11 octobre-1

2104 Words
11 octobreJour de la Saint Firmin, décapité en l'an 303, malgré ses nombreux miracles et guérisons. Ça m'a fait quelque chose de la revoir la Gisèle. Presque quarante ans après. J'étais fou amoureux d'elle quand j'étais jeune. Mais pourquoi était-elle allée se marier avec ce con de Gabriel, débile, alcoolique, une fille pareille ! C'était donner un rubis à un macaque. Elle avait pourtant accepté mes avances. La seule fois où on a couché ensemble, j'avais tout juste vingt-cinq ans. Incroyable ! Elle avait un de ces corps ! Noueux, musclé, des seins comme des citrons ; je me souviens encore de son petit bout de peau rugueux sous la fesse gauche. Comme un morceau de papier de verre fin de quatre cm2. Je ne me souviens plus de son explication : une brûlure, une blessure ? En tout cas, elle avait bien eu envie de faire l'amour, ce jour-là. Malgré son Gabriel de mari parti en mer, malgré son fiston dans la chambre d'à côté... Elle devait être en manque ? Et comme un con, je n'ai pas su l'honorer. L'émotion ? L'empressement ? Elle avait un vagin minuscule, serré comme une moule pas cuite. Je n'avais pas pu rentrer. La honte ! Pourtant, j'étais raide amoureux d'elle depuis des mois, voire des années. Elle était mignonne la Gisèle à vingt-cinq ans ! Souriante, des yeux bleus à faire pâlir Jane Fonda ! Pas très grande, mais alerte, souple comme une chatte. Je n'avais pas pu la visiter. Ceux qui disent que les femmes sont toutes pareilles, ils se trompent. Les hommes pensent aux centimètres de leur bite ; eh bien les femmes, c'est pareil, les différences, il y en a. Les vagins, c'est comme comparer une pâquerette à un glaïeul : les formes, les volumes ne sont pas les mêmes. Y en a qui pleurent à grosses larmes, d'autres qui sont secs comme des lichens. Gisèle, elle était sèche et étroite. Dommage ! J'étais fou d'elle. Et pourquoi, elle s'était entichée de ce Karl Schwarz à la trentaine ? Un boche ! Elle pouvait pas me garder comme amant ? Nous aurions bien fini par nous entendre au lit. Je serais bien parvenu à trouver la clé de son petit coffre. Un boche ! Et pourquoi elle a rejoint les autres pour me faire condamner ? Pourquoi elle m'a abandonné, alors que j'étais innocent ? J'ai eu l'idée d'acheter un camping-car en allant donner des cours de gestion au centre de formation à Rouen. Ça me faisait du bien de donner des cours. Ça me changeait de l'entreprise. Chef du service informatique, c'était sympa, mais j'avais besoin de changer d'air. Surtout à la fin de ma carrière. À partir de cinquante ans, j'étais blasé. Tous mes agents me faisaient chier. Surtout mon adjointe. Elle ne voulait pas coucher, alors qu'elle m'avait allumé comme un malade. C'est les putes sur le parking du centre de formation qui m'avaient donné l'idée. Sous le pont Guillaume-Le-Conquérant, elles étaient deux à avoir installé leur camping-car. J'y allais de temps en temps. J'alternais entre Lucie et Isabelle. Une brune, une rousse. Je m'étais dit : c'est quand même pratique un camping-car ! C'est suffisamment spacieux, confortable. J'ai acheté un petit C25 Citroën aménagé. Il a tout ce qu'il faut : un lavabo, un réchaud à gaz à deux feux, un frigidaire, plein de placards de rangement et une table qui sert de sommier quand je veux installer le lit avec les coussins dessus. J'y ai pris goût. Depuis ma retraite, je me balade pas mal. J'ai déjà visité une bonne partie de l'Europe. Et quand je reviens à Fécamp, je me gare avec tous les autres, le long du hangar à bois, au bord du bassin. J'ai l'impression d'être étranger chez moi. Entre des Allemands, des Belges, des Hollandais et parfois des Italiens, je me sens en vacances. Le mieux, c'est après l'été, comme maintenant. On a plus de places, la plupart des touristes sont partis. Ils ont peur des tempêtes d'automne, ils ne savent pas ce qu'ils perdent. C'est quand je l'ai vue passer tous les jours devant mon camping-car que ça m'a émoustillé. Pourtant, elle avait mon âge : soixante-cinq ans. Elle ne les faisait pas. Toujours vaillante, le pas rapide, toujours mince. Elle m'a reconnu. On s'est embrassés comme de vieux amis. Peut-être qu'elle avait oublié ? Elle a fini par accepter un café dans mon camping-car. On n'avait pas grand-chose à se dire... Toutes ces années ! Je ne sais pas ce qui m'a pris. J'ai eu envie d'elle. Comme si je devais rattraper ma panne de jeunesse. Mais je sentais bien qu'elle n'était pas prête. Une femme à cet âge-là, ça a la libido dans les chaussettes. Le troisième jour où elle est repassée le long du quai, je l'ai invitée et j'ai mis une sacrée dose dans son café. Elle n'a pas tardé à dormir sur mes coussins. Là, j'ai réussi à la pénétrer. Dommage qu'elle ne sentait rien. J'ai fait ce qu'il fallait. Du