II - Qui va à la chasse perd sa place

1052 Words
II Qui va à la chasse perd sa placeM. de Vertbois et la comtesse revenaient d’une excursion en auto avec des amis, le long de cette belle route qui, d’Hendaye à Bayonne, unit les aspects agrestes aux magnifiques horizons de mer. Sous les voiles et le cache-poussière qui enserraient la maigre forme de Mme de Vertbois, sous les fourrures et le masque de casseur de pierre qui faisaient ressembler ML de Vertbois à un Saturnien ou à un Marsien, nul ne les eût reconnus. Mais quand l’auto s’arrêta, le long des arceaux de la rue la plus vivante de Bayonne, devant une pâtisserie, les Vertbois, dépouillés de leur enveloppe poudreuse, apparurent dans la-sèche simplicité de leur grâce aristocratique : lui, très chauve, nez aquilin, petites moustaches teintes, un menu corps assez racé ; elle, jaune, longue, toute en profil et semblable à une belette extrêmement distinguée. Déposés par l’auto hospitalière qui repartait sur un échange de : « Alors, c’est convenu !… Ici. Dans une heure. » M. et Mme de Vertbois s’assirent à une petite table, commandèrent, elle, un chocolat chaud velouté de crème fouettée, lui, un lemon-squash. Et, après un silence qui pouvait signifier aussi bien des préoccupations divergentes que l’ennui sans paroles d’une intimité blasée, ils échangèrent les propos suivants : M. DE VERTBOIS (il parle avec une politesse raffinée, et semble s***r ses mots comme des bonbons anglais). – Votre chocolat, Aglaure, me paraît de bonne mine. Me trompé-je en le supposant à la cannelle et de marque espagnole ? MADAME DE VERTBOIS.– Vous ne vous trompez pas, Norbert. Et votre citronnade ? M. DE VERTBOIS.– Délicieuse. Silence. Un pli soucieux vient à son front. MADAME DE VERTBOIS (maternelle). – Vous ne redoutez pas le courant d’air de ces arcades ? M. DE VERTBOIS (avec la sollicitude due au souvenir d’une dot considérable, dont il ne reste plus que des débris). – Et vous, chère amie, pour vos bronches ? MADAME DE VERTBOIS.– Nullement. Ce chocolat m’a fait grand bien. Je vais me réchauffer en terminant mes courses. Ma liste ? La voici : rubans, mercerie, papier à lettres… M. DE VERTBOIS.– Moi, le pharmacien pour vos granules, et le photographe, pour le développement de nos derniers kodacks. Nouveau silence préoccupé. M. DE VERTBOIS (avec une fausse allégresse). – C’est égal ; la bonne idée que nous avons eue de ne pas nous prêter aux exigences de la tante Arsène ! Voyez, Aglaure : ici, temps superbe, une vie des plus agréables. L’auto des bons Puybergue est excellente et leur hospitalité parfaite. À Paris, il fait noir, froid, boueux. Vous n’avez plus le moindre accès d’asthme, ni moi le plus petit élancement de goutte. Je me loue d’avoir vaincu votre répugnance à quitter Paris. MADAME DE VERTBOIS.– Oui, mais la tante ?… M. DE VERTBOIS.– Quoi donc, ma chère ? La tante par-ci, la tante par-là ! Il faudrait être toujours à ses pieds, vivre dans son ombre, approuver tout ce qu’elle dit, ne respirer que dans la mesure où elle le permet ! Mais, dites-moi, sommes-nous liés par contrat à elle ? MADAME DE VERTBOIS. Plût à Dieu ! Vous direz ce que vous voudrez, Norbert : je crois que nous avons commis une imprudence en nous éloignant. M. DE VERTBOIS.– Pas du tout. Il faut savoir se faire regretter. Nous lui manquerons, soyez-en sûre. Rien de mieux. MADAME DE VERTBOIS.– À moins qu’elle ne nous en garde de l’aigreur, ou, ce qui serait pire, qu’elle nous oublie. M. DE VERTBOIS.