Chapitre 2-1

2016 Words
Chapitre Deux J’attrape le téléphone et j’envisage de décrocher. Les symptômes de l’angoisse empirent. Est-ce un cauchemar ? Suis-je dans Le Cercle ? J’ai effectivement regardé une cassette vidéo récemment… Je laisse encore une fois l’appel passer sur le répondeur et la crainte s’estompe. Manifestement, mon intuition ne veut pas que je parle à la personne qui appelle. Je ne sais cependant pas ce qu’il se passe, alors je dois découvrir qui cherche à me contacter. Je cours jusqu’à la porte et j’intercepte Felix sur le point de partir. — Y a-t-il un moyen de découvrir qui appelle depuis un numéro privé ? m’enquis-je en agitant le téléphone. — Bien sûr. Il existe plusieurs applications pour cela. Certaines bloquent les appels privés, et quelques-unes essaient de découvrir le numéro pour toi. Pourquoi ? — Quelqu’un m’a réveillé avec un appel privé aujourd’hui, puis m’a rappelé à l’instant. Les deux fois, j’ai eu un sentiment étrange. — Sans doute du démarchage téléphonique, dit Felix. Essaie quelques applications, et si ça ne fonctionne pas, fais-le-moi savoir. Il part, et je passe plusieurs minutes à jouer avec mon téléphone, installant diverses applications qui promettent de démasquer les numéros privés ainsi que de les bloquer si je le souhaite. Ayant mis en place mon piège technologique, j’attends un autre appel mystérieux. Après avoir fixé mon téléphone pendant deux minutes, je me rends compte de mon erreur. Si je le surveille de cette façon, il ne sonnera jamais : c’est la loi de Murphy/Chester. Je fais donc ce que j’aurais fait si j’attendais que l’eau se mette à bouillir pour le thé : je fais semblant de ne pas m’intéresser à mon téléphone. Je nettoie donc un peu plus la cuisine, puis je passe à la salle de bains. Je commence par le tuyau d’évacuation de la baignoire, qui contient une boule de cheveux géante, un mélange de ceux de Felix et des miens. Felix perd ses poils comme un beagle, il sera sans doute chauve à quarante ans. Tout bien considéré, j’en perds une quantité normale pour une dame. Le cas intéressant, c’est Ariel qui ne semble jamais perdre un seul cheveu de sa tête — ou d’ailleurs, pour autant que je sache. Cela fait-il partie de sa super force ? Je jette la boule de cheveux dégoûtante à la poubelle, je me lave les mains et j’examine la brosse d’Ariel. Aucun cheveu, comme d’habitude. Autrefois, je pensais qu’elle avait un trouble obsessionnel compulsif qui la poussait à ramasser chaque cheveu après s’être brossée et douchée, mais c’était avant que j’entende parler des Conscients et de ses pouvoirs. Maintenant, je me pose la question. Sur un coup de tête, je me rends dans la chambre d’Ariel et j’examine son oreiller et d’autres endroits probables à la recherche de cheveux. Rien du tout. Est-ce pour cela que ses cheveux ont toujours l’air de sortir d’une publicité pour le shampooing ? Pendant un moment, je fantasme à l’idée d’échanger mes pouvoirs avec Ariel. Ne serait-ce pas merveilleux d’être super forte ? En reprenant mes efforts de ménage, je vais chercher les sacs-poubelle à la cuisine et à la salle de bains et je sors de l’appartement pour les jeter. Les grands esprits se rencontrent manifestement, car Rose se rend au même endroit. Comme d’habitude, elle est sur son trente-et-un. Elle me fait un sourire chaleureux. — Sasha, comment vas-tu ce matin ? — Ça va, dis-je prudemment. Mais il y a maintenant encore d’autres folles aventures que je peux partager avec toi. — Tu dois toujours me raconter comment tu as rejoint nos rangs. Elle fourre les poubelles dans le vide-ordures en fronçant le nez de dégoût. — Nous pourrions déjeuner ensemble, maintenant que tu n’es pas si prise par ton travail. — D’accord. Je jette mes poubelles après les siennes. — As-tu un endroit en tête ? — Que dirais-tu d’aller chez Le District ? Il y a beaucoup de choix là-bas. Elle garde les mains éloignées de son corps. — Marché conclu. Je ferme le