Chapitre 1

1321 Words
Belle ouvre la porte de sa chaumière et soupire à la vue du village de Villeneuve, où tous les matins se ressemblent. Le soleil va poindre au-dessus de l'horizon, ses rayons dorés vont illuminer les champs alentour, puis effleurer les murs blancs de la petite maison de Belle avant de faire étinceler les toits de chaume des autres habitations. Les villageois vont ensuite se lever les uns après les autres, et la cloche de l'église sonnera huit heures. La jeune fille, qui c'est tout cela d'avance, pousse un autre soupir de lassitude. Son existence est tellement banale ! Elle se demande souvent comment les choses se passeraient si un matin, elle s'éveillait ailleurs. Belle secoue la tête. A quoi bon se poser tant de questions ? C'est ainsi qu'elle vit avec son père et elle ont quitté Paris, il y a des années, autant l'accepter. Sans oublier qu'elle a beaucoup à faire aujourd'hui ! Elle redresse les épaules, ferme la porte derrière elle et se dirige vers la grande -rue de Villeneuve. Les villageois qu'elle croise, la saluent de loin, sans s'arrêter pour lui parler. Ceux qui sont nés dans cet endroit la considèrent toujours comme une étrangère. D'ailleurs, la jeune fille n'a pas grand-chose en commun avec eux. Plutôt que de bavarder avec les autres, elle préfère vivre des aventures merveilleuses à travers ses livres préférés. Belle observe les villageois qui semblent heureux de mener une vie si monotone. Apparemment, aucun d'eux ne partage son envie de découvrir d'autres horizons Elle arrive bientôt à la boulangerie, d'où s'échappe une délicieuse odeur de pain frais. -Bonjour ! lance-t-elle au boulanger, qui porte un plateau de baguettes tout juste sorties du four. L'homme se contente de hocher distraitement la tête. -Une baguette et un pot de confiture, s'il vous plaît, dit la jeune fille. Quelques minutes plus tard, alors qu'elle traverse une ruelle, elle aperçoit Jean, le vieux potier, debout devant sa charette remplie de vaisselle et à laquelle est attachée sa mule. Dès qu'il remarque la jeune fille, un sourire illumine le visage de jean. -Bonjour, Belle, la salue-t-il d'une voix rauque en baissant les yeux vers sa charrette d'un air préoccupé. -Bonjour, monsieur Jean. Avez-vous de nouveau perdu quelque chose ? -Oui, je crois, répond tristement vieil homme. Mais pas moyen de m'en souvenir de quoi il s'agit. Bon, ça me reviendra. Il saisit la bride de sa mule et tire doucement. Celle-ci, plutôt que d'avancer, essaie d'enfouir son nez dans la poche de Belle. L'animal a dû sentir la pomme que la jeune fille y a cachée, au cas où elle rencontrerait Jean. Avec un sourire, Belle tend la pomme à la mule, qui s'empresse de la croquer. Elle s'apprête à reprendre sa route, quand le potier la rappelle : - Où vas-tu, comme ça ? - Rendre ce livre au père Robert, explique la jeune fille en montrant l'ouvrage qu'elle tient à la main. Il raconte l'histoire de deux amoureux dans la belle ville de Vérone... -Ils sont potiers ? la coupe Jean -Non, repond Belle. -Ce livre m'a l'air très ennuyeux, réplique le vieil homme. Sa réaction n'étonne pas Belle. Les autres villageois réagissent avec indifférence ou mépris dès qu'elle parle d'un livre, d'un voyage ou même de Paris. Bref, de choses qui n'ont rien à voir avec Villeneuve ! , songe-t-elle tout en disant au revoir au potier et à sa mule. Elle repart d'un bon pas, impatiente de rendre visite au père Robert, à qui elle pourra emprunter un autre livre avant de rentrer chez elle. Au moins, dans sa chaumière, où personne ne la dérange, elle peut se plonger dans ses romans et imaginer le vaste monde, loin de ce village. Perdue dans ses pensées, Belle ne prête pas attention aux gens qui chuchotent sur son passage. De toute façon, elle a déjà entendu leurs remarques : elle sait que les villageois la trouvent étrange, trop différente. Mais eux ne comprennent pas que Belle n'a pas envie