– Vous ne vous rendez pas assez justice, ni à moi ; souffrez que je vous le dise. Nous sommes indispensables à la tante. MADAME DE VERTBOIS.– Oh ! M. DE VERTBOIS.– In-dis-pen-sa-bles ! Elle nous reverra avec cent fois plus de plaisir après cette fugue. D’ailleurs, que risquons-nous ? La brave Zoé nous tient au courant. MADAME DE VERTBOIS (sans conviction). – Ou… i… i. M. DE VERTBOIS (guilleret et supérieur). – Allons, faites vos courses sans vous tourmenter. Au revoir, ne vous fatiguez pas trop. À quatre heures et demie, l’auto stoppe dans la même rue, devant une autre pâtisserie. Le baron de Puybergue, grand, gros, barbu, rougeaud, comme il sied à un gentilhomme-fermier, attablé, savoure un cocktail. Il sourit aux Vertbois qui débouchent chacun de son côté. M. DE PUYBERGUE.– Exactitude militaire. Vous avez tous vos paquets ? Vous n’avez rien Oublié ? Alors, je vous enlève ! Le moteur ronfle et, à grande allure coupée de déchirants coups de sirène, l’auto les ramène à Biarritz. Dans le petit salon mis à leur disposition, et attenant à leurs chambres, les Vertbois aperçoivent, sur un guéridon, leur courrier, arrivé en leur absence. MADAME DE VERTBOIS.– C’est plus fort que moi. Je suis inquiète. Est-ce un pressentiment ? Norbert, nous aurions dû rentrer à Paris dès que la tante a été malade. M. DE VERTBOIS (il a pris les journaux et les lettres). – Ne vous frappez donc pas. Justement ! L’écriture de Zoé. MADAME DE VERTBOIS.– Ah ! mon Dieu ! Lisez vite, mon ami ! M. DE VERTBOIS.– Je lis : « Je tiens ma promesse, monsieur le comte, en venant vous raconter les derniers évènements. Ils vous surprendraient si vous ne saviez quelle capricieuse fantaisie régit les actes de Mme Goulart, et combien elle se plaît à déjouer toutes prévisions. Votre tante a décidé brusquement de partir pour la Côte d’Azur et d’y louer une villa : ce qu’elle a fait incontinent. Par une singularité de son caractère qu’expliqué aussi le conseil du médecin – cessation de visites et absence de tout surmenage – elle a choisi une très petite et inconfortable bicoque, bâtie en plâtras, où les trois domestiques qui nous ont accompagnées campent au sous-sol et geignent du matin au soir. J’ai, pour ma part, attrapé des rhumatismes. Mais de cela, elle n’a cure, et rien que pour nous faire enrager, elle affronte avec intrépidité les cheminées qui fument et les vents coulis des portes et fenêtres. Inutile de vous attester, monsieur le comte, que j’ai fait tous mes efforts pour décider Mme Goulart à préférer Biarritz, qui lui offrait l’avantage de votre présence et vous permettait, sans changer vos habitudes, de témoigner à votre tante cet intérêt attentif dont le manque actuel est un de ses imaginaires et acrimonieux griefs. Mais je me suis heurtée à une opiniâtreté invincible, et, en ce qui vous concerne, à des jugements aussi injustes que défavorables. Ce qui m’inquiète, je ne puis vous le cacher : c’est que les cousins Colembert, revenant d’Algérie et de Tunisie, se sont annoncés à Mme Goulart, qui a paru ravie et les attend demain à déjeuner. Vous connaissez leur don d’intrigue. Agissez donc, monsieur le comte, au mieux de vos inspirations, et veuillez, ainsi que Mme la comtesse, me croire votre fidèle servante. ZOÉ LACAVE. » MADAME DE VERTBOIS, atterrée. – Ah ! Norbert, mon pressentiment. M. DE VERTBOIS.– Diable ! Diable ! Ces Colembert qui ont l’air de porter un nom de fromage et qu’elle ne pouvait souffrir. Voilà qui est fâcheux ! Diable !
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