Jake
Will et moi, nous nous préparons dans la sacristie pour la messe qui commencera dans quelque minutes. Le thème d'aujourd'hui sera: l'exil. Se retrouver loin de chez soi et des siens.
Je ne sais jamais à quoi ressemblera mon prêche avant de commencer à l'écrire. Les idées me viennent au fur et à mesure et c'est seulement après en avoir fini la rédaction que je me rends compte qu'il y a une thématique dominante.
Avec Will à mes côtés, je me sens moins seul. Il est de très bonne composition et c'est assez facile de discuter avec lui. Il a l'esprit ouvert et a beaucoup d'humour. J'ai dû mettre la platine que j'ai acheté dans le salon car il me l'empruntait si souvent que j'ai dû me résoudre à la partager! Je commence à prendre mes marques à Bedford et j'apprécie la vie paisible que cela peut m'offrir.
En fin de compte, j'y suis arrivé... à trouver la paix... pensais-je avec satisfaction. Lorsque nous montons sur l'autel, je remarque que l'église est à demie remplit. Nous sommes au milieu des vacances d'été, la moitié de la ville est en congé, mais ce qui me surprend c'est d'y croiser un visage particulier: celui de Nora. Elle m'a bien fait comprendre que la messe, le dimanche, ce n'était pas son truc. Cependant, la voici là, assise au second rang, discrète et seule. Elle n'est pas accompagnée de ses parents.
Ravie de la voir à nouveau, je commence donc la messe en essayant de me concentrer sur ce que j'ai à faire. Heureusement, Will prend très vite le relai et je me repose un peu pendant qu'il fait les premières lectures. Je me mets en position de réflexion mais je ne peux m'empêcher de regarder dans la direction de Nora. Elle regarde Will et puis tout à coup, elle me regarde moi. Elle esquisse un sourire si mesuré que j'ai l'impression de l'avoir rêvé. Quand vient mon tour de prendre la parole, je me sens emplit d'une énergie nouvelle:
- " Il y a beaucoup d'histoires d'exil dans toutes religions. C'est un moment où l'on se retrouve seul, face à soit même pendant une longue période. Si certain y voit une punition, d'autre en revanche y trouve une rédemption. S'éloigner pour mieux revenir, certain dirait... Lorsque vous arrivez à supporter votre propre compagnie, sans devenir fou, c'est que votre esprit est fortifié. Quelque fois, on peut se sentir seul alors qu'on est entouré de monde. Certainement, parce-que la foule n'est qu'un leurre. Aujourd'hui, bien que l'église ne soit pas remplit, je me sens parfaitement entouré. J'espère que vous tous qui êtes ici, savez que: où que vous soyez et quoique vous fassiez, vous n'êtes jamais vraiment seul... "
...
Will et moi sommes postés devant la sortie de l'église où les paroissiens nous salut chaleureusement. Deux jeunes filles me serrent la main délibérément longtemps, avant de glousser dans la direction opposée. Alors que l'église se vide, j'ai peur d'avoir manqué Nora, mais elle sort de la bâtisse en dernier et vient à ma hauteur.
- Bonjour, Jake. C'était une messe très intéressante... je ne regrette pas de m'être réveillée aussi tôt pour y assister. Dit-elle d'une voix espiègle.
- Merci! Ravie que vous ayez manqué de sommeil pour ne pas rater ça! Répondis-je.
Elle salut Will, avant de s'adresser à moi à nouveau.
- Mon père m'a chargé de vous remettre votre nouveau poste de télé.
- Un nouveau poste de télé? Dis-je surpris.
- Oui, c'est pour moi! Réplique Will. Celui qui est au presbytère a rendu l'âme il y a un an et nous n'en avions pas changé depuis. Alors, j'en ai commandé un autre.
- C'est pour cela que vous êtes venu à la messe? Pour nous livrer la nouvelle télé? Demandais-je faussement outré.
- En quelque sorte... je ne voulais pas que ça fasse mauvais genre de venir après l'office, alors j'y ai assisté, mais je confirme ce que je vous ai dit plus tôt: je ne regrette absolument pas!
- Vous essayez de vous rattraper mais le mal est fait... mon ego a été profondément blessé. Répliquais-je.
Elle rit doucement et nous la suivons Will et moi jusqu'à sa voiture, puis portons le poste jusqu'au presbytère, Nora nous suivant de quelques mètres. Une fois à l'intérieur, elle tend à Will un reçu.
