à mes cheveux avec brutalité.
Je voulus répondre, mais aucun son ne franchit mes lèvres. Ma gorge brûlait encore de l’étreinte qu’il y avait exercée quelques minutes plus tôt.
« Réponds-moi ! » hurla-t-il à quelques centimètres de mon oreille, sa voix rugueuse m’éclatant les tympans.
« Laisse tomber, Draven, » intervint Maxen, son ton las et détaché. « Ce n’est qu’une moins que rien. Inutile de perdre ton temps. »
Mais son frère ne l’écouta pas. « Parle, s****e ! » siffla-t-il avant de me gifler violemment.
C’en fut trop. D’un élan instinctif, je ripostai, mon poing heurtant son menton. Ma force n’eut sans doute aucun effet sur lui, mais ce geste me procura un soulagement amer.
« T’avise pas de toucher à mon visage, » crachai-je entre mes dents serrées.
« Espèce de petite ordure ! » rugit Draven, me tirant de nouveau les cheveux pour me forcer à me lever. Il m’asséna un autre coup de pied au ventre.
Mes yeux s’embuèrent, mais je refusai de pleurer. Pas devant lui. Jamais.
Il leva encore la main, mais cette fois, Maxen intervint. Il l’attrapa par les épaules, peinant à le retenir, et lui murmura quelque chose à voix basse. Je n’écoutais pas. Je ne voulais rien entendre. Je voulais juste disparaître.
Draven maugréa quelques mots avant de tourner les talons et de quitter la pièce en claquant la porte. Mes genoux tremblaient si fort que je crus m’effondrer.
« Viens, » dit doucement Maxen. « On va dans ta chambre. »
« Je… je ne peux pas marcher, » balbutiai-je, tentant d’étouffer mes sanglots.
Il soupira, passa un bras autour de moi et me soutint patiemment jusqu’à ma porte. Il la poussa du coude, referma derrière nous, puis me guida jusqu’au lit.
Quelques instants plus tard, il revint avec un bol d’eau et une serviette propre. Il s’assit à côté de moi, trempa le tissu et commença à nettoyer une plaie sur mon bras, laissée par la boucle de ceinture de Draven.
« Qu’est-ce que tu as fait, aujourd’hui ? » demanda-t-il calmement, sans lever les yeux.
« Je ne lui ai pas apporté sa bière. »
Il soupira. « Tu sais comment il réagit quand il n’a pas ce qu’il veut. »
« Je sais. Mais… j’ai croisé un animal sur la route. Il saignait. Je ne pouvais pas le laisser mourir comme ça. Je l’ai emmené chez le vétérinaire. Il avait une balle dans le flanc. »
« Et maintenant ? Où est-il ? »
« Dans la forêt. Je l’ai traîné jusque-là avec une corde pour qu’il retourne dans la nature. Il était lourd. J’espère qu’il survivra. »
« Tout l’argent du café y est passé, n’est-ce pas ? »
Je levai les yeux vers lui, amère. « Tu crois que je gagne quoi, en servant des cafés toute la journée ? Je n’ai pas les moyens de m’acheter des vêtements ni des livres. Et nos parents ne nous donnent rien — ils préfèrent se défoncer. Je ne comprends même pas pourquoi ils m’ont mise au monde s’ils ne voulaient pas de moi. »
Je repris, la voix tremblante : « Et Draven, lui, ne fait que boire, fumer, frapper et s’en prendre à des gamines. Et moi, je deviens son défouloir dès que sa bière manque. »
Maxen détourna le regard. « Je sais, Blue. Mais qu’est-ce qu’on peut faire ? »
« Aller à la police, comme je te l’ai dit. Mais toi, tu préfères te taire. T’es censé être le grand frère, non ? »
« Tu sais très bien que Draven nous tuerait. »
« Il me tue déjà, chaque jour un peu plus ! » explosai-je. « Et toi, tu te contentes de lui ramener des filles ! »
« Je ne le fais pas de bon cœur. »
« Tu le fais quand même. Tu le laisses souiller des gamines sous ton toit. Tu crois que ça t’excuse ? »
Il ne répondit pas. Ses mains tremblaient légèrement tandis qu’il rinçait la serviette dans le bol. « Ce n’est pas contre moi que tu devrais être en colère. »
« Alors contre qui ? Contre un père qui nous hait ? Une mère qui s’en fout ? Un frère qui me bat ? » Je laissai échapper un rire nerveux. « Je crois que je n’ai plus assez de colère pour tous. »
Max se tut. Il s’appliqua à nettoyer mes blessures une à une, avec cette douceur qu’il gardait pour moi seule. Il avait dix-huit ans, un an de plus que moi, et malgré tout, il restait ma seule ancre dans ce chaos.
