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1126 Words
UnUniversité de Genève, bâtiment des Bastions, jeudi, 10h00 Adrien Meyer montait lentement les escaliers le menant à la salle de cours. Il avait le trac. La boule qui s’était formée au fond de son plexus grossissait à chaque pas. Malgré son expérience, les débuts d’année étaient un vrai supplice pour lui. Il faut dire qu’il n’avait jamais été très doué pour parler en public. Ce qui l’intéressait, c’était plutôt ses recherches, la Bibliothèque, et ses livres. Cette année, il avait choisi un sujet qui lui tenait à cœur et qu’il connaissait sur le bout des doigts : l’économie durant la période Hyksos en Égypte ancienne. Arrivant enfin à destination, il s’arrêta un moment pour observer tous ces gens qui allaient suivre son séminaire. Un grand nombre d’étudiants étaient déjà assis sur les bancs en train de décrire leurs dernières vacances ou leurs derniers examens. Adrien repéra tout de suite, avec un sourire en coin, les « premières années ». Il s’agissait des seules personnes qui avaient leur bloc de feuilles vierges devant eux, le stylo prêt à l’emploi. La crème de l’aristocratie de Genève était également présente, investissant comme à son habitude les deux premières rangées. Aussi loin que remontait la présence de l’Égyptologie dans les murs de l’Université de Genève, ces membres des familles patriciennes avaient toujours fait partie du décor. Les têtes ne changeaient que peu, uniquement quelques cheveux blancs en plus pour certains, et pour d’autres un nouveau lifting avec le vain espoir de cacher les méfaits du temps qui passe. Prenant son courage à deux mains, Adrien s’installa derrière son bureau comme derrière un bouclier, son allure s’apparentant ainsi à une tortue osant à peine sortir la tête de sa carapace pour affronter le danger. Il exhuma lentement ses notes de son sac et leva sensiblement la voix pour tenter d’imposer sa présence. Les chuchotements cessèrent petit à petit et toute l’assistance regarda cet homme aux lunettes rondes et aux cheveux rebelles qui semblait s’être coiffé à l’aide d’un pétard. Adrien se racla alors la gorge, remonta ses lunettes un peu trop lourdes et alluma le rétroprojecteur. Enfin terminé. Il respirait. Le cours s’était mieux déroulé que prévu. Il avait l’impression que les étudiants ne s’étaient pas trop ennuyés, malgré sa tendance à faire des digressions interminables et son habitude à réciter inlassablement une bibliographie trop longue pour être prise au sérieux. Adrien regarda sa montre, pressé par la montagne de travail qui l’attendait encore cet après-midi. Il devait absolument terminer la planification des derniers préparatifs du colloque d’Égyptologie qui devait se dérouler les dix prochains jours, sans compter qu’il devait finir une recherche en cours. En descendant les escaliers, il fut intercepté par un étudiant de deuxième année, Raphaël Bansac. Un garçon intelligent, trop intelligent. L’année précédente, Adrien et certains de ses confrères avaient été dans l’obligation de lui interdire de poser des questions pendant les cours car il avait pris la fâcheuse habitude d’intervenir toutes les cinq minutes, exaspérant de plus en plus l’assistance. Il l’arrêta immédiatement d’une main ferme et lui expliqua qu’il n’avait vraiment pas le temps de répondre à ses questions. Le jeune chargé de cours continua alors sa course, abandonnant l’étudiant stupéfait, son cahier de questions pendant dans sa main. Il sortit en frissonnant et rajusta son écharpe en regardant, contrarié, le temps humide et gris du mois d’octobre. Il fallait dire aussi que l’idée de son rendez-vous avec le professeur Fioramonti n’arrangeait pas son humeur. Il n’avait aucune envie de rejoindre le vieil homme grincheux. Il ne supportait plus son attitude hautaine et sa façon de tout ramener à lui, alors que cela faisait des années que le professeur n’arrivait plus à publier quelque chose d’intelligent. Adrien ne rêvait que de quitter cette Université, de ne plus dépendre de Fioramonti. Il avait toujours voulu partir plusieurs années en Égypte sur un chantier de fouilles. Mais pour que cela se réalise, il lui fallait faire son trou dans une profession à l’atmosphère aussi aimable et détendue que celle d’un concours de Miss Univers. Il traversa la rue de Candolle pour se rendre au numéro 2, où la Faculté des Lettres louait deux étages pour des salles de cours, et surtout pour y loger les bureaux des professeurs. On l’appelait le bâtiment Landolt, en raison du café du même nom situé au rez. Arrivé à destination, il toqua à la porte du bureau du professeur et l’ouvrit avec précaution. Il savait par expérience que Fioramonti avait un tempérament explosif qu’il n’arrivait plus à contenir quand il se sentait stressé. Celui-ci avait toujours l’impression de faire tout le travail, alors qu’en réalité il ne sortait quasiment jamais de son bureau et n’ouvrait la bouche que pour donner des ordres. Adrien trouva le vieux professeur dans la deuxième salle de son bureau en train de faire les cent pas. Son visage contrarié le faisait ressembler à un gros cochon laineux. En entendant arriver Adrien, il s’arrêta et lança un regard au jeune homme qui ne laissa rien présager de bon pour ce prochain quart d’heure. – Enfin vous êtes là ! Je pensais que vous m’aviez laissé tomber comme tout le monde ici en a l’habitude. C’est la catastrophe ! Les premiers invités viennent aujourd’hui et vous n’avez encore réservé aucun hôtel, ni organisé leur accueil à l’aéroport. – Ne vous en faites pas, Monsieur. Toutes les chambres sont réservées depuis au moins deux mois et l’hôtel organise lui-même l’accueil à l’aéroport. Un bus viendra les chercher. Toute l’intendance concernant la cérémonie d’ouverture est également complètement planifiée. J’ai téléphoné au traiteur à la première heure. Il m’a confirmé qu’il viendrait demain matin à 8 heures mettre les petits en-cas sur les tables installées à cet effet dans le hall d’entrée. La visite du Musée d’Art et d’Histoire ainsi que la petite excursion dans la Vieille-Ville pour le samedi sont aussi tout à fait prêtes. – Bon... Heureusement que je suis là pour tout vérifier, sinon on aurait couru droit à la catastrophe ! Il faut encore que vous vous rendiez au pressing pour chercher mon costume. Je suis tellement submergé de travail. Maintenant disparaissez ! Je ne supporte plus votre façon de tourner autour de moi. Il faut vraiment que je m’occupe de tout ici ! Adrien ne se fit pas prier et referma doucement la porte derrière lui avec un grand sourire. Ce petit entretien s’était mieux déroulé que prévu. Il avait craint de devoir vérifier pour la centième fois le discours du professeur pour l’ouverture du colloque. Mais ce dernier avait certainement trouvé une autre victime pour ce travail. Le jeune homme sortit dans le froid et se dirigea, la tête rentrée dans les épaules, vers la Bibliothèque où attendaient ses livres. Il détestait s’en éloigner trop longtemps, d’autant plus qu’il devait absolument finir son article avant sa conférence lors du colloque de la semaine suivante. Le matin même, il avait averti son compagnon qu’il comptait travailler à la Bibliothèque jusqu’à sa fermeture, puisqu’il passerait probablement encore à son bureau. Il plaçait beaucoup d’espérance dans sa dernière recherche. Il était en effet persuadé que les résultats allaient enfin faire parler de lui. Ainsi, une proposition pour un poste plus prestigieux pourrait se présenter, lui permettant de réaliser son rêve : mener des fouilles archéologiques à Avaris, ancienne capitale des rois Hyksos, dans le Delta du Nil.
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