Shola n'avait pas vraiment quelque chose contre Sègla, mais elle était partagée entre sa loyauté et sa grande considération envers Fèmi, mais aussi par la relation « encore anonyme » qui se développait entre elle et Sègla. Celui-ci se révèle être un artiste déjà accompli, mais aussi un homme très séducteur qui a tous les atouts dont rêverait une femme.
Toujours sous le choc de ce qui était arrivé à Fèmi, elle composa son numéro. Il décrocha au bout de quelques sonneries, sa voix tremblante trahissant sa douleur.
"Fèmi, c'est toi ? Que s'est-il passé ?"
Fèmi hésita, puis décida de ne pas lui révéler tout de suite comment il s'était retrouvé dans une situation aussi dangereuse. Il ne voulut pas parler du vol de sa moto, ni de ses blessures.
"Rien, Shola, ne t'en fais pas. Je suis juste fatigué par tout ce qui s'est passé, c'est tout."
Mais Shola percevait la détresse et la profondeur d'une certaine douleur dans sa voix.
"Fèmi, je sais que tu ne vas pas très bien. Je peux comprendre le fait que tu ne veuilles pas me parler de ce qui s'est passé, mais ne me cache rien, s'il te plaît. Je sais que tu vas mal, et c'est en partie de ma faute aussi. Peut-être si tu n'étais pas venu me déposer, rien de tout ça n'allait t'arriver..."
Elle parlait encore quand Fèmi voulut l'interrompre, mais elle continua : "Ne me dis pas que ça va, j'ai besoin de le voir, j'ai besoin de le sentir, j'ai besoin de m'en assurer."
- Ne t'inquiètes surtout pas Shola, je ne suis...
- Je ne te demande pas ton avis Fèmi, je te fais juste comprendre que tu me verras chez toi tout à l'heure si je sors du boulot. Maintenant repose toi et prends des médicaments pour soulager ta peine, vilain garçon !
Fèmi soupira. "D'accord, Shola. Je te raconterai tout quand tu seras là. Pour l'instant, je vais juste me reposer comme tu l'as demandé. Et ne t'inquiètes surtout pas pour moi, maman s'occupe déjà de moi. Toi même tu sais comment sont les mères envers leurs enfants surtout quand ils sont dans de pareilles situations."
Shola souria de son côté. "D'accord, je passerai saluer cette charmante dame tout à l'heure." Elle raccrocha.
Fèmi venait de sentir un certain soulagement au milieu de tout ce qu'il endurait depuis la nuit dernière. C'était la première fois qu'il accueillerait Shola chez lui, mais c'était surtout la première fois qu'il recevrait une fille dans sa maison. Il en était excité, mais dans le même temps, il se demandait si elle se sentirait assez à l'aise quand elle viendra chez lui. Il connaissait déjà la maison de Shola, et le luxe qu'il avait remarqué même sans y entrer, n'était rien de comparable à son petit appartement d'ici. Son appartement ne comportait que trois pièces où on pouvait dormir. C'était une maison sans trop de finitions luxueuses, juste un lieu assez moderne où dormir et y vivre.
Son beau-père, Mr Vigan l'avait construit et y résidait avec son ancienne femme. Elle était docteur dans un hôpital de la ville. Charmante dame, et très souriante, elle avait eu du mal à avoir sa première grossesse. Elle était très appréciée de tout le monde tant par sa gentillesse que par sa qualité d'être là pour les autres.
La joie de Mr Vigan était débordante quand sa femme lui annonça finalement un soir qu'elle était tombée enceinte après plusieurs années de vivre en commun. C'était le moment le plus décisif et le plus attendu de leur vie.
Dès les premières semaines, il avait fait des achats pour son futur enfant qui allait naître : layettes de bébé, berceau, vêtements et trousseau de bébé. Il avait même décoré une des chambres déjà pour son premier enfant et était si impatient de l'accueillir.
Malheureusement, sa femme fit un accident un soir alors qu'elle rentrait de son travail. Un jeune homme ivre qui était au volant de sa voiture et en excès de vitesse la ramassa alors qu'elle attendait son taxi au bord de la voie. En retombant, sa tête heurta violemment un mur de fleur. En quelques instants, tout s'était passé si vite. La voilà allongée sur le sol, plongée petit à petit dans son propre sang qui recouvrait le trottoir.
Elle était toujours devant l'hôpital où elle travaillait, donc on la fit transporter de toute urgence pour les soins. Son agonie ne dura pas très longtemps, car au bout de quelques minutes, elle passa de vie à trépas avec le bébé de trois mois qu'elle portait dans le ventre.
_________FLASHBACK_________
Mr Vigan n'était pas très riche, mais il ne manquait pas non plus de moyens. Il travaillait comme caissier dans une banque de la place. Il était rentré déjà ce soir-là et prenait sa bière devant la télé entrain de regarder un match quand une collègue du boulot de sa femme l'appela pour lui annoncer que sa femme venait d'être victime d'un accident de circulation. La bouteille que retenait sa main droite venait de tomber sur le sol et se brisa en plusieurs éclats.