lubrifiant. Son vagin était toujours aussi étroit et aussi sec. La toison plus clairsemée, grisonnante. J'ai quand même pris un vrai plaisir. Je la revoyais jeune, attirante. C'est bizarre, mais un corps de femme est toujours plus jeune que son visage. Il vieillit moins vite, peut-être ? Il a moins de rides. Puis, elle s'est réveillée. Je l'ai étranglée. Je ne pouvais pas faire autrement. J'avais pris le temps de mettre des gants. C'est fascinant, la vivacité d'un cerveau ! Pourquoi j'ai tondu son crâne et peint une croix gammée sur son imper ? Ça m'a traversé l'esprit. Le souvenir de sa lâcheté ? Et en prime, je ne devais pas avoir digéré qu'elle soit partie avec un boche. C'est idiot. Une pulsion. Dans la nuit, je suis allé la pendre à la poutre extérieure du hangar à bois. Puis je suis parti avec mon camping-car. Vers la mer, à Saint-Pierre-en-Port. J'adore ce coin-là. Je l'aimais bien la Gisèle. Enfin, la Gisèle d'avant les événements. C'était une chic fille, d'après ce qu'en disaient les gens... Je me souviendrai toujours de ce petit coin de peau rugueux, juste sous sa fesse gauche. Elle l'avait toujours à soixante-cinq ans. Comme quoi, un corps, ça ne bouge pas tant que ça. *** Sur les réseaux sociaux et dans la presse locale, la photo de Gisèle Hanin imposait sa tristesse. Tous notaient : disparition inquiétante d'une pensionnaire de la résidence Albert Camus à Fécamp, âgée de soixante-cinq ans... Depuis la veille, elle n'avait pas regagné son petit studio et ses partenaires de dominos ne pouvaient plus jouer correctement. À trois, c'était moins drôle qu'à quatre. Et la gardienne avait peur de se faire houspiller par son employeur. Elle était censée surveiller les quarante résidants et surtout alerter le service municipal en charge des personnes âgées dès le moindre problème. Madame Grimont avait oublié. Gisèle Hanin était l'une des plus jeunes et l'une des rares valides à sortir faire ses courses au Carrefour Market sur les quais et à effectuer une longue promenade chaque jour, de la digue au centre-ville. Elle avait bien le droit de ne pas respecter les horaires de fermeture de la maison ; elle possédait ses clés, sa liberté. Il s'agissait d'une résidence, pas d'une maison médicalisée. Comment la pauvre gardienne pouvait-elle contrôler le va-et-vient de toutes ces vieilles dames et vieux messieurs ? Ces derniers qui n'étaient que six allaient bien au café d'en face sans autorisation, parfois même, ils rentraient saouls ... Est-ce qu'elle avait les moyens de tout savoir ? Sans doute allait-elle se faire disputer par une cheftaine de l'administration ? Eh bien, elle lui dirait d'aller se faire voir et de s'occuper de sa propre mère qui perdait les pédales dans une autre résidence, et qui parait-il n'avait guère de visites. Elle n'était pas en charge d'une réserve indienne, tout de même ! Gisèle Hanin était-elle en fugue ou réellement perdue ? Douze heures, était-ce grave ? Sans doute, puisque le maire fut prévenu et qu'il demanda à son webmaster de glisser un message de recherche sur le site de la ville et qu'il mandata sa chef de cabinet pour alerter la police. Il songeait à sa mère presque centenaire qui serait bien capable d'en faire autant en égratignant sa réputation de fils dévoué. Que penseraient ses électeurs, s'ils savaient la mère du premier magistrat en vadrouille, charentaises aux pieds et désespoir en bandoulière ? De négligence, on en arriverait vite à parler d'abandon et pourquoi pas d'indigne matricide ? Le traitement du troisième et du quatrième âge était une affaire sérieuse et surtout pourvoyeuse de voix dociles à chaque mandature. Il n'avait jamais analysé la sociologie de ses électeurs, mais d'instinct, les vieux devaient bien équivaloir à une bonne moitié d'entre eux. Ce n'était pas négligeable. S'inquiéter du sort de cette Gisèle Hanin relevait donc d'un acte de sagesse qui allait rassurer et montrer à tous ses administrés qu'ils avaient un vrai capitaine au gouvernail. « Tous devaient revenir au port après la tempête », c'était sa maxime fétiche qu'il ânonnait en toutes circonstances lors d'inaugurations de salles ou de ponctuation d'un conseil municipal. Non pas qu'il pilotât le Titanic ou le radeau de la Méduse, mais en bord de mer, il était de bon ton d'user de métaphores ou d'images marines. Cela marquait ses origines cauchoises et le distinguait de ses opposants, plus idéologues qu'attachés aux vraies valeurs de la famille et des traditions. Malgré une généalogie elliptique d'orphelin élevé par de braves religieuses du Foyer Saint-Michel, il était ainsi devenu au fil des années plus marin-pêcheur qu'un vrai terre-neuvas. Mais peu importait, il aimait la mer et cela suffisait à le rendre acceptable en public. *** Le