Shola a enlevé ses chaussures dans le couloir, juste avant d'entrer dans la chambre de son père.
"Bonsoir papa." La voix de Shola a résonné dans la pièce dont elle venait d’ouvrir la porte. Elle est entrée dans la chambre et a refermé la porte derrière elle. "Comment te sens-tu ? J’ai pris les médicaments que tu m’as demandés." Shola a dit d’une voix inquiète. "Tant que je peux encore me lever, je pense que je peux dire que ça va." La voix de Mr Fassassi était un peu étouffée et il était assis, adossé au chevet de son lit, les deux pieds allongés et une couverture sur ses jambes. Mr Fassassi n’avait presque plus de cheveux sur la tête. Il était vieux d’une cinquantaine d’années et ses barbes blanches dominaient clairement parmi celles noires. Il avait le regard perçant à travers ses lunettes et ses yeux marrons étaient presque mi-clos. Son beau visage pâle parsemé de rides exprimait une succession de grands vécus. Oh oui, il venait de très loin…
Shola a pris la bouteille d’eau posée sur sa table de chevet, puis elle s’est assise sur le bord du lit, à côté de son père. Elle a ouvert son sac et a sorti l’emballage des médicaments. "Celui-ci, ils ont dit que tu dois en prendre ce soir et trois fois dans la journée de demain. Par contre celui-là, tu dois le prendre chaque 12h de temps", a dit Shola en sortant deux médicaments de l’emballage. Elle était très affectueuse avec son père. Elle était encore très jeune quand elle a perdu sa mère. C’est son père qui avait pris la relève et il n’avait pas profité de la situation, malgré les difficultés pour prendre une seconde épouse. Il s’était énormément dévoué afin que l’absence de leur mère ne soit pas un frein à leur épanouissement. C’était un père exemplaire, même s’il était très difficile à supporter des fois. Shola témoignait un profond respect pour sa personne et elle s’assurait qu’il soit épanoui à son tour. A part le chemin qu’il voulait coûte que coûte tracer pour elle, chose qu’elle ne voulait pas, elle adorait son père.
"Tu as mangé déjà ?" a demandé Shola en fixant le regard de son père à travers ses lunettes. "Ounnn…" Il a gémi en guise de réponse et n’avait pas l’air de quelqu’un qui avait très envie de parler. Shola a ouvert la bouteille d’eau et lui a tendu les médicaments et la bouteille. "Vas-y, prends vite tes médicaments paaa." Mr Fassassi, son père, ne s’est pas fait prier. Il a pris la bouteille des mains de sa fille et a pris ses médicaments comme indiqué. Il a ensuite déposé la bouteille sur le sol et a arboré un sourire en se redressant.
"Tu es l’une des meilleures choses qui me soient arrivées", a-t-il dit en se tournant vers sa fille. "Ta sœur et toi, vous comptez énormément pour moi, et je suis très fier de vous voir grandir et devenir des femmes. Ton frère, lui est déjà un homme accompli et je suis très fier de lui également."
"Oohh papa, c’est moi qui suis plus fière en ce moment d’avoir un père comme toi." Shola a posé sa main sur celle de son père. Mr Fassassi a rigolé faiblement "Donc les autres moments, tu n’es donc pas fière ?" Shola a ri en entendant cela. "Non, ce n’est pas ce que je voulais dire paaa."
Il y a eu un petit moment de silence dans la chambre. "J’ai mangé plus tôt le repas que ta sœur a cuisiné et je découvre qu’elle s’améliore de jour en jour… Il ne lui reste plus beaucoup pour qu’elle te détrône de ta place de reine de la cuisine." Mr Fassassi a taquiné sa fille. "Ça, jamais ! Ce sera toujours moi qui ferai la meilleure sauce pour toi." Shola a dit en souriant. La complicité avec sa sœur était tellement grande et une sorte de concurrence faisait petit à petit son apparition. Elle adorerait défier sa sœur des fois, histoire de lui prendre la tête juste pour rire.
Mr Fassassi a enlevé ses verres et les a déposés sur sa table de nuit. "Je crois que je vais te laisser te reposer. Le médicament doit être entrain de faire effet déjà. Repose toi bien mon papa chéri et guéris vite, vite, très vite s’il te plaît." Shola s'est levée et a avancé vers la porte.
"Mr Lawani m'a appelé aujourd'hui", a dit Mr Fassassi d'un ton calme. Shola s'est retournée brusquement vers son père. Les deux hommes avaient donc l'habitude de parler d'elle... Cette pensée a rapidement traversé son esprit. "Il m'a informé pour la réunion, le contrat et tout. Bravo ma fille. Tu te débrouilles assez bien à ce que je vois."
Shola a fait un souri forcé et a froncé les sourcils. Connaissant son père, il avait sûrement encore des choses à dire. Elle s'est adossée à la commode qui était à côté d'elle et elle fixait son père du regard, attendant qu'il poursuive ce qu'il avait commencé. "Comme tu le sais, Mr Lawani est un de mes amis et d'après les rumeurs qui courent parmi les membres de l'administration, la grande direction serait dans l'objectif de t'embaucher à plein temps et en tant qu'employée officielle de la maison. Il m'a informé que ton stage devrait finir d'ici deux semaines. Tu pourrais immédiatement entrer sous contrat dès la fin et gravir rapidement les échelons en un temps record. Il croit en ta potentialité et moi de même... Alors, tu en penses quoi ?" Le père de Shola soutenait le regard vague de sa fille. Elle semblait perdue dans ses pensées et arborait un visage distrait. "Avant de me répondre, moi personnellement je lui ai expliqué que j'avais d'autres projets pour toi, mais que c'était une bonne offre qui pourrait t'intéresser. Tu pourrais en profiter pendant un temps... Ne le crois-tu pas ? Histoire d'acquérir plus d'expériences professionnelles et personnelles."
