Je suis devant l'entrée du salon, et j'hésite encore à y pénétrer. Après m'être changée et habillée de la robe que ma mère m'a faite préparée, je me retrouve là dans le couloir, à regarder de loin ce qui ce joue devant moi. Une farce! Des hommes et des femmes bien nées, qui parlent d'un pays qu'ils ne connaissent pas. Sans jamais avoir adressés la parole à un ouvrier de leurs vies, ils peuvent décider de fermer tels ou telles usines ou d'augmenter leurs rendements sans contrepartie social ou financière... Le pire, c'est qu'il va falloir que je fasses semblant de ne pas en être choquée. Étant donné que je suis chez mes parents et que je ne veux pas leur causer du tort, je ravales ma salive et marche aussi discrètement que possible au milieu de ce bourbier. Priant intérieurement pour qu'on ne me remarque pas.
"Amélia!" crie, ma mère à l'autre bout de la pièce.
Je lève les sourcils en l'air, comprenant que ma mise en retrait vient est définitivement fichu.
Amélia : "Maman." Dis-je cachent mon désarroi.
Lady Bedington : "Où diable étais-tu passée? C'est très impolie de ne pas se montrer lorsque l'on reçoit chez soi!"
Amélia : " Je me suis assoupie. J'ai du mal à me remettre de mon voyage en train. Je suis désolée." marmonne-ai-je.
Lady Bedington : "Tu arrives à temps pour le déjeuner, c'est le principal. Les hommes sont plus ou moins revenus bredouilles de leur chasse et ils sont affamés! Viens, il faut que je te présente quelqu'un, crois-moi, il n'est ni ennuyeux, réactionnaire, vieux ou rabougris."
Amélia : "Et papa l'aurait invité? En effet, il faut absolument que je le rencontre." dis-je, d'un ton moqueur.
Ma mère lève les yeux au ciel à son tour, avant de me prendre par le bras et de me diriger près de la fenêtre du salon où de dos, un jeune homme, un verre à la main discute avec deux femmes plus âgés.
Lady Bedington : "Anthony voici Amélia, elle a enfin décidée d'apparaître parmi nous."
Les deux femmes s'en vont, puis il se retourne, lorsqu'il me reconnaît le sourire courtois qu'il doit arborer en société, s'évapore brutalement, avant de réapparaître uniquement par politesse. Moi par contre, je ne lui fait pas le plaisir de lui sourire hypocritement et arbore un masque de glace.
Anthony : "Enchanté, Amélia." Dit-il d'une voix calme.
Amélia : "Monsieur." dis-je sur la réserve.
Anthony : "Appelez-moi Anthony, je vous en pris."
Lady Bedington : "Il est le fils de Sir Winston."
Tout s'explique, j'ai horreur de cet homme! Je ne l'ai rencontré que trois fois dans ma vie, et c'était trois fois de trop! Nostalgique de ce qu'il appelle la vieille Angleterre, il déteste tout changements, surtout quand ceux-ci sont positifs. Ils feraient selon lui: " baisser son statut de noble". Les droits des femmes et des travailleurs sont pour lui des notions mystérieuses, certainement écrites dans des livres pour enfants, car cela tient du conte de fée selon ces critères.
Amélia : " Ce bon vieux Sir Winston." dis-je, voilant à peine mon sarcasme.
Lady Bedington :" Je vous laisse discuter, j'envie déjà vos échanges." dit-elle, fière d'elle-même.
Elle s'évapore rapidement me laissant seule, avec cet individu.
Anthony : "Alors comme ça, c'est vous la fille diplômée des Bedington? Cela semble tellement fantasque qu'on peine à y croire...mais bon, maintenant tout s'explique." dit-il ayant changé de ton. Laissant paraitre sa vraie nature.
Amélia : "Et vous, vous êtes le garçon décevant et... comment avait-il dit...ah oui! Aux moeurs décadentes qui vit à Londres? Je sais que pour les gens comme vous, une femme n'a rien à faire sur les bancs d'une université. À quoi cela lui servirait-elle, une fois mariée?"
Anthony : "Décidément, les jeunes filles de votre rang sont vraiment toutes pareilles! Vous êtes allée à l'université et alors? Ça ne fait pas de vous une meilleure personne. Vous jouissez des connexions de vos parents comme nous tous ici, vous n'avez jamais eu besoin de gagner votre vie. Vous vous attendez à vivre une vie de bohème en prétendant ça et là que vous êtes différente? Ça fera juste de vous une excentrique de plus! Et puis vous toucherez l'héritage de vos défunts parents, que vous dilapiderez certainement dans quelques pays du Sud de l'Europe. Et puis, quand vous n'aurez plus le choix, vous reviendrez dans cette maison, car après tout, c'est là qu'est votre place, entourez de ces monstrueuses tapisseries. Vous ferez des invitations comme celle qui à cours en ce moment, afin de remplir cette vaste demeure, à défaut d'avoir un mari et des enfants."
Amélia : " Vous êtes un fascinant juge de la nature humaine! Vous voyez l'avenir et pourtant vous êtes encore là, à boire du brandy parmi nous? Mais qu'attendez-vous pour proposer vos services à la nation, au parlement ou sous l'uniforme? Je suis peut-être ce que vous venez de décrire, mais à la différence de vous, cela ne me gêne pas car je n'ai rien à prouver. Alors que vous, j'ai bien peur que vous soyez en quête de quelque chose qui n'existe pas."
Anthony : " Merci pour la psychanalyse, vous l'avez lu dans un livre emprunté à la bibliothèque de votre faculté?"
Amélia : " Ah non, je ne prends jamais les choses touchés pas des mains diligentes. Je ne pourrais donc jamais poser les mains sur vous." dis-je, avant de mettre fin à cette discussion déplaisante.
Je lui tourne le dos et me dirige vers la sortie, malheureusement c'est ce moment que choisi mon père pour nous inviter à nous rendre dans la salle à manger. Je dois donc rebrousser chemin et faire bonne figure... encore une fois!
Pendant toute la soirée, assis à nos places respectives, nous n'avons cessés de nous envoyer des regards assassins pour ma part et énigmatiques pour lui. Qu'elle arrogance! Je n'ai jamais éprouvée autant de mépris pour quelqu'un que ce soir.
Il y avait un fond de vérité dans tout ce qu'il a dit, parmi une montagne d'inepties! C'est ce qui m'énerve le plus. Il a cette faculté de transformer les choses pour qu'elles soient exactement comme il le croit.
J'ai hâte d'être à Londres demain et de reprendre ma vie, comme-ci cette soirée n'avait jamais existé.