Ibrahim
Je suis trop bien. Vraiment trop bien. Je suis installé tranquillement sur le canapé de dehors avec un joint dans la bouche, entouré de mes gars sûr. Dans le ciel il n’y a aucun nuage ce qui permet au coucher de soleil de se répandre sur tout le quartier. Que demander le peuple ?
Je kif trop les soirées qu'on passe tous ensemble en bas de la cité. On galère à se raconter nos histoires et les dernières meufs qu'on a sauté, tout ça tout ça. J'ai juré c'est archi marrant quand Titi nous raconte ses plans cul. A chaque fois qu'il en parle t'as l'impression qu'il vie la scène ; il donne les détails en fermant les yeux et tout ce gros charognard.
— C'était une quoi cette fois ? lui demande Achraf.
— Une p****n de Latina sa mère, répond Titi. Obligé vous l'auriez vu vous auriez kifé vos races.
Mouss secoue la tête et réplique :
— Nan, moi j'aime pas les Latina. Elles sont toutes pareilles. Je préfère innover.
Ce noir me surprendra toujours à dire d'aussi grosse connerie. Comment peut-on ne pas aimer les Latina sérieux ? Elles sont si magnifiques et si bonnes, il faut se le dire !
— Innover ?? grimace Walid. Qu'est-ce que tu raconte frère. Les Latina c'est les meilleures à b****r !
— Vous avez testé les russes ? Et les Turc ? Et les...
— Allez c'est bon ferme ta gueule, je lui dis. Dans tous les cas on sait tous que tu vas finir avec une Fatoumata de ton bled.
Achraf et Titi se foutent de sa gueule et Mouss me fait un doigt d'honneur. Oh, je l’ai vexé.
— Je m'en bas les couilles. Les maliennes c'est les meilleure femmes à marier de toute façon, se défend-il en croisant ses bras sur ses pec.
— Ça c'est ce que tu dis gros ! Les marocaines elles sont archi fraîche, dit Achraf. En plus elles font bien à manger.
— Tu mens. Jamais vos meufs ne remplaceront la beauté des algériennes, reprend Titi.
En fait chacun défend sa propre origine. De gros idiots. Moi je suis kabyle et marocain mais la vie de ma mère j’aime toutes les communautés. En vrai, il n’y a pas d’origine meilleure que d’autre. On est tous bien à notre façon, c’est tout.
Je papote encore un peu de tout et de rien avec eux jusqu'à ce que quelque chose attire mon attention tout au fond du parking. Je fronce les sourcils pour mieux voir qui arrive. Wah sa mère la chauve, j'étais pas prêt !
— Les gars, les gars ! Frappe du futur droit devant, je leur dit.
Ils se retournent tous en mode pas discret et on regarde la meuf arriver vers notre bâtiment. Elle a les cheveux châtains et elle porte un jean clair ainsi qu’un t-shirt blanc, faisant ressortir sa poitrine généreuse. Elle est grave belle, j’ai rien à dire. J’aime sa taille, son corps, sa couleur de peau et même son visage ! C’est un jackpot à elle toute seule, c’est trop.
Elle vient vers nous. Parfait. Comme ça je pourrai mater son boule de plus prêt et pourquoi pas me la gérer pour la b****r toute la night, qui sait.
— Ibra, tu baves fils de p**e.
Je réponds pas à l'e****é de Mouss et continue de la regarder. Un paquet. Faut vraiment que je fasse bonne impression pour me l'avoir, la vie.
— Elle est pour moi, dis-je alors en laissant en plan les gars pour la suivre dans le hall.
Je les entends crier comme des salopes derrière moi. Les bâtards, ils font ça pour que je rate mon coup. M'en branle, je vais réussir. Je réussis toujours, ce n’est pas maintenant que ça va changer.
Tandis qu’elle passe devant les boîtes aux lettres, je l’observe de haut en bas puis, au moment où l’ascenseur s’ouvre, je l'interpelle avant que les portes ne se referment.
— Mademoiselle !
Elle se retourne. En voyant bien son visage, je me dis que je suis devant l'une des meufs les plus fraîches de cette planète. La vie elle est grave jolie et bonne en même temps. Je ne m’attendais pas à autant de perfection. Je suis choqué. Elle est mannequin ou quoi ?
— Oui ? dit-elle en fronçant un sourcil.
Je m'approche d'elle avec ma démarche décontractée et essaie de rester assuré le maximum possible. Les femmes aiment souvent les hommes qui paraissent sûrs d’eux. Pour autant, il ne faut pas que j’abuse car elles n’aiment pas non plus ceux qui en font des tonnes.
— Tu ne vis pas ici, je me trompe ? Je ne t’ai jamais vu traîner dans le coin. Je m’appelle Ibrahim.
— Non en effet je n'habite pas là. Et moi c'est Aïlah.
Je kif grave son prénom. C’est super original.
— Je me disais aussi. Je n’aurais pas pu passer à côté d'une aussi jolie fille que toi sans m'en rappeler.
