Chapitre 2-2

3015 Words
— Sans laquelle des deux ne pourriez-vous vivre ? Elle ou votre enfant ? Laquelle des deux étiez-vous sur le point d'abandonner pour l'autre ? poursuivit-il, implacable. Sous le regard sévère de son ami, elle déglutit avec difficulté, le souffle court. Elle désirait quitter sa fille ! C'était ce qu'elle avait prévu en choisissant de la confier à Hatta. La magie ne portait aucune responsabilité dans cette décision, elle cherchait simplement à soustraire son bébé au danger. Enfin, elle justifiait sa conduite ainsi… — Naaly est menacée, Nestor, elle détient un pouvoir qui effraie une femme dont j'ignore tout et dont le seul objectif sera de la tuer… — Dame Aila ! Vous aussi possédez une puissance exceptionnelle ! Pourquoi ne seriez-vous pas capable de la préserver ? Je suis sûr qu'elle sera plus en sécurité près de vous que partout ailleurs ! — Même sur les champs de bataille ! Vous oubliez à quoi mes jours ressemblent… — Admettons, pas là. Mais vous n'y passerez pas tout votre temps, non plus ! Alors, pour ces quelques instants périlleux, vous préférez la priver de votre présence sous le prétexte de la sauver ! Être orphelin ou disparaître constitue la seule alternative que vous avez envisagée et, en plus, vous avez décidé pour elle : elle grandira sans vous ! Pas de père, pas de mère ! Mais qui sait ? Naaly, si elle pouvait s'exprimer, peut-être choisirait-elle d'avoir les deux, même si la mort en était le prix ! Aila cilla. — Je refuse de prendre ce risque. — C'est vous que vous protégez, dame Aila, pas elle ! — Vous ne me comprenez pas, Nestor ! — Si, très bien ! Même mieux que vous, je crois. Je ne veux pas que vous fassiez une bêtise que vous passeriez la fin de votre vie à regretter… En matière d'âneries, je m'y connais et je suis certain que vous vous apprêtez à en commettre une, c'est mon expérience qui parle. Donnez-vous un peu de temps pour y réfléchir. Laissez la magie en dehors de votre duo pour qu'elle n'influence pas vos décisions et, vous verrez, vous réaliserez que j'ai raison… Aila se sentait désemparée. Son beau château de cartes était sur le point de s'écrouler. Elle l'avait construit jour après jour, croyant choisir les meilleures options et Nestor, en une discussion, trouvait le moyen d'en saper toutes les fondations. Quoique… N'était-ce pas déjà ce qu'elle se murmurait juste avant son arrivée dans la pièce ? Tout à son désir de sauvegarder Pardon, elle avait effacé les souvenirs qui la concernaient. Dans le cas de sa fille, elle acceptait de s'en séparer, définitivement. Nestor avait parfaitement perçu ses hésitations et, sans remords, avait émietté la protection parfaite dont elle s'était entourée ; toutes ses certitudes venaient de s'effondrer… Le cœur étreint, Nestor l'observait. Le regard dans le vague, la jeune mère semblait totalement perdue et il en portait la responsabilité. Mais il ne regrettait rien, ça non ! Pauvre petite, elle était toujours seule. Seule à prendre toutes les décisions, seule à sauver le monde, quelqu'un devait bien se charger de la défendre, elle ! Et, à cet instant précis, lui était présent pour agir… — Dame Aila, donnez-vous quelques semaines, un mois tout au plus… Et ne me rétorquez pas « Et Césarus ! », car lui, je m'en contrefiche, même si, demain, il doit me couper la tête ! Un enfant représente un véritable engagement dans la vie d'un parent. C'est pour cette raison que je n'en ai jamais eu. Je n'aurais pas été capable d'être un père convenable. Mais, vous, vous disposez de toutes les qualités nécessaires pour réussir ! Ne ratez pas cette chance… — Vous vous trompez, vous auriez été parfait dans ce rôle. Nestor émit un rire léger. — Vous dites ça parce que vous ne m'avez pas connu quand j'avais vingt ou trente ans ! Alors, je vous laisse les deux ou je récupère notre « Sans nom », qui maintenant fait un gros dodo sur votre deuxième épaule ? Aila pencha la tête vers le petit garçon qui s'était endormi, le poing contre la bouche. — Je les garde tous les deux. Revenez quand vous l'entendrez pleurer de faim… Nestor se redressa, sa main n'avait toujours pas quitté celle d'Aila. — Faites-le pour moi, je vous en prie. Aila opina en serrant les lèvres et il se douta que ce n'était pas la promesse qu'elle changerait d'avis, juste que sa réflexion allait reprendre depuis le début… — Merci, dit Nestor en sortant de la pièce, abandonnant la jeune femme beaucoup moins sereine