Elle sourit et se détend finalement. Je pense qu’elle m’a pris pour un dragueur à la sauvette, un de ces gaziers qui pense qu’une femme n’est qu’un bout de viande qui se consomme, un objet qui s’apprécie juste pour sa chair, un être inférieur sur lequel on passe ses bas-instincts quand bon nous semble... Ce qui n’est absolument pas mon cas, je ne suis pas comme l’abruti de président ricain Donald Trompe ! Non, j’aime les femmes qui savent faire preuve d’esprit, d’imagination, d’humour... Bon, c’est vrai que je suis amateur de bonne chair, mais il faut que la conversation soit intéressante également, sinon de quoi parleraient hommes et femmes entre deux parties de jambes en l’air ? Je laisse la misogynie aux cons, tout comme je laisse le féminisme EXTREMISTE aux connes. Sans déconner, soyons tous unis contre la connerie ! Vilipendons ensemble ces abrutis de la pire espèce que sont cette race de gens qui haïssent les autres par ignorance, par bêtise primaire. Envoyons au piquet d’exécution tous les enfoirés de cette triste planète ! Voilà mon mot d’ordre ! À bas la médiocrité ambiante ! Faisons taire les inepties quotidiennes que l’on peut entendre de-ci de-là ! Regarde : moi qui n’adule pas la police, j’en ai un spécimen à ma table, à qui j’ai envie de tendre la main (voire plus si affinités, certes !), preuve que je sais faire preuve d’ouverture quand il le faut ! Mais laissons ces élucubrations de côté pour revenir à ce qui t’intéresse !
Nous entamons donc la conversation par des banalités de politesse, puis enchaînons sur des sujets plus poussés, en passant par la décapitation de Louis XVI (64) jusqu’aux meilleures marques de raboteuses à bois. Je me rends compte qu’elle est très drôle et cultivée, à des milles du flic moyen que j’aurais pu imaginer. Elle doit penser la même chose de moi, car je vois qu’elle rit et se sent à l’aise au final. Je ne voudrais pas passer pour un prétentieux, mais je pense qu’elle commence à être sous le charme, ce qui n’était pas gagné il y a deux minutes ! En fait, le courant passe bien, comme l’a si joliment dit William Kemmler, premier condamné à mort par la chaise électrique, le jour de son exécution ! C’est un repas agréable, bien meilleur que je n’aurais pu l’imaginer quand il a commencé ! Je termine mon andouillette et commande des kawas. Nous sifflons nos expressos à la va-vite, casquons la note chacun notre tour, et zou, on est dehors.
« Bon, lieutenant, je vous laisse aller faire vos basses-besognes ! m’amusé-je.
–Et oui, il faut bien qu’il y en ait qui s’y collent, relativise-t-elle. À bientôt donc, nous nous recroiserons sûrement dans un cadre plus professionnel. »
Nous nous serrons la louche cordialement une fois de plus, et elle se casse direction la maison poulaga. Allez, je me la fais comme dans les films basiques : si elle se retourne, c’est qu’elle veut me revoir. Banco ! Elle le fait, et avec un smile XXL. En fait, ça me fait juste marrer. J’ai toujours essayé ce truc à la con, ça n’a jamais fonctionné, et aujourd’hui, eh bien ça marche. C’est pas un signe ça ? Non, tu penses que c’est du bidon ? Eh bien peut-être, mais un petit quelque chose me dit qu’il y a anguille sous roche, et que dans pas longtemps elle soulèvera cette roche pour y trouver mon anguille ! Je m’enflamme ? C’était un banal repas dû au hasard ? Je te répondrai connement que l’espoir fait vivre...
Je me casse du quartier, achète un canard, le Canard Enchaîné d’ailleurs, et file dans un café de ma connaissance nommé, justement, « Au Point Nommé ». Toujours pas envie de rentrer à la casbah. J’arrive dans cet établissement vieillot et passé de mode. Pourquoi vais-je dans un tel lieu te demandes-tu ? Eh bien simplement parce que le taulier est sympa, les cafés et le vin bon marché, et que parfois j’ai l’occasion de bien me marrer avec une partie de la clientèle, pas avare de conneries en tout genre. Le boss se fait surnommer « Fifi », diminutif de Philippe bien sûr, est un gonz d’une cinquantaine d’années, bedonnant, bourru, l’air pas commode au premier abord, mais au fond un brave bougre qui n’a pas tout le temps eu de pot dans sa chienne de vie. En gros, il est très seul, ayant perdu sa femme et sa fille dans un bête accident de bagnole, et passe son temps à ruminer le passé. Mais heureusement, il est aussi amateur d’humour noir, pardon, de couleur, et j’avoue que parfois, je me bidonne bien avec lui. En arrivant, je pousse la lourde en évitant les trois clampins sur le trottoir qui tirent goulûment des taffes sur leurs cibiches.