vide-ordures. — Quand ? — Aujourd’hui à treize heures ? dit-elle en commençant à marcher vers son appartement. Je la suis. — Très bien. Veux-tu qu’on y aille ensemble ? — Non. Elle attrape maladroitement la poignée de sa porte avec la main gauche, sans doute parce que cette main n’a pas touché le vide-ordures. — J’irai me promener avant. Elle rentre et elle ferme la porte derrière elle, alors je n’ai pas le temps de lui proposer une promenade ensemble, ce qui est sans doute mieux, car je dois faire plusieurs choses avant le déjeuner. Je retourne à l’appartement, j’essuie la poussière dans quelques-uns des endroits les plus évidents, puis je retourne dans ma chambre en bâillant. — Vas-tu commencer ta recherche d’emploi ? Fluffster, qui est assis à côté de mon ordinateur portable, le tapote d’une patte poilue. — Le loyer et les factures ne se paieront pas tous seuls. Ma pression sanguine monte subitement. — Je suppose que je peux commencer. En ouvrant l’ordinateur, je marmonne dans ma barbe : — Esclavagiste poilu. Pendant que je remets mon CV à jour, je réfléchis à l’état catastrophique de mes finances. Il me reste quatre-vingt-dix mille dollars de la prime inattendue de Nero, ainsi que quelques économies qui la précèdent. N’importe où ailleurs qu’à Manhattan, cela durerait un moment, mais dans cette ville, je dois m’inquiéter… particulièrement à cause des appels inévitables de ma mère, des nettoyages de m******e coûteux de Pada, des achats d’armes illégales et qui sait quoi d’autre. Bien sûr, si les choses se compliquent vraiment, je pourrais toujours revendre le collier précieux que Nero m’a offert pour le Jubilé. D’un autre côté, les diamants peuvent ne pas être réels, et je ne sais pas ce que vaut la pierre centrale, celle que Nero a transformée en détecteur de mensonges par magie lors de ma rencontre avec le Conseil. J’ai également quelques livres de magie très rare qui ont coûté un bras et une jambe à mon père, mais si j’étais forcée de les vendre, je me mettrais sûrement à pleurer. Le cœur lourd, j’adapte mon CV à un poste dans le domaine de la finance — le moins terrible. Je m’étais toujours imaginé que mon emploi suivant serait celui d’illusionniste à plein temps pour la télé, mais ce rêve est terminé. À la place, je vais découvrir si d’autres endroits à Wall Street sont aussi affreux que le fonds d’investissement de Nero… ou pire. Mes connaissances dans le domaine de la finance — ou mes pouvoirs de médium — indiquent qu’ils pourraient effectivement être pires. Quand j’arrive sur le site des offres d’emploi, des douzaines de postes semblent correspondre à mon éducation et à mon expérience. En fait, il y en a tellement que je me lasse bientôt de postuler à chacune. — Je postulerai plus tard aux autres, dis-je à voix haute, au cas où mon chinchilla regarderait par-dessus mon épaule, prêt à prendre sa forme de monstre pour s’assurer que je m’applique davantage dans mes recherches d’emploi. Cependant, je ne vois pas Fluffster, alors je me récompense d’avoir bien cherché en planifiant une bonne illusion que je pourrais montrer à Rose au déjeuner. Il me faut quelques minutes pour imaginer quelque chose de plutôt sournois, et je prépare ce dont j’ai besoin, y compris une tenue. Mon humeur gâchée par la recherche d’emploi devient bien plus légère pendant que je range les paquets de cartes dans les poches du pantalon que je porterai au déjeuner. Je souris intérieurement en imaginant l’expression de Rose. Comme il me reste du temps avant le déjeuner, je décide de revoir la partie méditation de la vidéo que Darian m’a envoyée. Si je peux consciemment contrôler mes pouvoirs, je pourrai mieux contrôler ma vie en général. J’allume la télévision et je relance la vidéo. — En bref, tu dois apprendre une forme spéciale de méditation, dit à nouveau Darian à l’écran. Cela sert en partie à t’apprendre à te vider la tête, l’autre partie servant à te faire croire en tes pouvoirs sans l’ombre d’un