de leur ressembler... En arrivant à l'église, la jeune fille se rend directement dans la sacristie, où le père Robert a installé la bibliothèque de la paroisse. Pour la première fois ce matin-là, Belle se sent en paix dans cet endroit tranquille, à l'écart des villageois. L'homme assis à une table lève les yeux de l'ouvrage qu'il est en train de lire et adresse un sourire chaleureux à la jeune fille. -Bonjour Belle, la salue-t-il. Alors, où as-tu voyagé cette semaine ? Elle lui rend son sourire. À l'exception de son père, le prêtre est le seul habitant de Villeneuve avec qui elle a l'impression de pouvoir vraiment parler. -Jusqu'à Vérone, une ville italienne, répond-elle d'une voix animée, en lui rendant le livre. Il y avait même un bal masqué ! Elle lui raconte l'histoire de Roméo et Juliette tandis que le père Robert hoche la tête avec intérêt. Alors qu'il l'a déjà lue plusieurs fois ! Mais cela ne l'ennuie pas, car Belle est heureuse de partager ses lectures avec lui. Dès qu'elle a terminé son récit, elle prend une profonde inspiration et demande : -Auriez-vous de nouveaux endroits à me faire découvrir, père Robert ? Pleine d'espoir, elle parcourt du regard les étagères poussiéreuses sur lesquelles sont rangées quelques dizaines de livres aux pages jaunies. Elle sait pourtant que le prêtre a rarement de nouveaux ouvrages à ajouter à la bibliothèque. -Non, pas aujourd'hui, je le crains, avoue-t-il. Une lueur de déception apparaît dans les yeux de Belle. -Tu peux relire l'un de tes préférés, si tu veux, propose gentiment le père Robert. La jeune fille s'approche des rayonnages et, du bout des doigts, effleure les ouvrages qu'elle connaît déjà si bien. Malgré tout, elle refuse de se plaindre. Elle choisit un livre et se tourne vers le prêtre. -Merci beaucoup, murmure-t-elle. Grâce à votre bibliothèque, j'ai l'impression que notre petit village est moins isolé du reste du monde. Tandis que Belle se dirige vers la grande-rue, elle ne peut s'empêcher d'ouvrir son livre à la première page et de s'y plonger... Et, bientôt, elle oublie tout ce qui l'entoure, ou presque. Tout en lisant, elle se faufile sous le plateau que porte le fromager, puis se glisse habilement entre deux fleuristes, les bras chargés de bouquets. Elle a déjà lu cette histoire, mais c'est l'une de ses préférées, car elle contient tous les ingrédients qui la font rêver : des pays lointains, un prince charmant, une courageuse jeune fille qui découvre l'amour... Cling ! Clang ! Avec un sursaut, Belle lève les yeux de son livre et comprend aussitôt d'où vient ce bruit : c'est Agathe, une vielle femme méprisée de tous les villageois. Elle n'a ni maison, ni famille et passe ses journées à mendier en secouant une écuelle. Belle est la seule à penser qu'Agathe mérite autant de respect que n'importe qui d'autre, et elle déteste que les habitants de Villeneuve se moquent d'elle. Alors, chaque fois que la jeune fille rencontre la mendiante, elle essaie de lui offrir quelque chose. -Bonjour Agathe, dit-elle d'une voix douce. Je n'ai pas d'argent, simplement ceci. Elle lui tend la baguette qu'elle a achetée un peu plus tôt. La mendiante lui adresse un sourire plein de gratitude avant de demander sur un ton espiègle : -Tu n'as pas de confiture ? Belle, qui attendait cette question, plonge la main dans sa poche et en sort le pot. -Merci beaucoup, reprend Agathe. Affamée elle arrache déjà un morceau de pain de la baguette et se met à manger, oubliant instantanément la présence de la jeune fille. Celle-ci sourit à son tour. Sans pouvoir se l'expliquer, elle se sent proche de cette vieille femme, qui veut simplement qu'on lui donne de quoi se nourrir, puis qu'on la laisse tranquille. Car Belle est pareille avec ses livres. Même si elle se sent parfois seule, elle ne supporte pas qu'on la dérange ni qu'on fasse trop attention à elle.
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