Chapitre 3

1631 Words
CHAPITRE 3Autour de moi les derniers oiseaux chantent. J'assiste au coucher de soleil qui projette des lueurs orangées sur la terrasse, en profitant des derniers rayons qui viennent se poser sur mon visage. Assise sur la balancelle, je contemple la boîte posée sur mes genoux. J'essaie de m'imaginer Laïa la prendre dans ses mains et de me souvenir de sa présence chaleureuse. Les émotions se font moins violentes, alors je décide de l'ouvrir. Ça fait un bon paquet de photographies. Je retire les deux premières que j'ai vues tout à l'heure et les pose à côté de moi, pour découvrir d'autres souvenirs. Le premier est une photo de groupe avec nos amis. Tous ne sont pas présents sur la photo ; il y avait aussi des plus petits que moi, mais sur celle-ci nous sommes seulement cinq. Ces cinq personnes, en particulier, composaient en grande partie ma famille. Il y a Laïa, Logan, moi, ainsi qu'une fille blonde et un garçon châtain, avec le même regard noisette. Je les aimais beaucoup eux aussi. Nous traînions toujours ensemble, nous ne nous séparions jamais. Nous étions unis par un lien unique et fort, que je pensais, à l'époque, indestructible. Mais apparemment pas si indestructible que ça… Je range ce cliché dans ma poche et passe aux suivants. Tous pour la majorité sont des photos d'autres élèves de l'orphelinat, sur lesquelles, parfois nous faisons une apparition avec Laïa. Les images défilent en même temps que mes souvenirs qui refont doucement surface. J'arrive finalement au fond de la boîte, il n'y a plus de photos. Malgré la tristesse et la mélancolie, je trouve un certain réconfort à avoir tous ces clichés qui me rappellent de très belles années. Je farfouille dans la boîte, longeant les contours à tâtons, du bout des doigts, pour être sûre de n'avoir rien manqué. Il faut croire que mon intuition était bonne puisque je tombe sur un tout petit morceau de papier froissé. Je le prends et le déplie délicatement pour découvrir une série de chiffres qui se succèdent. Je crois que c'est un numéro de téléphone, que je ne reconnais pas. Cependant un détail m'intrigue, le papier ne semble pas si vieux que ça. Je ne réfléchis pas plus longtemps, le remets dans la boîte sans me poser plus de questions, et le recouvre des autres photos. Je referme le couvercle en soupirant. La vie que je mène est tranquille certes, mais elle ne vaut pas la peine d'être vécue si elle manque d'amour. C'est ce que je cherche depuis sept ans, en vain. J'ai fini par me convaincre que je ne le trouverais jamais et que je n'honorerais pas la promesse que j'ai faite à Laïa. Lorsque je quitterai ce foyer, je devrai voler de mes propres ailes, avec une petite somme d'argent pour débuter. La vie n'est vraiment pas drôle quand on ne peut pas compter sur sa famille. J'ai été abandonnée à tout juste un an devant les portes de l'orphelinat. Je n'ai aucun souvenir de mes parents biologiques, et pour être sincère, je ne sais pas si je voudrais en avoir, ou savoir pourquoi ils m'ont laissée. S'ils m'ont abandonnée c'est qu'ils ne désiraient pas d'enfants. Alors à quoi cela servirait que je les cherche s'ils ne veulent pas de moi ? Non. Je débute ma nouvelle vie dans deux mois et je vais tout faire pour m'en sortir et ne pas ressasser le passé. J'entends un rire derrière moi. Avant que je n'aie pu voir de qui il s'agit, Benjamin fait irruption avec son pistolet et m'asperge d'eau. J'essaye d'éviter les nombreux tirs mais je suis coincée sur la terrasse. Mes vêtements ne sont pas épargnés et je finis trempée comme une soupe. — Espèce de morveux ! je crie en rigolant. — Tu l'as bien mérité ! J'aurais dû remplir son pistolet d'araignées. De cette manière, il ne l'aurait jamais approché et par la même occasion j'aurais évité la noyade. J'aurais fait une pierre, deux coups comme on dit. Le sourire sur mes lèvres s'estompe subitement. Alors que Benjamin continue à me pulvériser avec son pistolet, je suis incapable de bouger. Je ne peux esquisser un mouvement. Ma vision se trouble et je suis prise de violents vertiges. Oh, non ! Ça recommence. Benjamin a cessé toute tentative d'agression en voyant que quelque chose n'allait pas. Je titube de gauche à droite en tentant de gagner la salle de bain. Je passe dans le salon en prenant appui comme je peux contre les murs alors que ma vue commence à devenir complètement noire. Benjamin me suit de très près affichant une mine inquiète. Cette situation me donne envie d'éclater de rire. Le petit monstre a peur pour moi. Comme c'est touchant. Je parviens enfin à rejoindre la salle de bain et plus particulièrement les WC, où je vomis tout mon repas de midi. Je suis à bout de forces, je ne tiens plus debout. La mort va certainement m'emporter aujourd'hui. Je me glisse contre le mur, m'assois et ferme les yeux. J'ai hâte de partir de ce monde cruel. Je serai libérée de toute contrainte. Ma tête tombe sur mes épaules et je me sens partir. — Esmeralda ? Une voix familière me ramène à la dure réalité. J'ouvre un œil et je constate que je suis toujours vivante. Dommage. Bon d'accord, je