"Je ne veux pas être employée de cette société papa", a lancé Shola, l'air irritée. "Tu devrais y penser avant de rejeter l'offre je crois." Le père de Shola ne lâchait pas l'affaire. "Papa, on a déjà eu ce genre de discussion plusieurs dizaines de fois déjà. Je t'ai déjà expliqué mon opinion concernant la suite de mon parcours à partir de là où je suis actuellement. Je ne désire travailler, ni pour toi, ni pour la société. Je te prie de comprendre et de respecter mes choix." Shola a dit d'un air complètement désintéressée.
L'air dans la chambre devenait de plus en plus lourd à respirer en ce moment et l'atmosphère était de nature sinistre. Une énième dispute entre père et fille ne devrait plus tarder à faire surface.
"Tu me défies toujours on dirait. Tu oublies tout ce que j'ai fait pour vous durant toutes ces années ? C'est comme ça que tu devrais me remercier ?! Tu es absolument ingrate Shola. Je ne pense qu'à votre futur à vous, je ne pense qu'à ce que vous deviendrez quand je ne serai plus là et surtout la personne qui va prendre la relève dans les affaires. Tu devrais avoir plutôt honte parce que tu ne réalises pas que beaucoup de personnes aimeraient être à ta place." La voix de Mr Fassassi devenait de plus en violente.
"Moi aussi j'aimerais être à la place d'autres enfants, tu n'as pas idée de tout ce que je pourrais donner ne serait-ce que pour pouvoir vivre les rêves que je veux. Tu as idée de tout ce que j'endure ? Tout ce que je dois faire pour faire honneur à mon père ?! Nonnnn ! Bien sûr que non ! Tu n'en as pas la moindre idée. Tu as tes projets à toi, mais te demandes-tu des fois si j'ai aussi mes propres projets ? Après tout papa, c'est de ma vie qu'on parle ! C'est moi qui vais ressentir le poids de ce que je porterai, alors stp, ne me demandes pas de faire simplement quelque chose que tu souhaites ! Ça n'a jamais été question de ça, et tu le sais bien." La voix de Shola tremblait et des larmes montaient à ses yeux.
"Tu sais bien que c'est de toi qu'il s'agit. Devoir un jour tout perdre parce que quelqu'un aurait fait une mauvaise gestion de tes entreprises, papa, c'est ce que tu crains. Que ton nom se perde dès que tes entreprises couleront, que tout ce que tu auras bâti s'écroulent et que personne ne se souvienne de ce que tu auras fait. Papa, tu sais que j'ai raison. Je peux ressentir la même chose que toi et je peux te comprendre, mais sache que nous sommes assez grands nous autres pour faire certains choix dans la vie. Faire quelque chose qu'on veut ne signifie pas qu'on négligera ou qu'on n'entretiendra pas ce qui est familial, crois-moi. Nous avons nos devoirs envers tout ce que tu as bâti jusque là, tu es notre super-héros papa, jamais on ne te laisserait tomber."
Il y a eu un petit moment de silence dans la chambre, puis Shola a continué. "Mais pense à nous autres, à notre épanouissement. Cet épanouissement pour lequel tu mettais de la rigueur afin de le construire... Veux-tu vraiment que nous le perdions parce qu'on aurait fait ta volonté à toi ?"
Elle s'est approchée de son père, s'est assise sur le bord du lit et a posé sa main sur les deux mains jointes de son père. Celui-ci a retiré doucement ses mains, laissant tomber celles de Shola. Shola l'a regardé, mais il a détourné le regard. Elle s'est levée lentement et est sortie de la chambre, encore sous l'émotion de ce qui venait de se passer. Ce genre de disputes était fréquent entre les deux, surtout quand le père entrait dans sa crise. Cependant, c'était la première fois que Shola coulait les larmes pendant une de leurs disputes. Elle n'appréciait pas du tout le fait que son père s'acharnait à vouloir lui imposer ce qu'il voulait pour elle. Bien vrai qu'il était son père et qu'il ne chercherait en aucun cas à lui faire du mal, mais le souhait des parents pourrait bien être différent de celui de leurs enfants parfois. Cela ne signifiait pas que les parents sont de mauvais parents, ni que les enfants qui s'opposent sont des enfants rebelles non plus, mais un commun accord et une certaine compréhension l'un de l'autre étaient la clé globale pour résoudre ces situations.
Shola a marché d'un pas pressé et s'est rendue dans la chambre de sa sœur Adoukè. Elle s'est jetée sur le lit et s'est effondrée en larmes, plongeant sa tête dans la couverture du matelas. Adoukè qui observait la scène depuis son entrée s'est délicatement levée du lit et de manière habile sans attirer l'attention, elle est allée bloquer la porte de sa chambre, revenant maintenant vers sa sœur tout en retirant les écouteurs qu'elle avait dans les oreilles.