Chapitre 11 :
L’air sentait le jasmin et la vanille. Chaque respiration semblait emprisonner un peu plus de ce parfum dans mes poumons. Madame Béatrice, imperturbable, vaporisait la fragrance autour de moi comme si elle tentait d’effacer toute trace de ce que j’étais.
Sous ses gestes précis, je devenais une statue de porcelaine. Tout brillait — les perles à mes oreilles, la dentelle sur ma robe, le reflet des boucles dorées qui encadraient mon visage. Une perfection vide.
Mais à l’intérieur, mes doigts tremblaient. La panique s’accrochait à ma peau comme un tissu trop serré.
Un coup sec à la porte fit sursauter la pièce entière. Le majordome entra, droit comme un soldat.
— Lady Carter et ses filles viennent d’arriver.
Mon cœur se contracta.
Elles apparurent bientôt, ma mère en tête, suivie de mes sœurs. Trois ombres parfumées de supériorité. Leurs regards glissèrent sur moi, de haut en bas, jaugeant chaque pli, chaque bijou, chaque centimètre de mon voile.
Monique eut un rictus amusé.
— Quelle surprise. La fille sans loup de la famille Carter a réussi à se transformer en mariée convenable.
Mabel ricana, bras croisés.
— Une belle apparence ne rachète pas une âme sans valeur.
Je ne dis rien. Le silence était devenu mon armure. J’avais appris que le mutisme leur volait toute victoire.
Ma mère, droite comme un chêne, me regarda à peine avant de prononcer :
— Peu importe ce que tu ressens, Meredith. Fais honneur à ton nom. Ne nous couvre pas de honte.
Je soutins son regard sans ciller.
— Quel nom ? murmurai-je.
— Ton père m’a déjà bannie. Moonstone ne m’appartient plus.
Un soupir de dédain franchit les lèvres de Mabel.
— Écoute-la, mère. Un jour à peine hors de notre maison, et elle ose répondre.
Monique posa une main légère sur son épaule, un sourire cruel au coin des lèvres.
— Qu’elle profite de sa liberté. Bientôt, elle apprendra qu’une épouse d’Alpha ne parle pas sans permission.
Sous ma robe, mes doigts se crispèrent, froissant le tissu.
Puis ma mère fit un pas de côté, révélant quelqu’un derrière elle. Une femme entra, tête baissée, les yeux sombres brillants d’une émotion contenue.
Je restai figée.
Azul.
Elle s’inclina.
— À votre service, Madame.
Les souvenirs affluèrent comme une marée. Ses mains qui avaient soigné mes blessures d’enfant, sa voix douce quand tout le reste n’était que cris et jugements. Elle avait disparu le jour où la Malédiction Lunaire m’avait marquée, emportée par ordre de mon père.
Et maintenant, elle revenait.
— Elle te servira ici, déclara ma mère avec détachement. Considère cela comme un présent de ma part.
Un cadeau ? Je ne savais plus si je devais la remercier ou m’en méfier. Était-ce une preuve d’humanité ou un rappel de son pouvoir sur moi ?
Les cloches sonnèrent avant que je puisse réfléchir davantage. Le son vibra dans mes os.
Le moment était venu.
Madame Béatrice fit un signe discret aux domestiques.
— Conduisez la mariée.
Ma mère ne me souhaita ni courage ni chance. Mes sœurs partirent sans un mot, Azul dans leur sillage. Et moi, je marchai, chaque pas plus lourd que le précédent, vers un avenir que je n’avais pas choisi.
*~Draven~*
Le parfum du cèdre consumé emplissait l’air lorsque je traversai l’allée. Derrière moi, le murmure des invités se fit silence.
La cérémonie avait lieu dans la Cour Lunaire Sacrée, lieu ancestral où seuls les plus puissants unissaient leurs destins. Une arche de pierre dominait l’autel, gravée des symboles de la Déesse, et les rayons du soleil glissaient sur ses courbes anciennes.
Cinq Alphas, cinq puissances.
Magnus, des guérisseurs de Moonstone. Solas, maître des Crocs-de-Sang, guerriers sans peur. Victor, forgeron des armes de Silvercrest. Ulric, du Pacte des Cendres, dont les coffres débordaient d’or. Et mon père, Randall Oatrun, stratège légendaire de la Meute des Fourrures Mystiques.
Tous étaient là. Même le roi Alderic observait depuis son trône d’argent.
Le Conseil et Gabriel Carter, le père de la mariée, assistaient, impassibles. Leur hostilité flottait dans l’air comme un brouillard dense.
Je me tins à ma place, attendant qu’elle vienne.
Et enfin, elle apparut.
Meredith.
Seule, sans escorte, avançant lentement sous un voile qui la rendait presque irréelle. Sa robe ondulait sur le sol comme une onde blanche. Je ne pouvais pas voir ses yeux, mais je sentais leur force.
Mon loup, Rhovan, gronda dans ma tête.
*Elle est à nous.*
*Pas maintenant,* soufflai-je intérieurement.
*Réclame-la !*
*Tais-toi.*
Il grogna encore, fébrile.
Meredith s’arrêta près de moi, le souffle court. Son calme était une façade ; je sentais la tempête sous sa peau.
Le prêtre leva la main.
— Sous la bénédiction de la Déesse de la Lune, nous sommes rassemblés pour unir Alpha Draven Oatrun et Meredith Carter. Leur serment, lié par le sang et la foi, sera témoin devant nos ancêtres et les esprits de la meute.
Le vent siffla entre les arbres. Le monde sembla suspendu.
— Draven Oatrun, dit le prêtre, jurez-vous de protéger cette femme, de l’honorer et de partager avec elle vos jours et vos nuits ?
Je posai les yeux sur elle.
— Oui.
Les mots glissèrent sans émotion.
Puis vint son tour.
— Meredith Carter, acceptez-vous cet homme comme compagnon et époux ? Promettez-vous de marcher à ses côtés dans la lumière comme dans l’ombre ?
Elle ne répondit pas.
Un murmure s’éleva parmi les invités.
Je la fixai à travers le voile.
— Réponds, dis-je calmement, sans patience.
Le prêtre insista :
— Meredith Carter, acceptez-vous Alpha Draven Oatrun pour époux légitime ?
Alors, elle releva la tête. Ses yeux violets transpercèrent le voile, puis les miens.
Une seconde, deux… le monde entier semblait retenir son souffle.
Et d’une voix claire, sans trembler, elle déclara :
— Non.
Le silence éclata comme du verre brisé.