« Ça gaz Fifave ? lancé-je à Fifi occupé à rincer des verres derrière son comptoir, tel un bon barman digne de ce blase.
–Vladimir ! Ça roule ma poule ?
–Au poil ! J’étais chez les bleus il y a à peine deux plombes, tu penses bien que je pète le feu !
–Allons bon !! s’exclame ce brave individu. Qu’est-ce qui s’est passé ? Raconte !
–Carrément, mais sers-moi donc un blanc-limé avant toute chose. J’ai besoin d’un remontant. »
Il s’exécute, tandis que je commence à lui narrer ce qui m’est arrivé depuis ce matin. Il s’exclame des « bon dieu ! non ! c’est pas vrai, houlala », etc.
« Fais gaffe à la fliquette, c’est des nids à emmerdes ça ! me conseille-t-il en aminche.
–T’inquiète, je compte pas spécialement la revoir », éludé-je.
Il file s’occuper de deux locdus quasi en coma éthylique, tandis que je siffle mon white. C’est pas le tout, mais j’avais un coup de fil à passer, j’en profite. Tut...tut...tut... Excuse-moi, ce n’est qu’un simple klaxon dans la rue, je ne sais pas imiter la sonnerie du bigo avec des mots !
« Vladimir !! résonne une voix joviale dans le combiné.
–Alex! C’est moi. Tu sais pourquoi je t’appelle.
–Bien sûr, bien sûr...Je ne t’ai pas rappelé, car j’attendais la réponse de mon contact en Guyane, je l’ai eu seulement ce matin...
–Et ??? m’enthousiasmé-je.
–Eh bien c’est non, je suis désolé... Il a trouvé quelqu’un de moins cher que toi sur place, se lamente-t-il.
–Dommage, dommage... Tu n’as pas un autre plan ?
–Que dalle pour l’instant, mais je te tiens au jus si jamais...
–OK. À plus. »
Merde ! (Flûte ! devrais-je dire, si j’étais un véritable écrivain. Mais la vérité, c’est que je suis plus acteur, car je joue avec les mots, un acteur de mots en quelque sorte, et non un acteur homo comme Mr Spock ! Ceci dit je n’ai rien contre les homos, a contrario des acteurs...). Tu ne piges que pouic à ce que je viens de déblatérer. Normal, je ne t’ai pas encore expliqué. Eh bien c’est simple : Alex est mon pote rencontré à l’île du maïs, comme je te l’ai dit précédemment, et chez qui j’ai squatté un temps. Il m’avait branché sur un boulot intéressant. Il s’agissait d’organiser une expédition en Amazonie, pour aller chercher une espèce bien particulière de plante, qui ne pousse qu’en zone reculée. Et devine ses particularités. Elle fait repousser les cheveux ! Tout connement ! Et le gonz avec qui Alex était en contact bosse pour une boîte spécialisée dans les problèmes capillaires. Il comptait récupérer des extraits de cette plante, en extraire les molécules, et fabriquer des gélules qui feraient le bonheur de tous les crânes lisses du monde ! Pas con, non ? Et Bibi, aguerri pour les expéditions tropicales, devait se rendre au milieu de la jungle, accompagné d’indigènes locaux, pour ramener des échantillons. Cela faisait un moment que c’était sur le feu, et j’avoue que ce plan me bottait bien. Tant pis, il va s’agir de trouver autre chose, le blem est que je n’ai pas un pion en poche ! Tant pis, foutu pour foutu, autant s’y foutre ! Je recommande un blanc-limé. Et c’est ainsi jusqu’à la fin de l’aprèm... Quelques heures plus tard, un brin éméché, je décide d’aller retrouver mes pénates. Rue, tromé, re-rue, escalier, puis la lourde de mon appart. Ahhh ! Le calme apaisant de ces 30 mètres carrés me met du baume au cœur... Cela dure 5 minutes, et un boucan du diable me tire de mes songes. Pam, pam, pam, hin, hin, hin, oh oui, encore allez, ouh, etc... Pas besoin de te faire un dessin ? Tu piges ? Et oui, la voisine est assez expressive, ce qui est tout à son honneur, mais malgré tout, j’ai tendance à penser qu’elle simule à mort ! C’est pas la première fois qu’elle me fait le coup, et ses hurlements fanfaronnesques sentent le fake à plein nez ! J’aime autant te dire que je suis habitué à offrir des râles de plaisir idylliques à mes partenaires, et un bon gémissement est celui qui va crescendo, et non celui qui relève plus du cri de torture dès le début que du voluptueux chant lyrique qui vient tout doucement ! J’ai déjà croisé cette radasse dans les escaliers, et dans le genre p*****e, elle se pose là ! Vulgaire à souhait, fouettant l’eau de Cologne bon marché comme une otarie pue le poisson, elle doit friser la cinquantaine, mais rêverait d’en avoir vingt-cinq. Pas de bol, les