Prologue

1453 Words
Comme tout les contes de fées, celui-ci commence par les mots suivants : il était une fois... Mais ce récit prend très vite une autre tournure. Car il ne raconte pas seulement la rencontre d'une belle jeune fille et d'un prince charmant - même si la jeune fille est ici d'une grande beauté et le prince parfois charmant. Cette histoire parle de la beauté intérieure, plus profonde encore, que deux personnes apprennent à découvrir après s'être rencontrées. Il était une fois, au cœur de la France... Le prince s'immobilise devant une porte dorée, derrière laquelle s'échappent des rires et de la musique. La fête a déjà commencé dans la salle de bal, où ses invités doivent être en train d'admirer les précieux objets qui ornent les meubles et les murs : des vases somptueux, de nobles portraits, de riches tapisseries, des plats en or... Mais les participants doivent être plus splendides encore, le prince le sait : il ne convi que des gens qu'il juge assez beaux pour paraître en sa présence. Ils viennent du monde entier pour décorer sa salle de bal, comme de simples bibelots. Pendant que le prince attend devant la porte fermée, ses serviteurs s'affairent autour de lui pour mettre la touche finale à son costume. Son majordome, qui se tient à l'écart, consulte sa montre à gousset : le vieil homme ne supporte pas que le prince ait du retard - ce qui arrive souvent. Au moins d'un petit pinceau, une servante peint une ligne blanche sur le beau visage du prince et recule pour admirer son travail. Il lui a fallu des heures pour dessiner un masque sur les traits si fins de son maître : des touches de doré et de bleu embellissent son regard, et de la poudre rouge fait ressortir ses pommettes. Un grain de beauté artificiel a été placé au-dessus de ses lèvres écarlates. Sous le maquillage, les yeux bleus du prince brillent d'une lueur glaciale. Un valet drape les épaules de son maître d'un long manteau incrusté de pierres précieuses, tandis que la servante poudre sa perruque. Puis, avec anxiété, les deux domestiques s'inclinent devant lui, pendant qu'un troisième apporte un petit miroir d'argent qu'il tend au prince. Celui-ci s'en empare de sa main gantée. - De la lumière ! ordonne-t-il. -Oui, Votre Altesse, répond le valet en levant un candélabre pour illuminer le visage de son maître. Le prince observe son reflet avec attention. Il tourne la tête à droite, à gauche, acquiesce d'un air satisfait et... lâche brusquement le miroir. Il fait signe au majordome d'ouvrir la porte, tandis qu'un serviteur se précipite pour rattraper le miroir avant qu'il ne se brise sur le sol. En voyant le prince entrer dans la salle de bal, tous les domestiques poussent un soupir de soulagement : ils vont pouvoir se détendre durant quelques heures, loin de leur maître si cruel et si méprisant. Sans se soucier de ce que pensent ses serviteurs, le prince traverse lentement l'immense salle, remplie d'invités qui ont revêtu, sur son ordre, de splendides costumes blancs. Même s'il est très satisfait du résultat enchanteur de l'ensemble, il ne laisse rien paraître. Il ne montre en effet jamais sa joie ou sa peine aux autres, car il aime se donner un air mystérieux. Sur son passage, des jeunes filles échangent des murmures excités : elles se demandent sûrement s'il leur accordera une danse ce soir. Sans leur adresser un seul coup d'œil, le prince s'avance vers son trône placé sur une estrade. Le siège surmonté d'armoiries majestueuses est magnifique, comme tous les autres meubles. Debout à côté de son trône, le prince contemple la vaste salle. Son regard se pose alors sur un petit individu assis devant un clavecin, qui lui sourit gentiment, dévoilant une rangée de dents gâtées. Le prince grimace avant de lui faire un signe de tête. Cet homme est après tout un grand musicien italien, accompagné de sa femme, une élégante chanteuse d'opéra, et de son chien. Le couple est célèbre dans le monde entier, raison pour laquelle le prince a insisté pour qu'ils soient présents lors de cette fête. Le maestro se met à jouer de son instrument, et la diva entonne un chant. Le prince se dirige vers le centre de la salle, où il commence à danser avec des mouvements fluides et gracieux, tandis