chapitre 3

1274 Words
D'un geste de la main, Belle dit au revoir à son père qui s'installe à l'avant de sa charrette, à laquelle est attelé Philibert, leur cheval de trait. L'animal au doux tempérament secoue sa crinière, pousse un hennissement joyeux et s'élance sur la route. Comme chaque année, Maurice part vendre ses boîtes à musique dans un marché situé à quelques villages de Villeneuve. Il a soigneusement emballés tous les objets qu'il a fabriqués ces derniers mois et en a rempli sa charrette. Et, comme à chaque fois, il laisse sa fille à Villeneuve : elle y est en sécurité, répète-t-il si souvent. Et puis qui d'autre que Belle porrait garder la maison en son absence ? De même, comme toujours avant son départ, Maurice a demandé à Belle : -Que veux-tu que je te rapporte du marché ? Et, comme d'habitude, la jeune fille a répondu : - Une rose. Une fois que la charette s'est éloignée, Belle rentre dans la maison et pousse un long soupir. Que faire maintenant ? Lire un livre, nettoyer la cuisine ou bien jardiner ? Non, pense-t-elle. Aujourd'hui, elle a envie de s'occuper différemment afin d'oublier que son père est parti seul sur les routes. Car, comme chaque année, la jeune fille s'inquiète pour lui. Belle remarque alors une grosse pile de linge sale. En temps normal, elle déteste faire la lessive à cause des villageoises qui se retrouvent toujours autour de la fontaine pour bavarder. Si la jeune fille pouvait laver son linge plus rapidement, elle n'aurait pas besoin de supporter trop longtemps la présence de ces commères... Une idée ingénieuse lui travers l'esprit ! Son linge sale sous le bras, elle court dans la grange chercher un harnais et un panier de pommes, puis part vers le fontaine. En arrivant, elle découvre avec plaisir qu'il n'y a personne, à l'exception d'une fillette au regard triste, occupée à frotter une chemise. Belle se dirige vers la mule de Jean le potier, qui attend devant la taverne. Après avoir fixé une extrémité du harnais au collier de l'animal, elle attache l'autre à un baquet en bois, dans lequel elle dépose son linge sale et des paillettes de savon. Elle soulève ensuite le baquet et le lâche dans la fontaine, où il se remplit d'eau. Belle se place alors devant la mule et l'attire avec une pomme : l'animal, très gourmand, commence à tourner en rond autour du bassin, entraînant avec lui le baquet plein de linge. -Que fais-tu ? interroge la petite villageoise avec curiosité. -La lessive ! réplique Belle, très satisfaite de son invention. Et tandis que la mule continue de marcher autour de la fontaine, la jeune fille sort son livre de sa poche, s'assoit sur la margelle et se met à lire. Puis elle jette un coup d'oeil à la petite, qui observe le livre avec envie. -Tu peux me lire une histoire ? demande timidement celle-ci. -Viens près de moi, répond Belle en souriant. Cela fait un long moment que Belle est au bord de la fontaine. La mule de Jean continue de tourner autour du bassin. Le linge est maintenant parfaitement propre, mais la jeune fille s'intéresse davantage à la petite villageoise assise à côté d'elle, à qui elle essaie d'apprendre à lire. A Villeneuve l'école est réservée aux garçons, car les habitants voient d'un mauvais oeil les filles qui aiment la lecture. -L...les oi...seaux bleus... vo...lent dans le... ciel, déchiffre la villageoise. Belle est ravie de constater que son élève a déjà fait d'immenses progrès en seulement quelques heures. Elle a simplement besoin de s'entraîner un peu plus. Alors que la jeune fille s'apprête à l'encourager, elle est interrompue par un cri. Levant les yeux, elle voit le maître d'école, un homme au visage cruel, qui s'approche à grands pas. Plusieurs garçons le suivent, vêtus d'uniformes qui leur donnent