Point de vue de Scarlett.
Je me tiens devant le miroir, les jambes tremblantes, vacillantes, en regardant mon reflet. J’ai du mal à reconnaître la femme qui me regarde.
Aujourd’hui, c’est mon anniversaire, et cette majorité tant attendue est enfin là. Mais le plus étrange, c’est que je ne ressens pas le bonheur que je suis censée éprouver. Bien au contraire : une solitude écrasante m’envahit, plus que jamais.
Cette fois, même tante Maria ne sera pas avec moi.
Elle m’a appelée en appel vidéo dès mon réveil. Elle était entourée de toutes les autres tantes, tenant un petit gâteau avec une bougie en forme de « 21 ». J’ai été très émue par ce geste et, après quelques larmes, on a passé le reste de la matinée à discuter et à rire.
« Bouge tes jolies fesses de ce lit et va t’amuser. »
Ce furent ses derniers mots avant de raccrocher au nez.
Me voilà donc, en train de faire exactement ce que cette vieille dame ,un peu folle m’a conseillé affectueusement. Étrangement, je me sens plutôt jolie. Je porte une longue robe noire avec des détails délicats et une élégante fente sur la jambe droite, rien de trop extravagant.
À mes pieds, des talons dorés qui contrastent joliment avec le masque noir assorti à ma robe, orné de quelques touches dorées.
J’ai opté pour laisser mes longs cheveux détachés ,pas la patience de me lancer dans une coiffure élaborée . alors j’ai juste fait quelques ondulations aux pointes, puis appliqué un soin pour leur donner un aspect vraiment magnifique.
Je sors de mes pensées en me concentrant sur la mission ardue qui m’attend.
Pourvu que je ne rate pas ce truc…
Pensai-je en essayant d’appliquer l’eyeliner tant redouté. Avant, je n’arrivais même pas à le commencer sans le baver partout, mais aujourd’hui, le résultat est plutôt satisfaisant. Mes yeux ne portent qu’un fard simple et un trait d’eyeliner, mais ma bouche… Elle, elle est habillée d’un rouge sang éclatant.
Aujourd’hui, j’ai décidé de me permettre de me sentir belle.
J’ai passé tellement de temps à accorder de l’importance à l’opinion des autres… tout ce que je veux maintenant, c’est arrêter de me soucier de comment je dois me comporter. Évidemment, je vais y aller pas à pas : je ne suis pas encore assez à l’aise pour sortir sans mes fidèles lentilles de contact. Je les mets donc avant de quitter la maison.
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En descendant du taxi, je me retrouve face à un immense château, magnifiquement décoré, baigné de lumières qui lui donnent un air vraiment féérique. J’imagine ce que ce serait d’y vivre.
Je ris de ma propre idiotie et avance vers l’entrée, remarquant que plusieurs personnes me regardent avec insistance. Cela me rend un peu mal à l’aise, légèrement gênée.
Je me force à garder la tête haute. Je n’ai rien fait de mal, et comme je l’ai dit, je ne vais plus me laisser dicter ma valeur par le regard des autres.
Plus jamais.
— Mademoiselle ?... dit une voix. Un jeune homme, probablement le videur, consulte sa fiche d’un air las sans même me jeter un regard.
— Williams. Scarlett Williams dis-je poliment, bien que je remarque qu’il ne m’a toujours pas regardée.
Quel malotru.
— Madame Jackson a précisé que vous étiez autorisée à entrer. Allez-y. Il s’écarte et je passe, déjà tentée de lui coller la fiche au visage.
L’intérieur est sombre, mais des petites lumières colorées donnent à la pièce une ambiance de fête. J’avance et remarque un petit bar où je décide de commander un verre.
— Un Martini, s’il vous plaît dis-je au barman, remarquant au passage à quel point il est beau. En fait, la majorité des loups-garous présents le sont aussi.
— Voilà, mademoiselle , répond-il d’une voix suave. Je me contente de lui sourire en guise de remerciement, ne voulant pas qu’il pense que je suis intéressée, parce que je ne le suis pas.
Je m’éloigne rapidement du comptoir et me dirige vers une table. Je m’y installe, observant tout autour. Les gens rient, discutent… mais il m’est impossible de ne pas remarquer la mélancolie ambiante.
Je ne peux m’empêcher de me demander : pourquoi faire une fête pour quelqu’un qui, malheureusement, n’est pas là ? Je comprends qu’ils ne veulent pas laisser passer la date… mais pourquoi se faire autant de mal ?
Je suis tirée de mes pensées par une petite voix pleine d’entrain.
