CHAPITRE 17 — Sa cousine 17

901 Words
Jade Ce soir, je ne joue pas. Ce soir, je n’ai pas envie d’humilier, de provoquer, de tordre. Je n’ai pas envie de faire plier Éric, ni de tester ses limites, ni de l’étouffer avec mon silence. Ce soir, j’ai juste envie… de le regarder. D’être là. Dans cette pièce, avec lui. Rien d’autre. Rien de plus dangereux que cette vérité-là. Parfois, je me surprends moi-même. Je m’étais juré de ne jamais céder à ça. Cette tendresse rampante. Cette chaleur dangereuse. Ce poison lent qui prend racine dans les gestes les plus simples. C’est plus insidieux que la haine. Plus profond que le désir. C’est… une faille. Et je tombe dedans, les yeux ouverts. Et peut-être que ce n’est pas lui, le piège. Peut-être que c’est moi. Peut-être que c’est ici que je me perds, que je flanche, que je me trahis. Il est là. Et dans sa façon de me regarder ce soir, il n’y a plus de peur. Juste… une fatigue douce. Un abandon pur. Un besoin presque enfantin. Et ça me désarme. Et lui, ce soir, ne joue pas non plus. Il est agenouillé à mes pieds Il ne tremble pas. Il ne cherche pas ma peau. Il cherche mes yeux. Je le relève et il vient s’asseoir à mes côtés. Lentement. Comme si chaque geste lui coûtait. Son regard est grave. Fatigué. Ses traits sont marqués. Ses épaules lourdes. Il a l’air d’un homme qui ne sait plus où se cacher. Ni à qui il appartient. Et pourtant… il est là. Et pour la première fois, je ne dis rien. Je tends la main. Il la prend. Sans un mot. Sa paume est froide. Il a dû rester dehors, dans la nuit, un moment. À hésiter. À penser. À fuir. Il serre mes doigts comme un naufragé attrape une bouée. Et je le laisse faire. Je ne commande rien. Je ne dirige rien. Je ne dicte pas le rythme, ni le rôle. Ce soir, je ne suis pas la prédatrice. Ce soir, je suis juste là. Il baisse les yeux. Inspire profondément. — Je n’arrive plus à savoir ce que je suis… murmure-t-il. Ce que je veux. Ce que tu veux. Je l’écoute. Il n’attend pas de réponse, je crois. Il a juste besoin d’un espace où déposer le chaos. Et ce lit, cette chambre, cette nuit… deviennent ce sanctuaire fragile où il ose enfin lâcher prise. — Parfois, je me dis que tu vas me détruire. — Peut-être, dis-je doucement. — Et parfois… j’espère que tu le fasses. Cette phrase me fend en deux. Je pourrais rire. Le gifler. Le repousser. L’attirer à moi. Le briser, oui. Le réparer ensuite. C’est ma spécialité, non ? Faire saigner, puis panser. Mais je ne fais rien. Je me contente de passer mon pouce lentement sur le dos de sa main, comme on rassure un enfant qui a trop crié. — Je suis fatigué, Jade… si fatigué. Sa voix se brise à peine. Et cette fissure-là est plus violente que toutes les colères du monde. Je veux lui dire qu’il peut dormir ici. Que je ne ferai rien. Qu’il peut poser sa tête sur mon ventre, comme il l’a fait autrefois. Qu’il peut oublier Clara, les rôles, les règles. Mais je me tais. Parce que les mots gâcheraient tout. Parce qu’ils seraient trop. Alors je fais autre chose. Je m’allonge un peu plus, et je l’invite d’un simple mouvement d’épaule. Il comprend. Il se laisse faire. Il s’allonge aussi, à côté de moi. Pas contre moi. Pas encore. Juste… à côté. Et dans ce presque-contact, dans cette attente suspendue, il y a plus d’intimité que dans tous nos jeux passés. Le silence s’installe. Il est dense. Il respire avec nous. Il tourne légèrement la tête vers moi. — Pourquoi tu fais ça ? — Quoi ? — Être… comme ça. Douce. Je souris. Tristement. Parce qu’il ne comprend pas que c’est peut-être là mon masque le plus dangereux. — Parce que ce soir, j’en ai besoin. — Tu ressens des choses pour moi ? La question tombe. Crue. Franche. Sans détour. Je pourrais répondre par un éclat de rire. Par une moquerie cinglante. Par une esquive subtile. Mais je suis trop fatiguée, moi aussi. Alors je réponds : — Je ressens… quelque chose. Je ne sais pas si c’est de l’amour. Je ne crois pas au mot. Mais il y a une faille. Une chaleur. Une obsession peut-être. Une façon que tu as de me hanter, même quand tu n’es pas là. Il ferme les yeux. — Moi aussi. Le silence nous enlace à nouveau. Je sens sa main frôler mon bras, doucement. Il ne cherche rien. Juste un contact. Une preuve que je suis réelle. Que tout ça n’est pas une illusion. Et c’est peut-être ça, le vrai piège. Pas la douleur. Pas la domination. Pas les jeux de pouvoir. Mais cette humanité volée entre deux blessures. Cette douceur inattendue. Ce répit trompeur. Il finit par poser sa tête contre mon épaule. Et moi, je glisse mes doigts dans ses cheveux. Je sens son souffle ralentir. Son corps s’alourdir. Il s’endort. Ici. Contre moi. Comme un enfant. Et moi, je reste là. Immobile. À écouter son souffle. À garder les yeux ouverts. Parce que dans ce calme, je sais que je suis en train de perdre quelque chose. Ou de gagner… ce que je n’aurais jamais dû vouloir.
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