Calais

343 Words
CalaisJ’avais fini mon dîner par une rasade à la santé du roi de France, et venais de m’assurer que, loin de lui garder rancune, je professais au contraire une haute estime pour sa personne et l’humanité de son caractère ; je me levai de table plus haut d’un pouce par l’effet seul de cette réconciliation. Non, les Bourbons, ajoutai-je, ne sont point une cruelle race. On peut les égarer sans doute comme le reste des mortels ; mais il y a de la douceur dans le sang de cette famille. En faisant cet aveu, une rougeur de l’espèce la plus bénigne vint tapisser mes joues, avec une chaleur si suave, que le bourgogne (de deux livres la bouteille pour le moins) que j’avais bu à mon dîner n’eût jamais pu produire un épanchement aussi ami de l’homme. « Juste ciel ! m’écriai-je en rangeant de côté ma valise avec le bout de mon pied ; parmi les biens de ce monde, qu’est-ce qui peut donc ainsi aiguiser nos animosités, et faire trébucher si cruellement dans les sentiers de la vie tant d’hommes appelés à y vivre avec fraternité et bienveillance ? » Quand l’homme est en bonne intelligence avec ses semblables, le plus lourd des métaux acquiert dans sa main la légèreté d’une plume. Sa bourse n’est plus comprimée par la défiance ; elle se joue entre ses doigts ; ses regards se promènent autour de lui, comme pour chercher avec qui la partager. C’est ce que je faisais moi-même en ce moment : un sang plus fluide se dilatait dans mes veines, mes artères battaient avec harmonie, toutes les puissances de mon âme remplissaient leurs fonctions vitales par un frottement si léger, que la précieuse de France la plus physicienne en eût été confondue. En dépit de son matérialisme, je n’eusse plus paru à ses yeux une simple machine. « Je suis sûr à présent, me dis-je, de bouleverser toute sa doctrine. » Cette idée additionnelle porta mon exaltation naturelle aussi haut que possible ; je m’étais mis en paix avec l’univers avant que cette pensée me fût venue : elle acheva le traité commencé avec moi-même. « Quel moment ! Si j’étais roi de France, oh ! quel moment pour l’orphelin qui aurait à me redemander le porte manteau de son père. »
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