Aïlah
Finalement j'ai gardé le gosse toute la nuit. Je me suis endormie dans le canapé et lorsque Siham est rentrée, elle n'a pas osé me réveiller. Apparemment je dormais comme un bébé et que c’était trop mignon. Mouais, en attendant je suis obligée de faire un plus long trajet pour aller au travail aujourd'hui.
En sortant du hall de l’immeuble je vois un petit groupe de gars regroupé près du parking. J’en compte trois ; tous on un bob ou une casquette sur la tête et le regard planté un peu partout dans la cité. Sa deal, je le sais. Mais comme je suis en civil je préfère ne rien faire. On verra ce qu’on peut faire plus tard.
Je me dirige vers ma voiture, monte dedans et démarre en trombe.
Arrivée au commissariat je me mets directement au travail. Le chef me parle quelque temps puis il est appelé avec l'équipe en urgence pour un cambriolage dans une maison à deux pâtés d’ici. Je réalise que rien n’arrête les délinquants, pas même un commissariat juste à côté d’eux. J'aurais voulu y aller moi aussi mais j'ai encore du boulot à faire avec l'ordinateur.
Heureusement, Gabi ma collègue préférée reste à son bureau elle aussi, celui-ci étant juste en face du mien.
— T'es dégoûtée ou quoi ? me demande-t-elle, un morceau de brioche dans la bouche.
— Je n’aime pas ne rien faire. Je veux bouger.
— Bouger où ?
— A ton avis.
Ma petite moue accentue son expectation.
— Oh là, chaque chose en son temps ma poule. Tu sais très bien que depuis ton agression l'année dernière Ricardo évite de te mettre sur le terrain, explique-t-elle.
— Eh bien c’est injuste. Je suis en bonne santé maintenant, et comme on dit, on apprend toujours de ses erreurs.
Gabi lève les yeux au ciel et répond au téléphone qui sonne à son bureau. Je me focalise de nouveau sur les papiers et j’essaie de faire de mon mieux pour rester concentrée. J'ai un début de migraine. Qu'est-ce qui m'arrive bon sang ? Décidément, ce n’est pas ma journée.
— Aïlah.
— Hum…
— Aïlah !
— Quoi ?? dis-je à Gabi en me tournant vers elle.
— Ça vibre.
— Hein ?
— Ton téléphone, il vibre !
Je fronce les sourcils et regarde sur l'écran de mon portable. C'est un message d'un numéro que je ne connais pas. Habituellement, je ne réponds jamais à mes messages au travail. Mais là, j’avoue être intriguée.
Je déverrouille mon téléphone et ouvre la conversation anonyme.
[06******** : c'est Ibrahim, rdv ce soir devant le grand parc à 20h]
Au début je ne comprends pas qui c'est. Et puis je me souviens du type d'hier soir à qui j'ai donné mon numéro.
[Moi : j'ai plein de trucs à faire, je ne pourrai pas.]
Si ce n'est pas clair alors je ne sais pas quoi écrire de mieux pour lui faire comprendre que je ne suis pas intéressée. Enfin, si, d'un côté je suis intéressée par lui vu son physique de beau gosse et son comportement agréable. Il n’empêche du fait de vivre dans une cité et de fumer du cannabis, je sais déjà que c'est une mauvaise personne qui m'apportera plus de mal que de bien. Alors franchement, il me plaît, oui, mais à quoi bon essayer de le fréquenter si je sais qu'il est louche ? Si mes collègues apprennent seulement le fait que je lui parle en message je risque d'avoir des problèmes.
Je suis honnête. Je ne suis pas une pourrie. Il vaut mieux que...
[Ibrahim : libère-toi pour moi s’il te plaît. Tu ne seras pas déçue, promis]
Hum... il n'a pas l'air méchant remarque. L’idée qu’il insiste face à mon refus me pousse à la réflexion. Et si je passais une bonne soirée avec lui, finalement ? Au pire, si entre nous ça ne passe pas, j’aurais juste à supprimer son numéro et ne plus le voir.