doute. Ce n’est pas quelque chose que je m’attends à ce que tu maîtrises très vite et je n’essaierais même pas avec ton manque de sommeil actuel. Pour commencer, tu dois apprendre à inspirer et à expirer en comptant jusqu’à cinq. Je me rends compte que je n’ai pas encore tout à fait rattrapé mon sommeil, mais la curiosité l’emporte sur ma fatigue et j’essaie de suivre le reste des instructions. — Assieds-toi dans n’importe quelle position avec le dos bien droit. Darian se frotte pensivement le bouc avant de continuer. — Il peut s’agir de la position stéréotypée du lotus ou bien simplement sur une chaise — il regarde étrangement ma chaise à travers l’écran — ou même le bord de ton lit. Il regarde mon lit depuis l’écran. — La clé est d’être assis dans une bonne posture. Je mets sur pause et j’essaie différentes façons de m’asseoir. En finissant par choisir la position du lotus, je croise les jambes, plaçant chaque pied sur la cuisse opposée, et je redresse mon dos autant que possible. Ma respiration ralentit lorsque je relance la vidéo. — Ferme les yeux et concentre-toi sur ta respiration, dit Darian. Mets pause maintenant et essaie. Je fais ce qu’il dit, me focalisant sur l’air qui entre et sort de mes poumons. Lorsqu’une pensée errante – par exemple une image du regard perçant de Nero – entre dans mon esprit, je la laisse partir et je me concentre à nouveau sur ma respiration. Grâce à quelques cours de yoga et aux exercices de respiration que Lucretia m’a appris, cette partie de l’entraînement n’est pas aussi difficile qu’elle pourrait l’être pour une autre habitante de New York. Je me sens très vite aussi calme qu’une vache hindoue shootée au Valium. Je relance la vidéo et je ferme à nouveau les yeux, prête à tenter l’étape suivante de l’entraînement. — Cette étape n’est pas nécessaire chaque fois, dit Darian. Seulement au début. Je regarde discrètement à travers mes cils et il me fait un clin d’œil, comme s’il savait que j’allais regarder à ce moment précis. — J’ai besoin que tu croies fermement en tes pouvoirs. Deviens cette croyance. Sois une voyante. Respire-le. Vis-le. — C’est plus facile à dire qu’à faire, dis-je en marmonnant et en remettant sur pause. Je ferme les yeux et je me concentre sur la réalité d’être douée de pouvoirs. J’attaque mon scepticisme naturel avec la meilleure arme : les preuves. La vérité est que de nombreuses visions se sont révélées exactes, bien trop pour pouvoir les écarter. J’ai également eu une quantité innombrable d’intuitions qui se sont avérées valables, et grâce aux machinations diaboliques de Nero, j’ai même prédit les forces imprévisibles du marché. Avec chaque respiration, je me force à m’attarder sur cette nouvelle réalité, et si un doute me vient, je l’attaque avec d’autres preuves irréfutables. Il me faut un moment, mais je parviens à ne plus avoir de doute quant à mes capacités. Je peux maintenant me définir d’abord comme une voyante, puis loin derrière, comme une illusionniste. Me sentant prête, je relance encore une fois la vidéo. — Tu dois maintenant vider complètement ton esprit. Transforme-le en lac calme, dit Darian avant d’ajouter quelques astuces pour le faire. Tu finiras par entrer dans l’espace mental, ce qui est la clé de la prophétie consciente. — Comment saurais-je si j’ai réussi ? dis-je dans ma barbe. — Crois-moi, tu le sauras quand tu auras accompli ton objectif, dit Darian à l’écran. J’aimerais également te donner des instructions détaillées pour l’espace mental lui-même, mais je ne le peux pas. Tu comprendras quand tu y seras. Tout ce que je peux te dire, c’est de ne pas abandonner. Alors qu’il faut des décennies ou plus à la plupart des voyants pour arriver à ce niveau, tu devrais en être capable beaucoup plus rapidement. Avec tes capacités naturelles et le boost que tu as reçu grâce à ta performance télévisée, tu es plus puissante que tu ne peux l’imaginer.
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