commissaire Pierre Casanova avait été nommé à Fécamp dès sa sortie de l'École Nationale Supérieure de la Police basée à Saint-Cyr-Au-Mont-d'Or. Sur une promotion de cinquante-six élèves, il avait péniblement acquis le rang de cinquante-cinquième qui lui avait évité la honte suprême de conduire la voiture-balai de cet auguste cortège. Sa mère était morte avant les résultats de l'examen final. Déjà, il avait redoublé plusieurs fois au lycée et piétiné dans des études universitaires récréatives en sciences humaines. Sa chère maman l'avait heureusement inscrit au concours d'entrée de l'école de police proche de Lyon pour le recadrer un peu. Au moins, maintenant, il avait un métier. Non pas qu'il fût bête ou paresseux, Pierre Casanova faisait tout simplement honneur à son patronyme, qu'il tenait d'une très ancienne lignée corse, en courant après toutes les jupettes qui passaient à moins de vingt mètres de sa personne. Et comme il est difficile à tout homme de bien maîtriser deux dossiers en même temps, il avait privilégié la douce bagatelle aux cours magistraux en amphithéâtre. Sa nomination à Fécamp ressemblait au fruit d'un semi-hasard. D'ailleurs, il ignorait où se situait ce port sur la carte de France. Après avoir émis ses premiers vœux d'exercer en Corse ou sur la Côte d'Azur, le départ en retraite du commissaire Micheau avait imposé, au regard de ses piètres résultats, le non-choix de son affectation. Les corps bronzés des latines, le soleil et les olives attendraient une prochaine fois. Pour le rassurer, le responsable des affectations au Ministère de l'Intérieur lui avait malicieusement affirmé que s'il faisait ses preuves sur le terrain, il retrouverait la Méditerranée avant une dizaine d'années. Dix ans sous la pluie normande ! Il en frissonna tout de même. Arrivé depuis quelques jours, il s'était présenté aux diverses autorités municipales et consulaires, avait visité le port et découvert ses locaux humides dans une ancienne maison de la rue de l'Inondation. Comme quoi, il devait pleuvoir dans cette fichue région. Il avait salué sa vingtaine de policiers subalternes à la mine couperosée et s'étonna d'avoir pour adjointe une grasse inspectrice, fausse blonde, boudinée et maquillée à outrance comme une maquerelle reconvertie après des années de tapin. Les locaux du commissariat étaient relativement propres, parfois abîmés d'une peinture écaillée au rez-de-chaussée et dans l'escalier. La flotte automobile paraissait suffisante et peu cabossée. Il ne lui restait plus qu'à personnaliser son grand bureau du premier étage donnant sur la rue afin de chasser la grisaille extérieure de ce début d'automne capricieux. Mis à part quelques constats de conduite en état d'ivresse suivie de cellule de dégrisement, de trois femmes battues à auditionner et de nombreux PV à vérifier pour dépassement de zone bleue, le début de semaine avait été calme et cette disparition tombait à pic pour inviter Pierre Casanova à se dégourdir les jambes. Bizutage d'une première enquête en terre cauchoise. Il n'aimait pas particulièrement les vieilles personnes, mais son amour aveugle de la gent féminine lui imposait de secourir et de réconforter toute femme, même âgée de plus de soixante ans. Une vendetta qui avait mal tourné avait privé son enfance d'autorité paternelle et abouti à une adoration de sa mère à la limite de la bienséance éducative. À seize ans, il l'avait désirée à travers le miroir d'une armoire et cette attirance contre nature aurait pu être dramatique pour sa psychologie s'il n'avait été expédié à l'internat du lycée de Bastia pour parfaire ses études. Des copines aux phéromones actives avaient enfin remplacé sa pauvre mère, totalement étrangère aux pulsions sauvages d'une puberté qui traînait en longueur. Ah, si elle avait su ! La recherche de cette femme de soixante-cinq ans, perdue dans la nature, ressemblait à une sorte d'excuse morale qu'il se devait d'offrir à une contemporaine de sa chère maman, malheureusement décédée depuis peu. Pierre Casanova se présenta à la résidence Camus au moment du repas. Chaque premier jeudi du mois, la municipalité offrait un déjeuner gratuit aux retraités et le maire accompagné de quelques adjoints en profitait pour venir serrer les mains striées de veinules et flatter le dentier des anciens avec des histoires drôles plus ou moins grivoises. Une quarantaine de convives étaient attablés dans un brouhaha contraignant les sonotones à s'adapter aux décibels autorisés, ainsi, les durs d'oreille rejoignaient les plus éloignés de la réalité, même si parfois, un mot, une intonation ou une petite musique réveillait un souvenir anodin et déployait quelques larmes sur des joues parcheminées.
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