crois que j'ai un peu exagéré la situation. Visiblement je ne mourrai pas aujourd'hui. Je lève les yeux et aperçois une petite fille de sept ans. C'est Lili, la fille avec qui nous partageons notre chambre. Elle a l'air effrayé tout comme son frère juste à côté. J'ai tellement envie de rire, mais les nausées réapparaissent. On dit que rire prolonge la vie. C'est peut-être le cas pour les autres, mais pas pour moi. Je n'ai pas cette chance. Immobile, j'ancre mon regard dans le mur qui me fait face, en me rappelant les paroles du médecin qui s'adressait à Madame Williams. À l'âge de cinq ans il m'a été diagnostiqué une maladie pas vraiment… comme les autres. Une maladie sournoise et qui, malheureusement, est fatale. La maladie, qui envahit chaque parcelle de mon corps, est la même qui a tué Laïa. On la nomme la Pérafine. Elle n'est pas encore reconnue comme une véritable maladie, car dans le monde nous ne sommes qu'une petite poignée d'hommes et de femmes à en être atteints. Et j'en fais malheureusement partie. Mais le pire dans tout ça, c'est qu'il n'y a aucun traitement. Eh oui , cette maladie minable est incurable. Et comme si cela ne suffisait pas, mon espérance de vie ne dépasse pas les trente ans. On ne peut pas dire que j'ai été gâtée par la nature. Au lycée, lorsque j'entends les élèves se plaindre de ce qu'ils n'ont pas eu à Noël ou lorsque je les vois passer leurs journées sur leur téléphone, j'ai envie de les secouer pour qu'ils se rendent compte de tout ce qu'ils ratent autour d'eux. Ils n'imaginent pas un instant la chance qu'ils ont. À partir du moment où ils ont une famille qui les aime et qui se soucie d'eux, ils ont tout gagné. Je ne peux pas en dire autant. — Qu'est-ce que tu as ? Lili est vraiment affolée, mais il ne faut pas. J'ai l'habitude de ce genre de crise. C'est juste que ces temps-ci, elles sont plus fréquentes ; en revanche, j'ignore pourquoi. — Un méchant virus, dis-je avec les forces qu'il me reste. — Tu mens. Je scrute Benjamin, il n'y a aucune trace de malice sur son visage contrairement à d'habitude. Il essaie de cacher son inquiétude derrière son sérieux, tout sauf naturel. Mais je la perçois malgré tout. Non, je ne rêve pas Benjamin se fait du souci pour moi. C'est un petit pas pour l'homme, et un grand pas pour l'humanité. Ce jour restera gravé dans les mémoires à tout jamais ! Moi, Esmeralda Henderson, déclare que le monde est en train de changer ! Avec les forces qu'il me reste, je parviens difficilement à sourire face à ma réaction complètement décalée, vu mon état. Mais c'est plus fort que moi. J'ai peut-être jugé ce gamin trop vite, après tout. Le sourire idiot qui s'étale sur mon visage ne le fait pas pour autant rire et il garde les bras croisés. — Non, je ne mens pas. Ma voix est semblable à celle que je pourrais avoir après quelques verres. Je dois vraiment faire pitié. — J'appelle mes parents. — Non ! Ne fais pas ça ! Ma voix se fait implorante, il ne faut surtout pas les prévenir : d'une part, parce qu'ils ne pourront rien y faire et d'autre part, parce qu'ils risquent de me faire changer de foyer de peur que leurs enfants n'attrapent ma maladie, alors que ce n'est pas quelque chose de contagieux. Mais je ne veux pas prendre le risque d'être virée de cette famille alors que je viens tout juste de trouver un travail. Et ça n'a pas été chose facile… alors hors de question de le perdre. — Dis-nous ce que tu as, alors. Je soupire de lassitude, alors que je sens mes forces me revenir progressivement. Je retire ce que j'ai dit, en fait ce gamin me tape toujours sur les nerfs. — Je suis malade, ça paraît évident. — Quoi comme maladie ? — Une maladie qui n'est pas du genre à se guérir facilement. Benjamin ne dit plus un mot. Étant plus âgé que sa sœur, je sais qu'il a compris ce que j'entendais par là. Je ne veux pas effrayer Lili, de nature sensible, plus qu'elle ne l'est déjà. Lui annoncer que je mourrai avant elle, lui provoquerait certainement un arrêt cardiaque. — Écoutez, la vie est courte. C'est pour ça que vous devez en profiter un maximum sans vous préoccuper de l'avenir. Si vous avez des rêves, réalisez-les. Des peurs (mon regard passe sur Benjamin) affrontez-les. Ne pensez jamais qu'une chose vous est impossible. Si vous le voulez vraiment, vous pourrez tout accomplir. Considérez ça comme les paroles d'une mourante. Mais malgré tout ça, je vis comme une personne normale sans me soucier du lendemain. Quelle belle hypocrite je fais. Je leur donne tous ces conseils, alors que moi-même je suis incapable de les suivre. Mais c'est peut-être dû au fait que je n'ai plus tellement de temps devant moi. Si je trouve un but maintenant, j'ai peur que le temps qu'il me reste ne soit pas suffisant. Pour moi, il est trop tard mais pour eux, ce n'est que le début. Et je ne veux pas qu'ils fassent comme tous les autres : qu'ils gâchent leur vie. Moi, je ne fais qu'attendre patiemment le jour fatidique. La vie est un luxe que nous ne pouvons nous payer qu'une fois. Alors la saisir c'est vivre.
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