Chapitre I

601 Words
IFirmin Lacombe sortit sur le pas de sa porte en faisant claquer sur ses épaules les bretelles de son pantalon. Il s’était levé, comme d’habitude, avec le soleil, ou presque, parce qu’il aimait cette heure fraîche où des écharpes de brouillard s’étirent encore sur les méandres paresseux de la rivière, en bas, dans la vallée. Il avait pris aussi l’habitude, pour laquelle sa femme le rabrouait régulièrement, d’aller pisser sous les arbres, à côté de la maison, en contemplant le paysage paisible, immobile comme une carte postale. Quand Lucienne rouspétait « quand même, tu vois bien que c’est pas convenable », il répondait seulement « tu parles, à cette heure, y a personne » et il continuait ainsi tous les matins à abreuver les roses trémières qui ne s’en portaient finalement pas plus mal. Ce matin-là cependant, son attention fut d’abord attirée par un large envol d’hirondelles, en même temps qu’un bref éclat de soleil, qui avait dû se refléter dans une fenêtre du château, parcourait les feuillages des chênes verts plus loin sur la falaise. Il eut aussitôt le réflexe de se cacher, mais la curiosité l’emporta et, se reboutonnant en hâte, il observa ce qui se passait là-haut. Presque au sommet de la tour la plus élevée, une petite fenêtre à meneaux s’était ouverte en effet et une scène étrange se déroulait. Quelqu’un s’efforçait de faire passer par l’étroite ouverture carrée une chose que le père Lacombe prit d’abord pour un vieux matelas ou quelque autre objet gonflable qui lui parut blanc verdâtre. On aurait dit quelque chose de répugnant comme un gros ver sortant d’un fruit, mais finalement il pensa bien reconnaître un mannequin. Il y avait de belles armures là-haut, dans les salles, que l’on astiquait probablement très tôt le matin afin de les rendre plus étincelantes pour les premiers visiteurs. Et l’on avait dû, pour le coup, remplacer ce jour-là un mannequin fatigué. Le père Lacombe trouva que, tout de même, c’était une curieuse manière de faire le ménage mais ne s’en inquiéta pas outre mesure. Après tout, ça ne le regardait pas, et on voit des choses tellement bizarres. Finalement, il vit l’objet s’extraire tout à fait. Et tomber. Comme une grosse poupée qui sembla se désarticuler en heurtant plusieurs fois la muraille avant de rester accrochée, coincée entre la roche, au pied de la tour, et les branches des premiers arbres « Hé bé miladiou ! C’est sûr qu’ils vont s’amuser pour le récupérer ! C’est une blague ou bien quoi ? » Il n’avait rien entendu mais, en haut, la fenêtre se refermait renvoyant dans les arbres de la falaise un nouvel éclat doré. Firmin rentra chez lui où se répandait l’odeur du café que sa femme venait tout juste de préparer. Il chercha d’abord dans le tiroir du buffet son appareil auditif qu’il installa tranquillement tandis qu’il s’asseyait à la longue table de la cuisine et il appela : — Lucienne ! — Oui ! Eh bé, crie pas comme ça, je suis pas sourde, moi ! Il cherchait ses mots pour décrire la scène à laquelle il venait d’assister quand il se dit que, tout compte fait, il valait bien mieux se taire que de s’attirer encore quelque remarque désagréable sur ses “vilaines manies” etc. Il se versa un grand bol de café. — Non, rien, je voulais dire que je vais aller voir le tabac. — Eh bé oui, dit-elle seulement tandis qu’elle préparait à son tour son petit-déjeuner. Il but son café lentement, sans plus rien dire, en mangeant une tranche de pain qu’il avait d’abord tartinée d’une moitié de cabécou. Et réglant son appareil qui sifflait désagréablement, il ressortit bientôt, traversa la rue et grimpa dans sa camionnette sans penser davantage à regarder vers le château. Il chercha son paquet de cigarettes dans le vide-poches, alluma une Gauloise, puis, desserrant seulement le frein à main, il prit la descente, brinquebalant à travers le village, en roue libre pour ne pas réveiller le voisinage.
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