II

1016 Words
II Or, deux mois auparavant, on avait su par le gardien de ce logis que la baronne y allait séjourner. Des ouvriers vinrent, firent les réparations nécessaires. Des domestiques apparurent, puis des voitures et des chevaux. Mais Hoël ignorait si la propriétaire de la belle demeure s’y trouvait maintenant. Il ne s’y intéressait guère, d’ailleurs. Le seul plaisir de voir ces jardins harmonieux lui suffisait et toute présence le lui gâtait. Mais il n’y avait personne en ce moment. Cependant, une porte du pavillon était ouverte et, sur le premier degré, un lévrier russe étalait sa blanche fourrure. Hoël s’assit sur un vieux banc de pierre moussue, contemporain séculaire de la fontaine. Il ouvrit son livre, y jeta un coup d’œil. En relevant la tête, il vit une jeune femme au seuil de la porte ouverte, d’où s’écartait le lévrier. Elle descendit les degrés d’un pas souple et léger. Sa robe vaporeuse, d’un vert de jeune feuillage, flottait autour d’une taille mince, élégante. Elle était blonde, avec un teint d’une blancheur neigeuse. Sa main droite tenait une ombrelle à long manche sur laquelle elle s’appuyait, en avançant d’une allure harmonieuse, un peu dansante, avec le beau barzoï à sa suite. Elle fit quelques pas dans le petit hémicycle de marbre, puis se détourna en appelant : – Kyra !... Ève !... Deux fillettes sortirent du pavillon et la rejoignirent. Toutes deux étaient blondes. Mais l’une, qui semblait la plus âgée et qui était vêtue de rose, avait de longues tresses d’un blond argenté ; les cheveux de sa compagne, d’une chaude nuance dorée, bouclaient sur le cou mince, autour du petit visage au teint de fleur. – Rentrons, mes mignonnes ; je vais vous donner votre leçon. Puis nous ferons une promenade à cheval avant le déjeuner. – Je suis fatiguée, grand-mère chérie ! Je ne pourrai pas danser. La fillette aux longues tresses s’approchait de la jeune femme et lui prenait la main, qu’elle baisa. Grand-mère ! Hoël crut avoir mal entendu. – Tu es une paresseuse, Kyra. Malgré tes grandes dispositions, il faut travailler pour acquérir la maîtrise de cet art difficile. Quelle agréable voix ! Caressante, légère, avec un peu d’accent étranger. La fillette riposta : – Je n’ai pas besoin de travailler comme Ève, puisque je n’ai pas à gagner ma vie. Elle se tournait à demi vers sa compagne, avec un petit sourire dédaigneux. Ève, les yeux baissés, caressait la tête du barzoï. La jeune femme eut un rire aux sonorités argentines. – Oh ! évidemment ! Mais quand on est la petite-fille de la Volonef, on se doit de danser convenablement. Elle prit la main de Kyra et s’en alla dans la direction de la maison. Ève les suivait, près du lévrier, toute blanche comme lui dans sa robe légère. Hoël les vit disparaître derrière un bosquet, il resta un long moment immobile, inactif, songeant à cette apparition. Était-ce la baronne de Bréhans, cette jeune et belle femme ? Pas la veuve d’Amaury de Bréhans, c’était impossible ! Au bout de quelque temps, Hoël rouvrit son livre et essaya de lire. Mais ces vers d’un barde breton qu’il aimait ne lui disaient rien maintenant. Il finit par fermer le volume et se leva pour s’approcher de la grille. Le beau jardin, maintenant désert, étendait sous le soleil ses pelouses, ses longues corbeilles fleuries, ses berceaux de roses et de clématites. La maison était beaucoup plus loin, derrière ces bosquets, ces arbres d’essences étrangères qui avaient si bien prospéré sous le ciel de Bretagne. Le son d’un violoncelle arrivait maintenant aux oreilles d’Hoël : chant plein de langueur, plainte amoureuse. Le jeune garçon l’écouta un moment, puis il se détourna et rentra dans l’ombre épaisse des marronniers. Par les allées herbeuses, il reprit le chemin du logis. Dans la cour, près du puits décoré d’une ferronnerie légère, une servante âgée lavait des légumes dans un seau. – Madame a demandé après vous, monsieur Hoël, dit-elle. Il monta les marches usées, entra dans le large couloir dallé de pierres qui partageait la maison en deux. À droite, il ouvrit une porte de chêne brillant et entra dans la pièce qu’on appelait « la salle ». Elle était longue, lambrissée de chêne, avec un haut plafond à poutrelles d’où pendait un antique lustre de cuivre. Deux fenêtres à petits carreaux lui donnaient, en ce jour ensoleillé, une suffisante lumière qui ne réussissait pas à l’égayer. De lourds meubles de chêne sculpté noircis par les siècles, en formaient l’ameublement. Autrefois, quand Haude de Penandour était une toute jeune femme, elle y mettait des fleurs et quelques tentures claires. Mais Hoël n’avait jamais connu cela. Il était toujours entré avec une impression de malaise dans cette pièce sévère où, près d’une fenêtre, assise dans un fauteuil à dossier sculpté, Mme de Penandour tricotait, ravaudait, inscrivait les dépenses de la maison. La lumière du dehors éclairait ses traits flétris, jadis si fins, son teint jauni, ses cheveux grisonnants restés abondants. Elle avait été une jolie femme et la beauté de ses yeux bleus demeurait, en dépit des paupières fanées. Elle portait une tenue austère d’une méticuleuse netteté, sur laquelle tranchait seul le doux éclat d’une petite croix d’or suspendue à un ruban de faille noire. Hoël ne se rappelait pas avoir vu sourire sa grand-mère. Aussi loin qu’il se souvînt, dans sa plus petite enfance, il lui avait connu ce visage si froid, ce pli d’amertume aux lèvres, ce regard qui semblait toujours se reporter vers quelque douloureux passé. Il savait qu’elle était restée veuve à trente ans. Demeurait-elle donc inconsolable, après tant d’années ? – Joséphine m’a dit que vous m’aviez demandé, grand-mère ? – Oui. Aussitôt déjeuner, tu iras chez ton oncle Efflam. Il faut qu’il aille à Quimper pour relancer ce notaire. Tu lui donneras cela... Elle prit dans un petit meuble à tiroirs une liasse de papiers qu’elle tendit à Hoël. – ... Et emmène Yolande. Elle a besoin d’exercice. Son regard enveloppa l’adolescent qui se tenait devant elle dans une attitude respectueuse, et une tristesse inquiète s’y refléta pendant quelques secondes.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD