CHAPITRE 14 — Sa cousine 14

1147 Words
Éric Trois jours. Trois jours sans elle. Trois jours où je me lève, je mange, je parle, je souris… mais je ne vis pas. Pas vraiment. Tout sonne faux. Même l’air que je respire semble appartenir à un monde parallèle. Les objets autour de moi n’ont plus de contours. Les voix sont floues. Les couleurs, passées. Même les rires de ma fille peinent à m’atteindre. Je les entends comme à travers une vitre. Ils sont là, oui. Mais pas en moi. C’est comme si elle avait coupé quelque chose. Un fil invisible. Une artère. Et sans elle, je saigne à l’intérieur. Je fais semblant. Je fais bien semblant. Clara ne remarque rien. Ou elle ne veut pas remarquer. Peut-être qu’elle devine. Peut-être qu’elle sent quelque chose. L’odeur de Jade, la tension dans mes épaules, l’absence dans mon regard. Mais elle se tait. Elle continue à me servir du café le matin. À me parler du quotidien. À croire à l’homme qu’elle voit devant elle. Elle m’aime. Je le sais. Et moi ? Moi, je m’effondre en silence. Jusqu’à ce message. Il arrive à 23h42. Aucun nom. Juste : « Ouvre. » Deux syllabes. Et c’est tout mon corps qui s’enflamme. Mon cœur cogne comme un marteau. Mes tempes bourdonnent. Mes jambes flanchent. Je reste figé quelques secondes. Le téléphone tremble entre mes doigts. J’aurais pu croire à un hasard. Un spam. Une erreur. Mais je sais. Je sais que c’est elle. Je sors de la chambre sans réfléchir. Clara dort à côté, roulée dans les draps, paisible. Moi, je suis en feu. Je traverse le couloir, pieds nus, le souffle court, la gorge sèche. Je déverrouille la porte d’entrée. Et elle est là. Jade. Adossée au mur, une cigarette entre les doigts. Vêtue de noir, comme toujours. Son manteau tombe sur ses épaules comme une armure. Ses yeux brillent dans la nuit comme deux lames affûtées. Elle ne dit rien. Elle ne sourit pas. Elle me regarde. Et je sens déjà mes genoux céder. Elle écrase sa cigarette sur la pierre, se redresse lentement, puis entre sans un mot. Sans un regard de plus. Elle passe à côté de moi comme si la maison lui appartenait. Comme si je lui appartenais. Et c’est vrai, non ? Je referme la porte derrière nous. Mon souffle est court. Mes mains tremblent. — Jade… Elle s’arrête au milieu du salon. Se retourne. Son regard me transperce. — Trois jours. C’est long, trois jours, tu ne trouves pas ? Je hoche la tête. J’essaie de parler. Mais rien ne sort. Elle s’avance. Lentement. Comme un fauve. Ses doigts effleurent mon cou. Je frémis. Chaque millimètre de sa peau contre la mienne me fait l’effet d’un courant électrique. — Tu as pensé à moi ? Je ferme les yeux. Elle le sait. Elle n’a même pas besoin de réponse. — Chaque minute, dis-je dans un souffle. Elle sourit. Pas un sourire tendre. Un sourire dangereux. Tranchant. De ceux qu’elle réserve à ses proies. — Moi aussi… un peu, murmure-t-elle. Et ce un peu me coupe en deux. Parce que moi, j’ai pensé à elle tout le temps. Elle s’approche encore. Son parfum me gifle. Ce parfum qui s’incruste dans les draps. Qui flotte dans mes souvenirs. Qui colle à ma peau même après trois douches brûlantes. — Tu pensais que j’étais partie ? Que je t’avais oublié ? Je secoue la tête. Je ne peux pas parler. Je suis déjà sous l’eau. Sous elle. Elle sourit, sardonique. — Tu sais ce que j’aime chez toi, Éric ? Tu luttes. Tu veux résister. Tu veux être bon. Elle rit, bas. — Mais tu ne peux pas. Parce que t’es à moi. Même quand tu dors dans le lit de ta femme. Même quand tu joues au père modèle. Tu crois que je ne le sens pas, ce fil tendu entre nous ? Ce lien malsain, viscéral, dévorant ? Elle s’approche encore. — Tu peux le nier autant que tu veux. Il vibre. Et c’est moi qui le tiens. Et là, elle me plaque contre le mur. Son corps contre le mien. Son regard incandescent planté dans le mien. Ses lèvres contre ma gorge. Je ferme les yeux. Je suis perdu. — Tu mens tellement bien aux autres… mais pas à moi. Sa bouche remonte jusqu’à la mienne. Elle effleure mes lèvres. Pas un b****r. Juste une menace. Une promesse. — Tu veux que je t’embrasse, Éric ? Je hoche la tête. — Dis-le, ordonne-t-elle. — Embrasse-moi, Jade. S’il te plaît… Elle sourit. Et elle m’embrasse. Pas un b****r , un incendie. Elle me dévore. Elle m’écrase. Elle m’arrache à moi-même. Et je la laisse faire. Parce que j’ai besoin d’elle. Parce qu’elle est mon poison. Et mon antidote. On ne fait pas l’amour. On se consume. Sur le tapis du salon. Dans la pénombre. À quelques mètres seulement de la chambre de ma femme, de ma fille. Mais je n’ai plus de honte. Plus de conscience. Je ne suis plus qu’un corps qui répond au sien. Elle me déshabille comme on déchire un secret. Elle griffe. Elle mord. Elle serre. Son corps me domine. Sa voix me guide. Sa colère me pénètre autant que son plaisir. Et moi, je dis oui. À tout. Je me laisse faire. Je l’accueille. Je m’oublie. Quand elle gémit, je frémis. Quand elle me regarde, je m’éteins. Quand elle dit encore, je revis. Je ne sais pas combien de temps on reste là, mêlés, perdus. Peut-être une heure. Peut-être plus. Elle s’allonge sur moi. Son cœur bat fort. Le mien aussi. Elle ferme les yeux. Et je voudrais arrêter le temps. Mais avec Jade… le temps appartient toujours à l’orage. Une heure plus tard, elle est debout. Habillée. Froide. Comme si rien n’avait eu lieu. Je me redresse. Nu. Brisé. — Tu pars ? Elle ajuste son manteau. Elle regarde son téléphone. Elle est déjà ailleurs. — J’ai jamais dit que je restais. Je m’approche, tremblant. — Reste. S’il te plaît. Juste cette nuit. Elle me regarde. Longuement. Et je cherche quelque chose dans ses yeux. Une faille. Un regret. Un élan. Mais elle n’en montre aucun. — Tu comptes, Éric. Bien plus que tu ne devrais. Elle s’approche. Elle m’embrasse. Un b****r lent. Doux. Presque triste. Et c’est ça, le plus cruel. Parce qu’au moment même où je crois qu’elle va rester… Elle ouvre la porte. — Ne me cherche pas. Si j’ai envie de toi, je reviendrai. Elle disparaît dans la nuit. Comme toujours. Comme une tempête. Je reste là, seul. Le souffle court. Le cœur en miettes. J’ai eu ce que je voulais. Et pourtant… j’ai encore plus mal qu’avant. Parce que chaque fois qu’elle revient, elle emporte un morceau de moi. Et je la laisse faire. Je l’invite même à le faire. Parce que je suis à elle. Même quand elle n’est plus là.
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