Aussitôt, il bondit du canapé dans lequel il était assis, enfila rapidement sa chemise et sortit très troublé de la maison sans même avoir le temps d'éteindre la télé qu'il regardait. Il arriva en larmes devant la salle d'opération où sa femme venait de subir une intervention, malheureusement, c'était déjà tard pour qu'il entende sa voix ne serait-ce que pour une dernière fois. Il ne pouvait même plus avoir l'opportunité d'entendre « ça va aller chéri, je te promets que ça va aller et nous aurons une très grande famille heureuse » que sa femme avait l'habitude de lui répéter. Il aurait aimé être là et lui dire à son tour pendant ses derniers instants que ça irait, que tout allait bien se passer.
C'était le plus grand chagrin qu'ait connu Mr. Vigan. Il n'arrivait plus à dormir, ni à sortir de chez lui. Il était comme un zombie entre la vie et la mort ; totalement indifférent de son état de santé physique et mentale qui se détériorait. Après les obsèques de sa femme, personne ne le revit. Il s'était enfermé seul dans leur maison à boire de l'alcool, à passer des journées entières sans prendre sa douche, à négliger tout ce qui se passait autour de lui. Il n'avait plus la notion du temps, ni du bien-être. Il était comme dans une illusion où il attendait que sa défunte femme vienne frapper à la porte et qu'elle lui dise qu'elle est rentrée du boulot ou d'un long voyage. La vie n'avait plus aucun goût pour lui, car cette saveur unique qu'il passait du temps à contempler même en pleine nuit, n'était plus là. Sa femme était décédée et leur premier enfant n'avait pas eu le temps de naître pour voir de ses yeux quelle magnifique maman était sa mère.
Mr Vigan traversa une très grande dépression, c'est comme si le monde s'était écroulé autour de lui. Tous les moyens d'entrer en contact avec lui étaient vains et même quand ses amis venaient chez lui et sonnaient pendant des heures, il ne leur ouvrait jamais. Il s'était mis à boire et à boire comme un trou, profitant de ces moments d'ivresse émotionnelle pour échapper temporairement à ses émotions négatives. Quatre mois après le décès de sa femme, il continuait toujours de boire. C'était comme s'il avait perdu sa femme la semaine dernière.
C'est ainsi qu'un matin où il venait de se réveiller et était tout bourré comme d'habitude, il trébucha en passant près du canapé qui était installé dans son salon, le même sur lequel il était assis quand on lui annonça l'accident de sa femme. Dans sa chute, sa main droite se posa sur les débris de verres qui étaient au sol. En effet, depuis le jour où la bouteille de bière avait glissé de sa main, et s'était brisé au sol, il n'avait plus jamais nettoyé où que ce soit dans la maison. Il avait perdu toute force et toute envie de faire quelque chose. Très rapidement, il se redressa, et cherchant un chiffon pour appuyer la blessure, il se retrouva en larmes. Tous ses souvenirs lui revenaient, ses yeux étaient si remplis de larmes qu'il n'arrivait plus à bien voir, sa vision était devenue floue.
Il se rappelait tous ces bons moments qu'il avait passés avec sa femme. Son fou rire, sa simplicité, son authenticité, son sens de l'humour et surtout son assiduité à la bonne organisation en toute chose. Toutes ces soirées où ils passaient des nuits en pyjamas devant des films de romances, entrain de critiquer tel ou tel passage avec sa femme. Ces moments où sa femme venait le déranger pendant les matchs de foot et il était obligé de céder à tous ses caprices. Toutes ces fois où il avait passé du temps avec sa femme à la cuisine à tout gâcher pensant l'aider et sa femme en rigolait. Ces fois où il emmenait sa femme dans la chambre tard dans la nuit parce qu'elle s'était endormie dans ses bras... Tous ces souvenirs se ramenaient et lui manquaient.
Il se rendit compte que tant de choses s'étaient passées depuis la dernière fois qu'il avait passé du temps avec sa femme dans ce salon. Si seulement sa femme était là, elle serait entrain de courir partout dans la maison, à la recherche de quoi panser sa blessure. Elle était très affectueuse et assez prévisible.
La réalité de l'instant provoqua une plaie émotionnelle plus profonde et plus douloureuse que celle qu'il venait de se faire à la main. Il marcha à tâtons dans le salon et réussit à se rendre dans la cuisine qui était juste à côté. Il déchira une partie de son tee-shirt qui était posé sur un battant du réfrigérateur ouvert. Il couvra la blessure avec la portion de vêtement qu'il venait de couper, puis il chercha la clé pour sortir de la maison. Cela lui prit plusieurs minutes, car tout était en désordre chez lui. Il ne se rappelait plus exactement où il avait déposé les clés. Il réussit finalement à les retrouver plus tard dans la cuisine au milieu de deux foyers de la cuisinière, puis il sortit de la maison.