Chapitre 7

1118 Words
Chapitre 7 : Patricia se laissait soigner par la gouvernante avec une passivité forcée. La femme, discrète et attentive, s’assurait qu’elle n’ait à manquer de rien. Pourtant, chaque geste de sollicitude ne faisait qu’enfoncer Patricia dans un abîme de honte. L’idée qu’un homme – surtout celui qu’elle redoutait autant qu’elle cherchait – sache ce qui lui arrivait lui donnait envie de disparaître sous terre. Elle n’aurait jamais cru que la bienveillance pouvait avoir un goût si amer. En même temps, au fond d’elle, une petite voix insinuait que Zara n’avait peut-être jamais eu l’intention de la raccompagner : son amie l’avait abandonnée volontairement, prévoyant qu’elle serait contrainte de rester si les choses tournaient mal. Ce qui la troublait davantage en o »e, c’était le choix de Roman. Le domaine comprenait plusieurs pavillons, mais on l’avait installée dans la résidence principale, sous le même toit que lui. Si son but était de garder ses distances, n’aurait-il pas été logique de l’envoyer ailleurs, loin de ses pas et de son regard ? La bâtisse paraissait vidée de toute âme, silencieuse à l’excès, presque glaciale, comme si son maître y vivait seul au milieu d’un décor figé. Cette impression la suivit longtemps après que la gouvernante lui eut souhaité le repos. Incapable de trouver le sommeil, Patricia finit par quitter le lit. Elle avait besoin de bouger, de respirer. Sans bruit, elle franchit le seuil et se glissa dans les couloirs obscurs. L’air pesait, immobile, ce qui la persuada qu’il devait être tard dans la nuit. Son téléphone ? Resté dans la voiture de Zara. Un juron étouffé lui échappa. Elle avançait à tâtons, tentant de retrouver le chemin parcouru plus tôt avec Kay. Finalement, elle déboucha sur la cuisine. L’endroit la désarma. Loin d’être une pièce utilitaire, c’était un espace raffiné, lumineux sous les lueurs discrètes des lampes encastrées. Un comptoir-bar étincelait dans un angle. Patricia resta un moment figée, tentée d’y chercher un verre qui lui apaiserait les nerfs. Mais l’idée d’être surprise par Roman la retint. Elle imagina déjà son regard froid et ses reproches. À défaut de boire, elle se mit à observer. Chaque placard regorgeait d’ustensiles, bien plus nombreux que dans sa propre maison familiale. L’endroit respirait l’usage régulier, ce qui la surprit venant d’un homme qui semblait si solitaire. Peut-être était-ce la trace laissée par son amant dont il avait parlé. Cette hypothèse fit naître un froncement de sourcils. Elle se remémora aussitôt l’emprise de Lisa, sa belle-mère, qui l’avait toujours tenue éloignée des fourneaux, lui interdisant d’apprendre quoi que ce soit de pratique. Si sa véritable mère ne lui avait pas montré quelques bases, elle n’aurait pas même su faire cuire des pâtes. Cette pensée la serra de dépit. Alors qu’elle laissait glisser ses doigts sur une planche de bois, un claquement dans son dos lui fit sursauter. — Que crois-tu être en train de faire ? Le timbre grave et tranchant de Roman la frappa de plein fouet. Elle se retourna brusquement et resta pétrifiée. Il se tenait dans l’encadrement, torse nu, la peau encore mouillée, ses cheveux assombris par l’eau. Les gouttes glissaient le long de son cou et de sa poitrine, captant la lumière tamisée. L’image lui coupa le souffle. — Je… je n’arrivais pas à dormir, bredouilla-t-elle, tentant de se justifier. Ses yeux, malgré elle, descendirent avant qu’elle ne détourne la tête, rouge d’embarras. Il s’approcha. Ses pas lourds résonnaient comme un avertissement. Elle le sentait occuper l’espace autour d’elle, chaque mouvement resserrant le piège invisible où elle se trouvait. Arrivé à quelques centimètres, il baissa la voix. — Regarde-moi. Elle obéit malgré elle. Ses prunelles à lui brûlaient d’une intensité glaciale. — Tu ne touches rien ici. Rien ne t’appartient. Patricia sentit ses jambes fléchir. Elle dut s’appuyer au rebord de la table pour ne pas céder. — D’accord… murmura-t-elle, incapable de soutenir plus longtemps cette domination muette. Pourquoi une telle férocité pour quelques ustensiles ? Peut-être était-ce lié à cette femme dont il avait parlé. — Tu es trop près…, souffla-t-elle, la gorge sèche. Il ne recula pas. Au contraire, il resta planté là, à scruter son visage comme pour déchiffrer ses pensées. Un sourire froid, presque cruel, étira enfin ses lèvres. — Je croyais que nous étions mariés. Tu sembles l’avoir oublié. Elle resserra les pans de sa chemise de nuit contre sa poitrine. Son attitude oscillait entre l’insolence et la peur. — J’ai déjà un fiancé, balbutia-t-elle, plus pour se convaincre elle-même que pour lui répondre. — Moi aussi, répliqua-t-il d’un ton plat. Puis, sans un mot de plus, il se détourna et disparut dans l’ombre du couloir. Patricia resta clouée sur place, encore secouée. Lorsqu’elle retrouva enfin ses esprits, elle s’empressa de regagner la chambre qu’on lui avait assignée. Le matin venu, elle se redressa brusquement. Le soleil perçait à travers la fenêtre, vif, implacable. La panique s’empara d’elle. Roman lui avait ordonné de partir à l’aube. Or l’aube était déjà passée. Elle enfila ses vêtements en toute hâte, rassembla ses affaires et se précipita vers l’entrée. Son esprit n’était plus qu’un tumulte de crainte et de hâte. À peine avait-elle atteint le hall qu’elle entendit des voix. L’une, calme et assurée, ne pouvait être que celle de Roman. L’autre, pourtant… l’autre résonnait en elle avec une familiarité douloureuse. Elle ralentit. Ses pas devinrent hésitants. Lorsqu’elle franchit enfin l’arche, son regard croisa celui de l’homme debout à côté de Roman. — Patricia ?! Sa gorge se serra. — Collin… Roman pivota légèrement, intrigué par cette reconnaissance. Le monde sembla vaciller autour d’elle. Pourquoi Collin se trouvait-il ici ? Roman l’avait-il convoqué exprès, pour la confondre ? La vérité la glaça : son hospitalité n’avait été qu’un leurre. Collin avança d’un pas, le visage bouleversé. — Qu’est-ce que ça veut dire ? demanda-t-il d’une voix tendue. — Ce n’est pas ce que tu crois ! s’écria Patricia précipitamment. Je t’expliquerai tout, mais pas ici. Viens, sortons d’abord… Elle vit la douleur s’insinuer dans ses yeux, cette fissure qu’elle redoutait. — Dis-moi seulement qu’il n’est pas la raison pour laquelle tu as ignoré mes appels, reprit-il d’une voix brisée. J’ai cru devenir fou d’inquiétude, j’étais prêt à affronter ta famille… Elle ouvrit la bouche, suffoquant sous le poids de la culpabilité. — Je… Roman la coupa net, avançant d’un pas, impassible. — C’est moi. Nous sommes mariés. Le visage de Collin se contracta sous le coup. Il recula, suffoqué, puis, dans un geste d’impuissance, frappa du plat de la main contre le mur. Le bruit claqua dans l’air, sec et v*****t. Patricia tressaillit. Le cœur serré, elle regarda l’homme qu’elle aimait chanceler sous ce mensonge cruel. Tout s’effondrait autour d’elle, et elle ne savait plus comment l’arrêter.
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