qu'il l'avait trouvée en rentrant, mais avec deux bébés dans les bras… Il sourit. Deux bébés…, ça ne peut laisser personne indifférent, et surtout pas une Dame Blanche… Aquiri referma le battant, tremblant de tous ses membres. Si, comme d'habitude, le calme régnait dans le château, ce silence devenu étouffant l'avait oppressée au point de la réveiller en sursaut, au petit matin, le cœur battant à toute vitesse. Une fois habillée, elle avait erré entre les murs à la recherche d'un apaisement qui lui échappait. Sans s'en rendre compte, ses pas l'avaient guidée vers les appartements de Césarus et, se faisant toute petite, elle s'était rapprochée de la porte entrebâillée. — Tous mes hommes sont morts ! Ils en ont tué deux cents ! Ils les attendaient, ce n'est pas possible autrement ! Qui savait où nous allions attaquer ? Moi, vous et Aquiri ! Avant même qu'il les prononçât, elle devina les mots qui suivraient. — Partez me la chercher ! La jeune fille se rejeta en arrière et courut à perdre haleine pour regagner sa chambre. Comment devait-elle agir ? Elle n'avait pas trahi Césarus ! Il ne pouvait le croire, jamais elle ne pourrait saboter ainsi ses promesses d'avenir ! Avertie par le bourdonnement qui annonçait l'arrivée de la femme en noir, elle se composa un visage serein et une occupation apparente, calmant sa respiration de son mieux. — Le maître vous appelle. — De si bon matin ? Je le rejoins. D'un geste machinal, elle rajusta sa robe et, sous le regard indifférent de la sorcière, franchit le seuil, le buste bien droit. Tout le long du trajet qui la menait vers Césarus, elle s'appliqua à rendre invisibles tous les souvenirs du jeune homme du lac et de la pièce aux bassins. Prévoyante, elle positionna en première ligne les pensées qui touchaient à son admiration pour l'empereur, son envie de lui plaire, et, quand elle frappa à la porte, elle se sentait prête à l'affronter. Césarus affichait un air décontracté qu'il ne devait pas ressentir, mais comment mieux piéger les gens qu'en les mettant en confiance ? — Aquiri, entrez ! Je souhaitais discuter avec vous, car nous avons un petit souci… — Un souci, maître ? Si je peux vous aider à le résoudre, ce sera avec plaisir. — J'en suis ravi. Voyez-vous, cette nuit, mon armée a rencontré une résistance à laquelle je ne m'attendais pas. Ce ne sont pas les quelques morts qui me préoccupent le plus, mais la manière dont nos ennemis ont appris où nous devions attaquer. Une moue de surprise se peignit sur le visage de la jeune femme. — Mais c'est impossible, nous n'étions que trois à connaître leur destination et vous n'indiquez les renseignements essentiels à vos hommes qu'au dernier moment ! À moins que… Aquiri tapota les doigts de sa main sur ses lèvres, donnant l'impression d'une intense réflexion. — À moins que…, répéta Césarus, légèrement tendu. — … que quelqu'un soit venu dérober l'information dans nos esprits à notre insu ! Personnellement, la sorcière m'en a très peu appris sur ces aptitudes et mes compétences sont donc quasi inexistantes. Cependant, il paraît envisageable que quelqu'un, meilleur que moi dans ce domaine, y soit parvenu. La jeune femme afficha une attitude affolée et poussa un cri. — Ah ! Et si c'était dans le mien ! Elle se rua vers l'empereur et se mit à ses genoux, tremblante et visiblement éplorée. — Mon maître, rassurez-moi, jurez-moi que c'est impossible ! Que personne ne serait rentré dans mon cerveau sans que je le sache ! Je vous en supplie ! Ce serait pour moi le plus affreux des calvaires de vous avoir trahi malgré moi. Dorénavant, je ne veux plus rien connaître de vos plans, rien ! Personne ne pourra plus voler ma mémoire et, ainsi, risquer de vous entraîner vers un échec par ma faute ! Aquiri sentit l'esprit de Césarus pénétrer le sien, froid, visqueux, répugnant. Révulsée par sa présence, elle baissa la tête pour éviter de laisser transparaître son écœurement et lui offrit tout ce qu'il souhaitait. Enfin, il se retira. Si elle avait jusqu'à présent joué une comédie totale, le contact bref, mais insidieux de l'empereur la rendit nauséeuse ; elle ne parvint à réprimer les haut-le-cœur qui contractaient son estomac qu'au prix d'un immense effort. Quand elle releva son visage décomposé vers lui, elle était totalement sincère cette fois. — Très chère Aquiri. Je suis persuadée que vous n'êtes pour rien dans ce regrettable incident. Tandis qu'il prononçait ces mots, son regard