Chapitre 5
Ils la saisirent chacun par un bras et la repoussèrent sans ménagement hors du bureau. Patricia perdit l’équilibre et heurta le sol, un cri lui échappant quand la douleur la traversa.
Le souffle court, elle resta quelques secondes immobile avant de se redresser. Ses doigts serrés autour du certificat de mariage tremblaient tandis que ses larmes brouillaient les lignes imprimées. Comment pouvait-elle annoncer à l’homme qu’elle aimait qu’un document l’unissait déjà à un inconnu ? Et si Roman refusait de reconnaître la vérité, elle risquait non seulement de perdre ce poste tant convoité, mais également son fiancé. Tout s’effondrait en un clin d’œil.
Un son familier brisa le silence : son téléphone vibrait. Elle plongea la main dans son sac et sortit l’appareil.
Nom affiché : **Fiancé**.
Ses paumes devinrent moites. Répondre ou ignorer encore ? Déjà deux jours s’étaient écoulés sans qu’elle décroche. S’il en venait à croire qu’elle l’abandonnait, ce serait la fin. Mais avant de se justifier auprès de lui, il fallait d’abord que Roman entende sa version. Il fallait trouver un angle, un passage pour l’approcher.
L’idée jaillit soudain. Elle travaillait ici désormais. Elle avait prêté serment comme cardiologue, et la malade qu’elle avait ranimée semblait lui être précieuse. Peut-être ce détail deviendrait-il sa porte d’entrée. Rassemblant son courage, elle se remit debout et retourna vers la réception.
Là, elle présenta sa lettre d’embauche. Quelques signatures plus tard, on lui remit une carte d’accès médicale. Elle était une chirurgienne accomplie, mais pour l’heure, la fonction officielle serait celle de cardiologue, position qui lui permettrait d’entrer plus facilement dans le cercle de Roman.
« Alors ? Comment ça s’est déroulé ? » La voix qui surgit à côté d’elle la fit sursauter.
« Tu pourrais éviter ça ! » grogna Patricia, vexée.
Zara rit de bon cœur. Taquiner Patricia était sa distraction favorite : son visage innocent appelait presque les plaisanteries.
« Il m’a prise pour une opportuniste », avoua Patricia en soupirant, et le sourire de son amie se dissipa.
« Pour être franche, je comprends pourquoi. Mais ce n’était qu’une tentative. On passe au plan B, non ? C’est quoi exactement ton plan B ? » intervint Maurice, qui les avait rejointes.
« J’ai ranimé une patiente qui compte pour lui. Je vais me servir de ça », expliqua Patricia en levant sa carte d’accès comme une arme fragile. Zara haussa les épaules, l’air lassé.
« Si tu continues à jouer les saintes, tu ne marqueras jamais son esprit. Assez perdu de temps. Maintenant, on fait les choses à ma façon », déclara-t-elle en affichant ce sourire dangereux qui annonçait toujours des complications.
Patricia sentit la peur remonter. Elle connaissait Zara mieux que quiconque, et cette expression signifiait qu’elle tramait quelque chose d’inattendu.
« Ce n’est pas une bonne idée… S’il me revoit sans prévenir, je risque le licenciement », protesta-t-elle.
« Réfléchis. Tu es sur le point de tout perdre : ton poste et ton fiancé. Tu veux vraiment finir enfermée chez ta belle-mère à attendre un mari qu’elle t’imposera ? Laisse-moi agir », insista Zara. Patricia céda, incapable de contredire plus longtemps.
Un spasme soudain lui contracta le ventre. Elle se plia légèrement en deux.
« Qu’est-ce qui t’arrive ? Il t’a blessée ? Dis-moi ! » s’affola Zara.
« Non, juste une douleur banale », la rassura Patricia en posant une main sur son poignet. « Rien de grave, je t’assure. »
Zara soupira, exaspérée. « Comment une médecin peut-elle se montrer aussi peu attentive à elle-même ? »
Un sourire faible étira les lèvres de Patricia. Depuis l’université, Zara n’avait cessé de veiller sur elle. Une amitié qui avait tenu lieu de famille.
« Viens, je t’emmène dans mon bureau », proposa-t-elle, et toutes deux s’éloignèrent.
Plus tard, ses collègues lui annoncèrent qu’elle pouvait partir plus tôt, privilège de son premier jour. Elle n’avait aucune envie de s’attarder et accepta avec soulagement.
Dehors, dans la voiture de Zara, elles patientèrent, Patricia ignorant encore le mystérieux plan de son amie.
« Il est presque dix-neuf heures. On attend qui exactement ? » demanda-t-elle d’une voix lasse. La douleur à l’estomac s’était installée depuis le matin, persistante, et elle ne rêvait que d’un lit.
« Calme-toi. De toute façon, tu n’oses pas rentrer chez toi, et si tu arrives tard, tu seras punie. Alors pourquoi t’agiter ? » répliqua Zara, les yeux levés au ciel. Elle ne comprenait pas cette peur viscérale que Patricia éprouvait encore envers sa belle-mère et sa grand-mère, malgré des années de maltraitance.
« Ce n’est pas ça… je ne me sens pas… » Patricia n’eut pas le temps de finir.
« Le voilà ! » s’exclama Zara, se redressant derrière le volant, son regard accroché à une silhouette qui venait de sortir de l’hôpital.
Patricia suivit son regard et son cœur rata un battement. Roman.
« Tu ne vas tout de même pas le filer jusqu’à chez lui ? » souffla-t-elle, devinant l’intention.
« On ne fait que rouler derrière lui », rétorqua Zara avec un sourire carnassier.
« Non ! Si on se fait attraper, ce sera du harcèlement. On risque gros. Il doit exister un autre moyen », plaida Patricia, la panique dans la voix.
Zara coupa le moteur dans un soupir. Puis, se tournant vers elle, elle lâcha d’un ton grave : « Dis-moi, tu veux finir coincée entre un mariage arrangé et la perte de ton fiancé ? Si tu perds ce travail, il pourra peut-être t’en obtenir un autre grâce à ses relations. Mais si tu le perds lui aussi, tu resteras prisonnière de cette maison. Choisis le moindre mal. »
« Mais… » tenta Patricia.
« Pas de mais. Tu es compétente, brillante même. Les contacts n’effacent pas ton mérite, ils t’ouvrent juste la porte que tu mérites déjà », trancha Zara.
Patricia baissa les yeux vers son téléphone qui affichait toujours le message de son fiancé. Elle resta figée un instant, puis inspira profondément.
« D’accord », souffla-t-elle.
Un sourire victorieux étira les lèvres de Zara. Elle remit le moteur en marche et la voiture s’élança dans la nuit.