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273 Words
Voyage sentimental« Oh ! ce sujet, dis-je, se traite avec bien plus de méthode en France. – Quoi ! vous auriez vu la France ? répliqua mon interlocuteur avec vivacité en se tournant vers moi de l’air le plus civil et le plus triomphant. – Étrange prérogative, me dis-je à moi-même, que donne aux gens une traversée de vingt et un milles maritimes ! car il n’y a absolument que cette distance de Douvres à Calais. Allons ! c’est ce qu’il faudra voir par moi-même. » Je termine brusquement la dispute. Je vais droit chez moi, j’assemble à la hâte six chemises et une culotte de soie noire. « L’habit que j’ai sur moi peut encore passer », dis-je en jetant un coup d’œil sur chaque manche. Je retiens une place pour Douvres, et le paquebot partant le lendemain à neuf heures du matin, je me trouve sur les trois heures en face d’une fricassée de poulets, apprêtée pour mon dîner, et si incontestablement assis en France que, si une indigestion m’eût emporté pendant la nuit, rien au monde ne pouvait défendre mon petit bagage des invasions du droit d’aubaine. Chemises, culotte de soie noire, porte manteau, tout enfin devenait la propriété du roi de France ; je n’en excepte pas même ton portrait, Éliza ; cette miniature si chère que je porte depuis si longtemps, et que je t’ai juré tant de fois d’emporter au tombeau. On l’eût arrachée de mon cou : usage barbare ! Quoi ! ravir la dépouille, saisir les débris de l’étranger imprudent que vos sujets ont appelé sur leurs côtes ! Oh ! parbleu, Sire, cela n’est pas bien ! et ce qui me peine le plus, c’est d’adresser le reproche au monarque d’un peuple si courtois, si poli, si renommé pour la délicatesse de ses sentiments. Eh ! vous le voyez bien ; à peine ai-je reposé mon pied sur votre territoire !
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