remontait lentement vers la sorcière. — Retournez donc dans votre chambre vous occuper de notre prochain mariage, ajouta-t-il, en la congédiant d'un geste sec. Aquiri se redressa. Un court instant, elle observa le duo qui se faisait face, la femme en noir aux yeux vides et Césarus, dont la colère froide suait par tous les pores de sa peau. Encore légèrement étourdie, elle se contenta de murmurer « Bien, maître », avant de s'incliner et de se retirer. Une fois la porte fermée, elle se colla au mur et lança son esprit dans la pièce qu'elle venait de quitter, à peine, juste ce qu'il fallait pour entendre sans être perçue. Sans aucun doute, son futur époux serait fort surpris de découvrir tout ce qu'elle était parvenue à apprendre par elle-même. — Alors, chère sorcière, de fait, il reste vous ou moi… Or, moi, c'est irréaliste ! Mais vous… ? Seul le silence accueillit sa réflexion. — Il me semble que je vous ai posé une question ! asséna-t-il d'un ton tranchant. — Personne ne pénétrerait dans mon esprit sans que j'en sois consciente, finit-elle par répondre. — Êtes-vous en train de me dire que quelqu'un aurait réussi à le faire dans le mien, à mon insu ? Il afficha un sourire méprisant. — Vous oubliez qui je suis ! Je suis votre maître et je possède le droit de vie ou de mort sur vous ! D'une indifférence glacée, son interlocutrice ne broncha pas et son attitude impassible augmenta encore la colère de l'empereur. Il s'empara d'une lance et, alors qu'il songeait à l'en transpercer, les yeux de la femme s'animèrent tandis qu'une autre voix s'exprimait par sa bouche. — Césarus, ça suffit ! — Mère ! protesta-t-il, apparemment déstabilisé. — Tes turpitudes d'enfant gâté m'insupportent… Je te rappelle que c'est ma sorcière, et non la tienne. Alors, ne touche pas à un seul de ses cheveux. De toute façon, elle te battrait… Et puis, tu as besoin d'elle pour vaincre. — C'est faux ! Je dirige moi-même toutes mes armées, elles suivent la stratégie que j'ai élaborée point par point et c'est sur mes ordres et par la force de mon esprit supérieur qu'elles détruisent tout sur leur passage ! — Allons, ne te voile pas la face ! Elle est l'outil de ta réussite plus que tes propres talents. N'est-ce pas d'elle que tu exiges les tâches les plus contraignantes ? — Je suis Césarus ! Il serait peut-être temps que vous admettiez ma toute-puissance ! — Ah…, alors que tu viens de te faire doubler deux fois ? — Non ! C'est faux ! — Si ! Tu as noyé une vallée désertée par ses habitants et tes extraordinaires guerriers ont pris la raclée de leur vie, battus par les hommes les plus banals qui soient ! Laisse-moi rire… Un instant, l'empereur resta hébété. — Rées Es Ossé était vide… Il s'élança vers la femme en noir qui, d'un regard, le stoppa net. Étranglant ses insultes dans sa gorge, sa colère explosa : — Sale sorcière ! Pourquoi ne me l'as-tu pas annoncé ? Tu m'as rapporté qu'elle avait été détruite selon mes ordres ! — C'est moi qui lui ai demandé de se taire, je ne voulais pas gâcher le plaisir de ton nouveau mariage ! Et puis, si tu n'es pas content du travail des autres, deviens plus vigilant ! Tu es trop imbu de toi-même pour penser qu'une seule personne pourrait te mettre en échec. — Personne, vous entendez, personne ne m'arrêtera ! J'ai vaincu tous les états du nord, envahi tous ceux qui me menaient en Wallanie et, dans peu de temps, je contrôlerai ceux plus au sud. Avotour, Estanque, Épicral m'appartiendront. Ensuite, j'irai encore plus loin ! Je franchirai les mers et je poursuivrai mon invasion jusqu'à ce que la Terre entière soit à moi ! Mon ascension ne connaîtra aucune limite. Je suis fait pour conquérir et régner, et vous pour continuer à croupir dans la geôle dont vous êtes prisonnière. Alors, ne venez pas me dicter mes actes ! La voix se mit à rire. — Parce que tu crois que je resterai dans ma cage pour l'éternité… Méfie-toi, Césarus, ta trop grande confiance en toi te perdra. Tu n'es pas invincible… La preuve, deux débâcles en quelques jours, et il m'est avis que d'autres se rajouteront si tu ne renforces pas ta vigilance. J'aurais pu te donner quelques éclaircissements sur ces faits, mais, puisque je suis vouée à n'être qu'une silhouette obscure dans ta vie d'empereur, débrouille-toi tout seul. Je m'amuserai à te voir patauger quand tes échecs deviendront plus nombreux. Jusqu'à présent, tu as traversé les contrées sans rencontrer aucune résistance, mais cette