que de belles dames l'imitent. Pourtant, leur beauté n'a rien de comparable à celle du prince, même si sa froideur est plus mordante que le vent et la pluie qui se déchaînent au dehors. La voix de la chanteuse vient d'atteindre une note aiguë, presque douloureuse, quand le prince entend soudain un bruit qui couvre la musique. On dirait que quelqu'un frappe à la porte qui mène aux jardins. Le jeune homme lève la main, et les musiciens s'interrompent aussitôt. On toque de nouveau. L'espace d'un instant, personne n'ose bouger. Puis la porte et les fenêtres s'ouvrent brusquement : la pluie s'engouffre à l'intérieur du château et des rafales de vent éteignent les bougies fixées le long des murs. Dans la salle de bal à moitié plongée dans l'obscurité, les invités échangent des murmures inquiets. À la lueur des candélabres restés allumés sur les tables, le prince voit entrer une silhouette qu'il observe avec irritation et curiosité à la fois. L'inconnu, aux épaules voûtées, la tête couverte d'un capuchon, avance lentement à l'aide d'un vieux bâton qu'il serre d'une main tremblante. Dès que la porte se referme, le nouveau venu pousse un soupir, visiblement heureux de se retrouver au chaud. Une fois remis de sa surprise, le prince sent une rage noire monter en lui. Il s'empare d'un candelabre et traverse la foule d'un pas décidé en repoussant les gens sur son passage. Lorsqu'il arrive devant la porte, le visage rouge de colère sous son maquillage, il découvre que le nouveau venu est en réalité une vieille mendiante. - Que viens-tu faire ici ? demande le prince, menaçant. La femme lève vers lui des yeux pleins d'espoir et lui tend une rose. -Je cherche à m'abriter de l'orage, chuchote-t-elle. Dehors, le vent mugit plus fort encore, comme un Monstre prise de folie. Le prince se moque de savoir si la mendiante est mouillée ou si elle a froid. Elle est vieille, maigre et pauvre : elle ne devrait pas être dans sa salle de bal. Une autre bouffée de colère s'empare de lui tandis qu'il contemple la créature si laide qui ose, par sa seule présence, gâcher les belles choses qui l'entourent. - Va-t'en! gronde-t-il en la chassant d'un geste de la main. -Je vous en prie, supplie la mendiante. J'ai besoin d'un refuge pour la nuit. - Tu n'as rien à faire parmi nous ! ajoute froidement le prince en désignant ses élégants invités. Cet endroit est consacré à la beauté, et tu es trop hideuse pour t'attarder dans mon château. - Tu ne devrais pas te fier aux apparences, répond la vieille femme. La beauté est intérieure... Le prince rejette la tête en arrière et éclate d'un rire cruel. Puis il se tait brusquement, les yeux écarquillés. Un éclair éblouissant jaillit devant lui et enveloppe la mendiante. Celle-ci disparaît et, à sa place, le prince découvre la femme la plus belle qu'il ait jamais vue. Elle flotte au-dessus de lui, nimbée d'une lumière dorée pareille à celle du soleil. Le prince réalise alors qu'il est face à une fée qui a voulu le mettre à l'épreuve. Il sait qu'il a échoué. - Pardonnez-moi, belle enchanteresse ! supplie-t-il à genoux. Soyez la bienvenue dans mon château ! Mais la fée, qui a compris que le prince avait un cœur de pierre, n'a aucune pitié pour lui. Pour le punir, elle lui jette un sort dont les effets sont instantanés : le prince gémit de douleur en sentant son corps grandir et se modifier. Les invités horrifiés se précipitent hors de la salle, tandis que l'enchanteresse observe la transformation avec calme. Un court moment plus tard, un monstre hideuse a remplacé le beau jeune homme. Il n'est cependant pas le seul à avoir changé : les autres habitants du château, non plus, ne sont plus les mêmes... Les jours, les mois, les années passent, et tous oublient peu à peu le prince et ses serviteurs, qui vivent dans le château coupé du reste du monde, au milieu d'un éternel hiver. Il subsiste malgré tout un mince espoir : la rose enchantée que la fée a offerte au prince. Si celui-ci apprend à aimer quelqu'un d'autre et à se faire aimer en retour avant que ne tombe le dernier pétale de la fleur, alors le maléfice sera rompu. Sinon, le prince sera condamné à rester un Monstre pour toujours...
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