l'allure d'une petite armée. -Que fais-tu ? hurle le maître, furieux. Les filles n'ont pas besoin de savoir lire ! Alertés par le varcarme, quelques villageois s'avancent à leur tour. Jean le potier, le poissonnier, le père Robert et même Agathe, la mendiante se joignent à eux. Mais Belle ne se laisse pas impressionnée : elle fixe sévèrement le maître d'école avant se tourner vers sa petite élève. -Continue ta lecture, lui dit-elle en souriant. Ces mots déclenchent la colère de certains villageois, qui expriment bruyamment leur désaccord, tandis que d'autres, comme le père Robert, approuvent avec des exclamations de joie. Seule Belle reste très calme. Soudain, parmis les cris, une détonation retentit ! A la vue de Gaston, Belle lève les yeux au ciel. Ce dernier, son mousquet à la main, se tient face à la foule. Puis il tend son arme à Le Fou et secoue la tête d'un air dèsapprobateur. -Comment osez-vous vous comporter ainsi ? demande-t-il d'une voix tonitruante. Rentrez chez vous ! Les villageois s'éloignent en marmonnant. Belle se retrouve seule avec Gaston et Le Fou. Même la fillette est partie, sans doute intimidée par le grand héros. Belle ne sait pas si elle doit se réjouir ou se fâcher. Gaston doit se figurer qu'il vient de voler à son secours. En réalité, il a simplement interrompu la leçon de lecture, ce qui agace la jeune fille. Sans un mot, elle se lève et prend la direction de sa maison, mais Gaston se met à marcher à côté d'elle en silence. -As-tu apprécié ma démonstration de courage ? demande-t-il au bout d'un instant. J'ai eu l'impression de commander de nouveau à des soldats... -La guerre est terminée depuis douze ans, Gaston, fait observer Belle avec ironie. -Oui, et c'est bien dommage. Tu t'imagines peut-être que j'ai tout pour être heureux. En fait, il me manque quelque chose... -Je ne vois pas de quoi tu veux parler, réplique la jeune fille en pressant le pas. -Une femme, annonce l'homme avec sérieux. se lamente Belle, qui se doutait que cela arriverait un jour. -Et tu crois que je pourrais t'épouser ? demande-t-elle avec froideur. -Nous sommes tous les deux des combattants, explique Gaston, faisant visiblement référence à ce qui vient de se passer près de la fontaine. -Je voulais simplement apprendre à lire à une enfant, proteste Belle. -C'est à tes propres enfants que tu devrais songer, insiste Gaston. , se dit Belle en serrant les poings. -Je ne me sens pas prête à fonder une famille, rétorque-t-elle. -Parce que tu n'as pas encore rencontré l'homme qu'il te faut, affirme Gaston. -J'ai déjà rencontré tous les habitants de ce village, répond la jeune fille. -Tu devrais peut-être mieux chercher autour de toi, s'obstine Gaston d'une voix douce. J'ai changé, tu sais... a envie de hurler Belle. Même s'il se transformait en Marc Antoine et elle, en Cléopâtre, jamais elle ne l'épouserait. Jamais ! -Nous ne serions pas heureux ensemble, déclare-t-elle avec fermeté. , décide la jeune fille. Elle accélère encore le pas et arrive devant sa maison. Pourtant, Gaston ne l'entend pas de cette oreille : il la rattrape rapidement, piétinant de ses grosses bottes les légumes de son potager. -Sais-tu ce qui arrive aux vieilles filles de ce village, une fois que leurs parents sont morts ? demande-t-il sur un ton menaçant. Elles sont obligées de mendier dans les rues, comme Agathe. -Je ne suis pas riche, c'est vrai, réplique Belle en grimpant les marches du perron. En revanche, je ne suis pas simple d'esprit ! Je suis navrée, mais jamais je ne me marierai avec toi. Sur ces mots, elle entre chez elle et claque la porte au nez de Gaston. Il doit être furieux, elle en a conscience, mais il ne lui a pas laissé d'autre choix.
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