Enfants, nous avions vite compris que l’amour parental n’existait pas pour nous. Père n’avait jamais voulu de fille. Il rêvait d’une lignée de fils, persuadé qu’ils hériteraient de ses richesses imaginaires. J’étais la tache dans son tableau, la fille indésirable.
Maman m’avait gardée près d’elle jusqu’à mes trois ans, puis s’était éloignée, absorbée par ses seringues et ses cachets. Comme si elle m’avait appris à survivre juste assez longtemps avant de m’abandonner.
Max et moi avons grandi dans cet enfer, mais la différence entre nous a toujours été flagrante : lui, on le tolérait ; moi, on me haïssait. À sept ans, Père m’avait frappée si fort que j’avais fini à l’hôpital. À ma sortie, il m’avait battue encore, furieux d’avoir dépensé de l’argent pour mes soins.
J’avais fini par apprendre à encaisser sans un cri. Pleurer ne servait à rien. Maman ne levait jamais la main, mais Père et Draven s’en chargeaient largement. J’étais leur exutoire, leur cible facile.
Draven avait vingt ans, Max dix-huit. Il disait souvent qu’il partirait après le lycée. J’espérais qu’il le fasse, même si je savais que je resterais seule face à Draven et Père.
Il y a une semaine, ce dernier avait failli me poignarder, fou de rage. Max l’avait désarmé à temps. Ce jour-là, j’avais crié que j’aurais préféré mourir plutôt que de subir encore leurs coups.
Depuis, ils me haïssaient davantage. Et chaque fois que je leur répondais, la punition redoublait. Max essayait de m’en empêcher, mais je ne pouvais pas me taire.
Je n’étais pas allée à l’école depuis plusieurs jours. Draven avait besoin d’argent et m’avait forcée à faire des heures supplémentaires au café. Il avait même obtenu un faux certificat médical affirmant que j’étais malade, pour justifier mon absence.
Tout l’argent que j’avais gagné ce jour-là était parti pour soigner l’animal blessé. Je me souvenais encore du moment où je l’avais vu. Marcello, mon voisin et camarade de classe, conduisait. Nous traversions la forêt quand une forme sombre sur le bas-côté avait attiré mon regard.
« Arrête-toi ! » avais-je crié.
« Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda-t-il, surpris.
Je descendis sans répondre et m’approchai. Le corps respirait encore, faiblement.
« Il faut le conduire chez un vétérinaire, » dis-je.
« Blue, c’est un animal sauvage. On ne peut pas… »
« Et on va le laisser crever, c’est ça ? » le coupai-je sèchement.
Il secoua la tête. « J’ai pas d’argent, pas maintenant. »
Je pris une longue inspiration. Je savais ce que ça allait me coûter. « J’en ai un peu. Ça suffira. »
Marcello s’accroupit à son tour. « C’est trop gros pour être un chien… »
Je me penchai davantage. Ma main trembla en effleurant sa fourrure. « Ce n’est pas un chien, » murmurai-je. Mon cœur battait à tout rompre.
« Alors quoi ? » demanda-t-il.
« Un loup… » soufflai-je, stupéfaite. « C’est un loup. »