Je pèse le pour et le contre. Honnêtement je ne sais pas quoi faire. J'aimerais demander l'avis de Gabi mais elle a l'air pas mal occupée, et puis ce n’est pas comme si on pouvait parler de ça devant les autres. Je suis sûre qu’ils se feraient un plaisir pour tout aller balancer à Ricardo.
[Moi : je vais y réfléchir et je te donnerai ma réponse ce soir d'accord ?]
Je me remets juste après au travail. Hors de question de passer ma journée sur mon téléphone alors que j’ai du pain sur la planche.
C’est seulement à 15h que j’ai un instant à moi pour vérifier s’il a répondu à mon message. Mais rien, il n’a plus rien envoyé. Qui sait, il a sûrement dû lâcher l'affaire…
J’ignore si je suis soulagée, ou vexée.
Ibrahim
Je suis posé avec mes potes en mode galère comme d'habitude. Cette fois je ne fume pas, j'ai les esprits ailleurs. J'avoue que j'ai un peu le démon. L'autre meuf m'a pété les couilles à faire la timide en message. C'est pour ça que je ne lui ai pas répondu. En vrai je suis sûr qu'elle rêve que je la pilonne, alors pourquoi elle fait la désirée ? Ces meufs c'est toutes les mêmes de tout façon, qu’elle ne fasse même pas genre c’est une sainte avec moi, je connais déjà son vice. Je connais toutes leurs vices.
En vrai de vrai j'avoue qu’elle est belle et archi bonne mais ce n’est pas une raison pour que je m’y attarde trop. J’attends d’elle qu’elle aille dans le même sens que moi, qu’elle cherche la même chose que moi. Si ce n’est pas le cas, hasta la vista, j'ai pleins d'autres plans dans mon répertoire.
— On fait chicha ce soir ? propose Achraf.
Je secoue la tête.
— Flemme. On en a déjà fait une tout à l'heure.
— T'es relou.
— Moi je veux bien en refaire une, lance Titi.
Ce mec s'en bas les couilles de tout c'est chaud. Il est capable de te fumer un gros joint, faire chicha et de boire de la Poliakov tout en même temps l'enfoiré. Je ne sais pas comment il fait. Moi au bout de deux joints je suis pété. Faut dire que mon corps n’est pas trop habitué à ces merdes, étant donné que je ne fume pas souvent souvent.
— On fait chicha chez moi alors parce que là il commence à cailler, lance Achraf en refermant la fermeture Eclair de sa veste.
Les gars acquiescent et je les suis jusque dans le hall. Au même moment je reçois un appel. Je fronce les sourcils, me demandant qui ça peut bien être, puis décroche.
— Ouais allô ?
— Ibrahim ?
La voix est toute douce. C’est une fille, et pas n’importe laquelle. C’est Aïlah. Quand on parle du loup…
Je change l’intonation de ma voix et me racle la gorge.
— Ouais c'est bien Ibrahim. Qu’est-ce qu’il y a ?
— C’est Aïlah.
— Je sais.
— Euh, je suis venue finalement…
Venue ? Ou ça ? Qu'est-ce qu'elle raconte ?
— De quoi tu parles ?
— Le lieu de rendez vous, devant l’entrée du parc. J'y suis. Tu m'avais dit qu'on se rejoindrait là-bas à 20h.
Je jette un œil à mon téléphone. p****n, il est 20h20. J'avais grave oublié ! Moi je pensais qu’elle n’allait pas venir. Enfin, c’est ce qu’elle avait dit, pourtant. Je ne comprends rien du tout à sa logique là.
— Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ? Je croyais que t'avais dit non.
— J'ai dit que je n’étais pas sûre, ce n’est pas pareil.
Y a un silence. Bon allez, j’y vais. Maintenant qu’elle est là, je vais pas la faire galérer ni lui pauser un lapin. Je suis pas un mec comme ça, surtout quand je sais ce que je peux faire avec elle ce soir…
— Tu sais quoi, reste où t'es, j'arrive dans cinq minutes, dis-je en sortant du hall.
— D’accord. A tout à l’heure.
On raccroche et je laisse mes gars pour aller prendre ma caisse. Si ce soir je la b***e pas après ce que je compte faire, je suis une vrai baltringue.