— SCALET ! Un petit corps chaud me saute dans les bras. Je remercie mentalement d’avoir posé mon verre, sinon nous serions trempés.
— Comment vas-tu, mon petit bout de chou ? lui dis-je en le serrant fort, respirant son parfum de bébé.
— Très bien, Scarlet . murmure-t-il à mon oreille comme pour me confier un secret maman a dit que si tu venais pas, elle allait venir te chercher par les cheveux. Mais faut pas lui dire que je t’ai dit, hein ?
Je ris devant son air inquiet. Tellement mignon.
— Ton secret est bien gardé . je lui fais un clin d’œil et d’ailleurs, elle est où ?
À peine ma phrase terminée que je la vois arriver, les yeux plissés vers son petit.
— Petit fouineur, tu devrais éviter de dévoiler mes plans aussi facilement , dit-elle, essayant d’avoir l’air fâchée. N’oublie pas que c’est moi qui décide de ton dessert.
Nous rions quand il se jette dans ses bras, s’excusant.
— Je vais quand même avoir du dessert, hein maman ? demande-t-il, malin.
— Oui, petit malin . répond-elle. Il saute de joie.
Dès qu’elle est libérée de son étreinte, nous nous embrassons et je ressens immédiatement l’affection sincère qu’elle me porte. Même si nous nous connaissons depuis peu, je la considère déjà comme une amie.
— Tu es absolument magnifique, Scarlett. Mon Dieu… tu ressembles tant à ma cou… elle s’éclaircit la gorge, gênée . à ma cousine. Oui, vous vous ressemblez beaucoup.
Je remarque sa tentative de détourner la conversation mais décide de ne pas insister.
— Toi aussi, tu es superbe, Kath , elle porte une longue robe rose poudré avec de délicats détails en dentelle, ses cheveux relevés en un chignon élégant . Et les parents de l’anniversaire ?
— Ils doivent être dans la chambre qu’ils ont tenu à conserver pour leur fille. Elisabeth est toujours bouleversée pour l’anniversaire d’Elisa, et Christian tente de rester fort pour sa compagne… mais je sais que l’absence de leur fille lui déchire l’âme.
Mon cœur se serre. Une boule se forme dans ma gorge.
Je comprends enfin : cette fête n’est pas seulement une commémoration. C’est un message silencieux à leur fille, une manière de lui dire qu’ils l’attendent, peu importe combien de temps cela prendra.
— Elisa semble avoir été très aimée dis-je doucement.
— Et elle l’était, vraiment. Ses parents auraient tout donné pour elle. Daniel, lui… mon Dieu, ce mâle aurait offert le monde si elle le lui avait demandé.
Je souris en imaginant ce que ça ferait d’avoir un homme comme ça dans ma vie… avant de secouer la tête pour chasser ces pensées.
— Il ne vient pas ? demandai-je d’un ton le plus naturel possible, ne voulant pas paraître curieuse.
Même si, forcément, je l’étais.
Elle allait me répondre lorsqu’une lumière s’alluma sur ce qui ressemblait à une scène. Une femme sublime et un homme très élégant se dirigèrent au centre, attirant tous les regards.
Elle, avec ses cheveux châtains clairs, portait une robe bleue turquoise assortie à un masque aux détails argentés. De là où j’étais, je ne pouvais pas voir ses yeux.
Lui, blond, légèrement barbu, très grand , sûrement autour d’1m89 et manifestement fort, portait un costume noir élégant.
— Merci à toutes et tous d’être présents pour cette date si spéciale dit la femme, que je supposai être la Luna du royaume Collins. Sa voix douce et chaleureuse m’apaisa instantanément . On ne fête pas tous les jours ses 21 ans, pas vrai ? tenta-t-elle de détendre l’atmosphère, déclenchant quelques sourires.
— Nous aurions aimé que notre fille soit là pour entendre ce que nous avions à lui dire. Mais comme elle ne l’est pas, nous garderons l’espoir qu’elle reviendra un jour . dit l’Alpha, esquissant un faible sourire.
— Pour des raisons évidentes, nous ne prononcerons pas de discours. Nous espérons que vous comprendrez . termina la Luna. Elle fut rejointe par son compagnon pour descendre de la scène sous les regards compatissants.
Je remue, mal à l’aise, une étrange angoisse pesant sur ma poitrine. Ce moment m’a profondément touchée.
Kath se tourne vers moi, les yeux humides, et je remarque un homme la tenant possessivement par la taille pour la soutenir.
— Chérie, voici mon compagnon Robert. Mon amour, voici Scarlett, la jeune femme qui a retrouvé notre petit... notre Henri, quand il avait disparu.