— Merci..., répond-elle. Euh, je dois y aller, je suis pressée, dit-elle les yeux en direction de l’ascenseur.
Je lui fais du charme et ça l’intimide. J'en suis sûr.
— Attends, dis-je. Je n’ai pas le droit à petit un numéro ?
Je lui souris de toutes mes dents sans me forcer. Je sais pas pourquoi mais son visage m’apaise, me donne envie d’être content. Elle a vraiment un regard communicatif. En réponse à mon sourire, une fossette se creuse sur sa joue droite. Oh lo lo, mais quelle beauté !
— Je ne sais pas... On ne se connaît même pas, articule-t-elle.
Elle fait trop la timide. J'aime bien, ça la rend mignonne. Par contre qu'elle se dépêche à me donner son numéro parce que je ne vais pas attendre 100 piges non plus. Je n’ai pas le temps pour les meufs compliquées.
— Si tu me donnes ton numéro t'inquiète pas qu'on va apprendre à se connaître, je lui fait alors.
La disquette qui marche à chaque fois. Elle semble réfléchir un moment, puis se décide :
— OK. Note.
J'écris les chiffres qu’elle me dit dans mon répertoire avec un sourire satisfait. Je l'avais bien dit que j'allais réussir à l'avoir.
Aïlah
J'ai merdé ? J'ai merdé. Pourquoi, p****n de merde, je lui ai donné mon numéro de téléphone ? Qu'est-ce qui ne va pas chez moi ? Je suis flic, il fume des substances illicites. Je suis une femme droite, ça doit sûrement être un mec pas net. En plus de ça il vient des cités, et ces gars là je les connais que trop bien pour savoir que je ne les aime pas. Ils sont presque tous de petits rebelles qui crachent sur la police et qui emmerdent tous ceux qui ne sont pas d'accord avec eux. Je suis bête d'avoir fait ça. Tout ça pour sa belle gueule, en plus...
Quoique, pour être honnête, c’est d’abord son comportement et sa voix qui m’ont attirés. Il avait ce ton doux qui semblait si sincère et gentil. Bien des fois j’ai été dragué dans la rue par des hommes, mais lui il sortait du lot. Tout le long de notre conversation, il n’a pas une seule fois jeté un œil vers ma poitrine ou mon corps. Il ne faisait que me regarder mon visage, avec un sourire bienveillant et une posture rassurante. En plus, il s’est même tenu à un mètre de moi pour respecter les distances sociales, c’est pour dire !
Mais je ne dois pas m’emballer. Bien qu’il ait été très respectueux, je n’en oublie pas moins le fait que c’est un gars de cité, et que ces mecs-là sont de préférence à éviter.
Une anecdote sur moi ? Eh bien, ce qui est ironique, c’est que moi aussi j’ai vécu dans une banlieue parisienne quand j’étais plus jeune. À la maison on était cinq. Mes parents, mon grand frère Aymen et ma petite sœur Mounia nous partagions un F3. La vie là-bas était assez dure : l’appartement était trop petit et les fins de mois étaient difficiles. Je n’irais pas dire que nous étions pauvres, mais c’était tout comme.
Pour ramener un peu d’argent à la maison – pour surtout s’acheter des vêtements de marque que mes parents ne pouvaient pas lui offrir – mon grand frère s’est mis a squatter en bas de notre tour avec ses copains pour faire de mauvaises choses. Il vendait de la drogue, se bagarrait souvent et a même fait partie d’un cambriolage en 2016, ce qui lui a valut une peine de six ans de prison. Aujourd’hui encore il est derrière les barreaux. Je crois qu’il lui reste deux années à faire là-bas, tout au plus. Durant tout ce temps, je ne suis jamais partie le voir au parloir. C’est malheureux à dire, mais Aymen et moi n’avons jamais été proches. Quand j’étais gamine, il avait horreur de s’occuper de moi. Et quand ma petite sœur a grandi et que je suis devenue une adolescente, il a fait en sorte de s’éloigner de nous, comme si nous ne faisions pas partie de sa famille, comme si nous n’étions rien. Je n’ai jamais compris pourquoi il nous a rejetés. Et puisqu’on ne se parle plus, je ne le saurai jamais.
Le vécu malhonnête de mon frère est l’une des raisons clés qui m’a motivé à voir d’un mauvais œil les jeunes de cité. À cause d'eux et de leurs vices, mon frère a gâché sa vie. A cause d’eux, il a rejeté les gens qui l’aimaient pour se réfugier dans un monde illégal et immonde.
Voilà pourquoi j'ai voulu faire flic. C'est comme une sorte de vengeance, un moyen de remonter la pente après ce drame et me permettre de rester forte quoi qu'il arrive, à ma manière. Parce qu’avec le temps, j’ai appris que je ne pouvais compter que sur moi-même. Mes parents vivent à Marseille, ma petite sœur Mounia s’est mariée et les a rejoints il y a deux ans avec son mari. Du haut de mes 24 ans, je suis donc seule sur Paris, à attendre que ma moitié pointe enfin le bout de son nez.