Chapitre 2

1723 Words
Gaston, de son côté, aime qu'on lui prête attention. À dire vrai, il ne vit que pour cela. Depuis qu'il est tout petit, il cherche à se faire remarquer. Il a marché et parlé plus tôt que les autres enfants. Ensuite, en grandissant, il est devenu plus beau qu'eux. Avec ses cheveux sombres, son regard perçant, ses larges épaules, les jeunes filles l'adorent et les autres hommes l'admirent. Et comme il n'y a pas assez de gens à impressionner dans un village comme Villeneuve, Gaston s'est engagé dans l'armée pour partir à la guerre. Il n'a pas vu cela comme l'occasion de défendre son pays, mais comme une chance de porter un uniforme élégant et de courtiser les dames. Ce dont il ne s'est pas privé. Une fois la guerre finie, il est revenu en héros. Même si douze années se sont écoulées, il enfile son uniforme tous les matins et continue de croire qu'il est le plus bel homme du village. Monté sur son étalon noir, Gaston contemple Villeneuve depuis un promontoire qui surplombe les maisons. Son torse est couvert d'un plastron doré, étincelant, et il contracte les muscles de ses bras pour tirer sur les rênes de son cheval, qui piaffe avec nervosité, Son fidèle mousquet et le gibier qu'il a tué sont accrochés à sa selle. Comme d'habitude, la chasse a été bonne dans les bois où il se rend chaque après-midi. -Tu n'as pas raté une seule proie, Gaston, le félicite son compagnon, Le Fou, qui se tient tout près, assis sur un poney. À côté de Gaston, qui est considéré comme un vrai lion, Le Fou a plutôt l'air d'un chat. Petit et grassouillet, personne ne le remarque jamais, dans le village. Et si Gaston a de l'affection pour lui, c'est surtout parce que Le Fou est son plus grand admirateur. -Tu es le meilleur chasseur de Villeneuve, affirme le petit homme. Gaston lui décroche un regard noir. -Euh... le meilleur du monde! corrige Le Fou. À ces mots, son ami bombe le torse et lève le menton, comme s'il attendait les applaudissements d'une foule invisible. -Tu as fait une bonne chasse, toi aussi, réplique-t-il sur un ton moqueur en montrant les légumes que son compagnon a trouvés dans les bois. Le Fou est sur le point de répondre quand il voit Gaston se redresser sur sa selle et plisser les yeux pour scruter dans le lointain, comme un loup à l'affût d'une proie. Le petit homme comprend alors ce qui a attiré l'attention de son ami : vêtue d'une robe d'un bleu vif qui met en valeur sa chevelure auburn, Belle se dirige vers la place du village. -Voici ma future femme, annonce Gaston, plein d'assurance. Belle est la plus jolie fille de Villeneuve, c'est pourquoi elle est digne de moi. -Mais elle aime tant les livres, et toi, tu es si... commence Le Fou. Il se tait, craignant d'offencer son compagnon, avant d'ajouter : -Athlétique. -Je sais, acquiesce Gaston. Belle est aussi... belle que cultivée. -Justement ! s'exclame Le Fou. Tu n'as pas besoin d'elle. Toi et moi nous formons le Duo ! C'est un surnom que le petit homme a inventé quand Gaston et lui sont revenus de la guerre, et il aimerait bien que tout le monde les appelle ainsi. Malheureusement, personne ne le fait. Gaston, perdue dans ses pensées, ne l'écoute pas et continue d'admirer Belle dans le lointain. -C'est la seule fille qui me donne envie de me marier, murmure-t-il. Et j'ai assez perdu de temps comme ça ! Sans prévenir, il lance son cheval au galop pour se diriger fièrement vers le village, pareil à un héros de retour de la guerre. Le Fou s'empresse de le suivre sur son poney, qui part... au trot. En entendant un bruit de sabot derrière elle Belle se retourne. Elle reconnaît aussitôt le cheval noir et son cavalier, qui vienne de débouler sur la place. Ils sont suivis de Le Fou, dont le petit poney qui a bien du mal à rattraper l'étalon. La jeune fille réprime un gémissement et se cache derrière l'étal du fromager en espérant que Gaston ne la verra pas. Belle ne supporte pas se héros. Chaque fois qu'elle le croise, il se pavane comme un paon devant elle. Il passe son temps à se vanter ou à raconter ses exploits de guerrier ou de chasseur. Elle sait que les autres jeunes villageoises l'apprécient, mais elle trouve qu'il a quelque chose de... Bestial. Justement, pareil à un animal sauvage, Gaston a mis pied à terre et, un bouquet de fleurs à la main, scrute la foule des yeux. Soudain, il appercoit Belle et s'approche d'elle en quelque enjambées, si bien que la jeune fille n'a pas le temps de s'échapper. -Bonjour, Belle, la salue-t-il en s'immobilisant devant elle. La jeune fille recule d'un pas. -Quel livre merveilleux ! ajoute-t-il en remarquant l'ouvrage qu'elle porte sous le bras. -Tu l'as vraiment lu ? interroge Belle en haussant un sourcil . -J'ai fais beaucoup de choses quand j'étais dans l'armée, répond Gaston d'un air évasif. Belle se retient de ne pas éclater de rire. L'homme se penche vers elle et, avec un geste élégant, lui offre le bouquet. -Pour la table de ta salle à