Je souris, il me salue poliment.
— Merci pour ce que tu as fait. Ce petit louveteau se fourre toujours dans les pires situations . il lui ébouriffe les cheveux, ce qui le fait bouder en voyant sa « coiffure de séducteur » détruite.
Je ne peux m’empêcher de remarquer à quel point ses yeux me paraissent familiers. Ou alors je deviens folle à vouloir voir l’homme de mes rêves sur chaque visage.
— Maintenant qu’on est tous présentés, je propose qu’on aille retoucher notre maquillage. Tu viens, Scarlett ? Elle ne me laisse même pas répondre et me tire déjà en parlant de mon rouge à lèvres qu’elle adore.
Elle parle tellement vite que je n’arrive pas à en placer une. Elle passe d’un sujet à l’autre : mes cheveux, mes lèvres, ma robe… Je dois avouer que je me sens un peu gênée. Ce genre de compliments, je n’en ai pas vraiment l’habitude.
On entre dans une petite pièce attenante à la salle principale. Il y a des miroirs partout, des fauteuils, des serviettes, et une lumière bien plus douce.
— Assieds-toi ici, Scarlett .me dit-elle en désignant un tabouret devant un miroir. Je vais te montrer un truc pour que ton rouge tienne toute la soirée.
Elle fouille dans sa trousse à maquillage avec une expertise impressionnante.
— Tu sais, tu me fais beaucoup penser à Elisa. Elle aussi avait ce petit air… sauvage et libre. Une force tranquille.
Je ne dis rien, touchée par ses mots. Je n’ai jamais connu ma famille. J’ai grandi dans un internat, entourée de règles et de silence. Alors, entendre ça…
— Elle te ressemble, mais tu es unique. Et ce soir, tu vas rayonner. J’en suis sûre.
Elle m’applique une poudre légère sur les lèvres, puis une autre couche de rouge, en tamponnant avec une délicatesse surprenante.
— Voilà. Impeccable.
Je me regarde dans le miroir. Je n’ai jamais vraiment aimé mon reflet, mais là… je dois reconnaître que quelque chose a changé. Ou peut-être que c’est moi qui commence à changer.
— Merci, Kath . dis-je d’une voix douce.
— De rien. Et maintenant, allons danser un peu. Ou au moins boire un autre verre.
Elle rit et me tend la main. Je la prends, un peu hésitante, mais décidée à profiter de cette soirée.
Nous sortons de la pièce et retournons dans la grande salle. La musique a changé, plus rythmée, plus envoûtante. Des couples dansent, des groupes rient autour de tables garnies de petits fours et de verres colorés.
Et là, mes yeux se posent sur lui.
Un homme, adossé à une colonne, un verre à la main. Il est grand, très grand. Costume sombre, cheveux noirs un peu en bataille, mâchoire carrée. Son regard semble balayer la pièce avec un calme glacial. Et quand ses yeux rencontrent les miens… tout s’arrête.
Je sens un frisson me parcourir, comme une onde électrique. Je détourne rapidement le regard, le cœur battant à tout rompre.
— Scarlet… murmure Kath près de moi, en suivant mon regard ...ça va ?
— Qui est-ce ? je demande, la voix plus rauque que je ne l’aurais voulu.
Elle me fixe, surprise, puis son sourire disparaît.
— Lui ? C’est Daniel.
Daniel ?.
Le chef suprême. Le protecteur. L’Alpha au-dessus de tous les Alphas.
Celui dont tout le monde parle avec respect. Et crainte.
— Il ne vient jamais à ce genre de soirées ajoute-t-elle, intriguée. C’est la première fois depuis… depuis la disparition d’Elisa.
Je n’arrive pas à bouger. Son regard est toujours là. Fixé sur moi. Comme s’il me voyait. Me reconnaissait.
Je ne le connais pas. Et pourtant… j’ai l’impression que mon corps, lui, s’en souvient.
Je ressens une chaleur étrange dans le bas-ventre, une tension dans ma poitrine, une vibration dans tout mon être.
Je tente de reprendre contenance, mais c’est comme si mes jambes refusaient d’obéir. Kath pose une main rassurante sur mon bras.
— Viens, on va s’asseoir.
Je hoche la tête, incapable de parler. Mais avant même d’avoir fait un pas, il bouge.
Il quitte son appui contre la colonne. Il avance. Vers moi.
Et je comprends.
Ce n’est pas lui qui m’a reconnue.
C’est mon âme qui vient de retrouver son compagnon.