Faisant mine de partir, je réfléchit rapidement au prétexte qui pourrait la faire rester plus longtemps.
- Voulez-vous rester déjeuner avec nous? Dis-je abruptement. Peut-être que vos parents vous attendent...
- Non. Dit-elle en me coupant. Mes parents ne m'attendent pas. Je serai ravie de déjeuner avec vous.
- Bien, ça nous changera de notre tête habituel. Acquiesce Will.
Je lui sourit et la dirige à l'intérieur de la maison. J'essaye d'être discret, essayant de passer du temps avec elle sans qu'elle ne s'en aperçoive.
Une fois attablé, nous discutons à bâton rompu, Will, Nora et moi. De toute sorte de sujet. Nous avons préparé le déjeuner nous même et disons que la simplicité a été de mise: poulet au four et une simple salade. Mais Nora ne nous en tient pas rigueur et déguste son déjeuner avec appétit. Je décide de me taire quelques secondes afin de juste profiter de l'instant. Une compagnie agréable, de la nourriture simple et surtout, le parfum de cette femme incroyable qui vient chatouiller mes narines... j'ai l'impression d'être aussi proche du paradis que l'on peu l'être.
Une fois le repas terminé, Nora nous aide à débarrasser et même à faire la vaisselle. Bien qu'elle soit notre invité, elle a insisté pour participer. Nous ne mettons pas longtemps à laisser la cuisine aussi immaculée que possible. Alors que Will se retire pour une de ses "promenades contemplatives" comme il aime à les appeler, je propose à Nora de passer au salon. Elle s'assied sur la canapé et je cherche dans le carton près de la platine, un disque à mettre.
- Que voulez-vous écouter? J'ai les Stones, Pink Floyd, Aretha Franklin...
- Aretha! Dit-elle ne feignant pas son entrain.
J'obtempère donc, ravie par son choix. Lorsque les premiers accords de Think retentissent, je me détend enfin, mais décide malgré tout de rester debout devant elle. Je n'ose pas m'asseoir à ses côtés.
- Vous avez écrit depuis que notre discussion? Demandais-je pour ne pas laisser le silence s'installer entre nous. Je n'ai pas cesser de penser au poème que vous m'avez lu, vous savez... Je ne m'en rappelle pas vraiment, mais je me souviens de ce que j'ai ressenti quand vous me l'avez lu.
- Flamme Jumelle. C'est le titre du poème... et sachez que j'ai été très productive depuis notre entrevue! À vrai dire, je n'ai jamais autant écrit. J'ai l'impression que vous avez libéré quelque chose en moi. Dit-elle le plus simplement du monde.
- Ah bon? Et bien... tout le plaisir a été pour moi.
Nous nous regardons tous les deux, un long moment. Elle ne détourne pas ses yeux des miens, et j'aime ça.
- Je ne sais pas si vous avez le droit mais... jeudi soir il y a un groupe qui joue dans un club à Luton, ce sont des amis que j'ai connu au lycée, et comme vous avez l'air curieux... je me suis dit que si vous le vouliez, vous pourrirez venir avec moi? Dit-elle peu sûr d'elle.
- Je serai ravie de vous accompagné. Ça fait une éternité que je n'ai pas écouté de la musique avec de vrais musiciens.
Elle souffle soulagée par ma réponse.
- Pourquoi m'avoir introduit votre demande par "Je ne sais pas si vous avez le droit? " Demandais-je perplexe.
- Et bien... je me disais que vu votre condition, peut-être...
- Je n'ai pas le droit de me mélanger à la foule parce-que je suis vicaire? La coupais-je amusé. Ça ne marche pas comme ça Nora. J'ai des horaires vous savez, un peu comme vous avec votre travail au magasin. Ma foi, ne m'interdit rien. C'est à moi de savoir ce qui est bon pour moi. Bien évidemment, si l'archi-diocèse me voyait accouder au bar toute la journée ou danser tous les week-end au Pub, je pense que j'aurai des comptes à rendre, mais ce n'est pas le cas.
- Vous avez le droit de vivre, tout compte faite? Dit-elle avec un sourire narquois.
- Exactement! Et c'est bien ce que je compte faire.
Son sourire s'élargit et j'ai l'impression que mon coeur fait un bond dans ma poitrine. J'ai vraiment bien fait de mettre de la distance entre nous, sinon, je ne sais pas si j'aurai pu me contrôler.