manger, précise-t-il. Puis-je venir dîner chez toi ? -Désolée, pas ce soir, se dépêche de répliquer la jeune fille en secouant la tête. -Tu es déjà prise ? demande Gaston. -Non, contente de dire Belle. Et avant qu'il puisse insister, elle s'éloigne dans une autre rue. Elle connaît bien Gaston ; ila beau être fort et musclé, il est comme les autres habitants du village : il ne la fait pas rêver. Et, une chose est sûre, jamais elle ne l'invitera à dîner ! Pressant le pas, Belle arrive chez elle quelque minutes plus tard. La maison est jolie et confortable, pourvue de larges fenêtres, d'un jardinet et d'un atelier situé au sous-sol. Une mélodie s'échappe des portes de cette pièce, où son père, Maurice, est en plien travail. Soucieuse de ne pas le déranger, Belle descend l'escalier qui mène à l'atelier sur la pointe des pieds. Les étagères et la tables sont couvertes de vis, de mécanismes, de bouts de fil de fer et de figurines délicates. Le soleil qui filtre par une petite fenêtre éclaire Maurice, penché devant son établi. Il se concentre sur une boîte à musique dont l'intérieur, joliment peint, représente un artiste dans un minuscule appartement parisien. Belle s'avance dans la pièce et le vieil homme se redresse. A la vue de sa fille, il sourit tendrement. -Ah te voilà de retour ! s'exclame-t-il avant de se concentrer de nouveau sur la boîte a musique. Où étais-tu ? -Je me suis d'abord rendue à Saint-Pétersbourg afin de rendre visite au tsar, puis je sius allée pêcher au fond d'un puits, répond la jeune fille sur un ton taquin. Son père hoche la tête avec un air songeur, comme s'il ne l'avait pas vraiment écoutée. Quand il travaille, rien ne peut le distraire ! Mais Belle comprend parfaitement : il lui arrive exactement la même chose quand elle plonge dans un livre . -Hmm, je vois, marmonne Maurice. Peux-tu me passer... Avant qu'il ne puisse terminer, sa fille lui tend le tournevis. -Et le... Cette fois, elle lui donne un petit marteau. Tandis que son père bricole le mécanisme de la boîte à musique, Belle se dirige vers une étagère remplie d'autres boîtes déjà terminées. Elle contemple en les efflerant du bout des doigts. Chacune est une véritable oeuvre d'art et représente un endroit lointain. Et c'est pour elle que son père les fabrique, même s'il ne le lui a jamais avoué. Maurice est concient que sa fille aimerait quitter Villeneuve pour explorer le vaste monde. Belle repense alors aux villageois qui la trouvent si différente. -Papa, est-ce que je suis bizarre ? demande-t-elle d'une voix douce. L'homme lève les yeux de son travail et la dévisage avec surprise. -Bizarre ? répète-t-il. Où es-tu allée cercher une idée pareille ? Belle hausse les épaules. -Oh, je ne sais pas... Peut-être en écoutant les gens bavarder. -Peu importe ce que les habitants de Villeneuve peuvent raconter, répond tristement Maurice. Ils sont d'esprit, c'est vrai, mais ici, nous sommes en sécurité. Sa fille soupire : ce n'est pas la première fois que son père insiste sur le point. Pourtant, elle ne comprend pas pourquoi il tient tant à rester dans ce village. Voyant que Belle est sur le point de protester? Maurice s'empresse d'ajouter : -Quand je vivais à Paris, je connaissais une jeune femme qui était si différente, si audacieuse, si en avance sur son temps que les autres se moquaient souvent d'elle... avant de se mettre à l'imiter. Sais-tu ce qu'elle disait ? Que les gens qui parlent dans ton dos sont condamnés à ne jamais changer. Belle hoche la tête. Elle aime bien les histoires que son père lui relate parfois pour lui donner des leçons de vie. Et aujourd'hui, il essaie de lui expliquer qu'elle a le droit d'être différente, de ne pas ressembler aux autres villageois. -Cette jeune femme était ta mère, dit le vieil homme en prenant la main de sa fille dans la sienne. Belle lui sourit, même si la tristesse étreint son coeur. Elle ne se rappelle pas de sa mère. Et Maurice, qui n'aime pas confier ses souvenirs, parle rarement d'elle. -Raconte-moi autre chose à propos d'elle, s'il te plaît, reprend Belle. Les doigts de son père se referment sur la petite boîte à musique posée devant lui, puis il fixe sa fille unique. -Ta mère était... pleine de courage, murmure-t-il. Et si tu veux en savoir davantage sur sa beauté, il te suffit de te regarder dans un miroir. Il s'empare d'une pince, tranche un fil de métal et, soudain, une musique s'élève de la boîte. -Comme c'est beau... chuvhote Belle. Elle lève alors les yeux vers le portrait de sa mère, accroché au mur, juste au-dessus de l'établi de son père. -Je crois que Maman aurait adoré cette musique, ajoute la jeune fille, rêveuse. Mais Maurice, de nouveau absorbé dans l'univers de ses boîtes à musique, ne l'entend plus. devine Belle, qui ne veut pas attrister son père d'avantage. Elle remonte l'escalier de l'atelier tout en se demandant si elle quittera un jour Villeneuve...
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