ravages de l’âge et de l’alcool ont fait leur effet, et je la trouve aussi dégueulasse qu’une vieille tapineuse après 40 ans de carrière ! Elle me lance des sourires qui en disent long sur ses intentions chaque fois que nous nous croisons, je me cantonne toutefois aux simples usages de politesse, de peur qu’un jour elle m’alpague dans un coin de la cage d’escalier et me fasse glisser ses longs ongles vernis couleur chiotte sur mon torse velu juste ce qu’il faut (si si, je t’assure !). Mais bref, les plaintes de cette avarie ambulante me font penser à ma petite condé arbi de midi. J’aimerais la revoir en fait. Je suis persuadé que ce ne sera pas facile, mais j’aime le défi ! C’est toute ma vie ! Je pense que la facilité, et ceci est valable pour tout, mais absolument tout, est l’apanage des branques ! La vie est une longue série d’embûches, et il est de notre devoir de les éviter, les résoudre, de cogiter pour faire avec. Tout le temps prendre le chemin le plus facile est bien entendu le plus simple, mais pas le plus excitant. Il existe des défis, ils sont faits pour les relever, c’est les joies de la vie, qui te permettent de découvrir d’autres choses et ne pas sombrer dans un quotidien morne et sans intérêt.
Bref, tout en te racontant ces quelques élucubrations, je glisse ma paluche dans la poche de mon jean pour me gratter une burne, et je tombe inopinément sur une carte. Tu devines laquelle, bien entendu : la carte pro de la petite (bien qu’elle fasse 1m90 !) Latifa. Je saisis mon blablate-merde et compose le number, il n’est que 17h30 je suppose qu’elle doit encore être à son burlingue.
« Oui ? résonne sa douce voix de gazelle de l’atlas.
–Ouuuiii, heu, c’est Vladimir, bredouillé-je.
–Ah ! lâche-t-elle simplement.
–Je me permets d’appeler, car quelques détails au sujet de la fusillade de ce matin me sont revenus en tête...
–Très bien, venez au commissariat demain, et un collègue prendra votre déposition.
–C’est-à-dire, j’aurais aimé vous en parler en personne, je ne suis pas très à l’aise avec vos collègues et...
–15 heures ça vous va ? coupe-t-elle.
–Ce sera parfait ! À demain !
–À demain, au revoir ! »
Tac, ça c’est fait. Ça me laisse le temps d’inventer un baratin quelconque. Je commande une pizza pour 19 heures, me cale devant un bon vieux film du sieur De Funès (j’ai grand besoin de me vider l’esprit), et me prépare à passer une soirée célibataire comme je les aime... Mis à part les couinements de la traînée du dessus qui continuent, tout est au poil...
Le lendemain, je me dirige vers la basse-cour. J’ai une dizaine de minutes de bourre, mais c’est de bon ton : je n’aime pas arriver pile à l’heure, j’apprécie que l’on m’attende légèrement. J’entre dans cet établissement où une certaine tension se fait sentir. Deux vieilles putes au rabais se font embarquer de force et hurlent dans l’entrée, tandis qu’un vieux schnok se plaint au factionnaire-réceptionniste qu’on lui ait fauché sa tire en car jacking (il prononce carjaki !). J’interromps ce débris et m’annonce. Les deux, le keuf et l’ancêtre, me matent de trav comme si je leur demandais de se mettre à poil et de se fourrer un concombre dans l’oignon ! Le vieux recommence à vitupérer après une œillade pleine de défi, mais heureusement pour oim, le flicard le coupe.
« Attendez un instant monsieur, » lui ordonne-t-il.
Il saisit son téléphone, compose deux chiffres, signe que c’est un numéro interne. Il prononce quelques mots, puis me demande comme tout bon flicard :
« Vos papiers s’il vous plaît ! »
Je lui file mon passeport, il reluque, et grommelle : « au fond du couloir », tandis que Mathusalem recommence à raconter son histoire, ce qui semble particulièrement agacer le flic qui semble l’avoir entendue au moins trois fois. Je traverse cet endroit dénué de toute fantaisie, et arrive devant la porte du burlingue de mon interlocutrice privilégiée. Je toque, elle m’invite à entrer. J’entrouvre un brin, passe la tête et prononce un bonjour langoureux à souhait, ce qui la fait éclater de rire !
« Hihihi, des branquignols j’en ai déjà eu, mais des comme vous jamais ! Vous sortez d’où avec votre petit numéro ? Rentrez donc et asseyez-vous. Bon, j’espère que vous n’êtes pas venu pour me faire perdre mon temps monsieur Vladimir.