nouvelle étape dans tes conquêtes risque de te réserver de désagréables déconvenues ! Dis-moi, mon très cher fils, aimes-tu les surprises ? Ah, je lis sur ton visage que tu n'y crois pas… Alors, je te quitte, je retourne dans l'ombre de mes murs… Mais, n'oublie pas, tu ne touches pas à ma sorcière ! Allez, comme je suis ta mère, je vais quand même te donner un indice : Dame Blanche… Les yeux de la femme en noir s'éteignirent et Césarus resta songeur, partagé entre hargne et curiosité. — Qu'aurait-elle pu me raconter de plus sur ces échecs ? lança l'empereur à la sorcière qui ne bougea ni ne répondit. Il se rapprocha d'elle, fulminant : — Qu'aurait-elle pu m'apprendre d'autre ? insista-t-il. Imperturbable, elle ne broncha pas. — Vous vous croyez plus forte que moi parce qu'elle vous soutient, mais cette quiétude relative ne durera pas. Vous verrez ! Je sais comment devenir plus puissant et viendra le jour où, armé d'encore de plus de pouvoirs, je vous ferai plier devant moi avant de vous tuer lentement mais sûrement ! — Vous n'êtes pas le seul à convoiter l'Oracle…, lâcha-t-elle d'un ton morne. Césarus s'arrêta, saisi. Ainsi, sa mère s'intéressait également à la pierre, ce détail risquait de lui compliquer la vie. Il jeta un regard mauvais à son interlocutrice, lourd de menaces, avant de se décider à sortir. Entendant des pas qui s'approchaient de la porte, Aquiri chercha désespérément une retraite. Sans réfléchir, elle courut vers l'escalier et grimpa quelques marches, le cœur battant, avant de se recroqueviller derrière la rampe ajourée. Une silhouette sombre cachée par une balustrade immaculée, Césarus ne pouvait que la remarquer. Ramassée sur elle-même, les yeux fermés, elle analysa, soulagée, que le bruit des talons de l'empereur décroissait. Incroyable, il s'éloignait sans l'avoir repérée… Hésitante, elle finit par se redresser, surveillant le couloir par lequel il avait disparu ; de toute évidence, il rejoignait la salle aux bassins. Songeuse, elle resta, indécise sur la conduite à tenir. Encore légèrement vacillante sur ses jambes, elle opta pour remonter dans sa chambre. Se relevant, elle sursauta en apercevant la sorcière qui la fixait de son regard mort… Depuis combien de temps cette femme l'observait-elle ? Le cœur étreint, elle se força à gravir lentement l'escalier, puis, parvenue chez elle, referma la porte d'un geste vif et plaqua son dos sur le battant, désirant par cet acte dérisoire empêcher quiconque de rentrer. Immédiatement, ses yeux parcoururent la pièce à la recherche d'un objet qui pourrait lui servir d'arme pour se défendre. Pour la première fois de sa vie, la peur l'avait envahie, déraisonnable, irrationnelle au point d'en oublier ses propres pouvoirs. Qui la terrorisait à ce point ? Césarus ? Finalement, était-il aussi puissant qu'il semblait le croire ? Elle songea aux commentaires désobligeants de la voix, celle de sa mère, apparemment… Une mère ! Il avait une mère ! Elle aurait dû s'en douter ! Assisterait-elle au mariage ? Non, son futur époux avait indiqué qu'elle demeurait prisonnière. Enfin, pas complètement, puisqu'elle parvenait à s'exprimer devant lui… Ainsi, la sorcière n'obéissait pas à l'empereur, mais à cette femme… Aquiri n'appréciait nullement la tournure que prenaient les événements. Ces nouvelles considérations l'amèneraient sans doute à modifier ses plans. Cependant, l'entente ne paraissait pas excellente entre eux deux… Pauvre Césarus… une mère abusive… Comme lui, elle avait vécu la douleur de ne pas être aimée comme celle d'être brimée par ses parents. Alors elle le défendrait ! Elle le protégerait de cette mauvaise personne ! Et pour la sorcière ? Elle ne comprenait toujours pas cet être absent, terriblement puissant, mais, dans le même temps, soumis à un autre, probablement encore plus redoutable qu'elle et, pourtant, prisonnière… Mais de quoi ? Et de qui ? Pourquoi ? Un frisson la fit frémir. Non, non, non, cette situation ne lui plaisait vraiment pas. D'autant plus que cette femme en noir connaissait certains secrets qui la concernaient. Cacher l'immersion de la vallée n'avait représenté qu'un acte d'obéissance à l'égard de sa maîtresse, mais taire à Césarus les soins apportés par Aquiri à un ennemi démontrait que sa fidélité envers l'empereur comportait quelques failles. Lui rapporterait-elle également que la jeune Hagane écoutait aux portes ? En informait-elle la mère de Césarus ? Le désarroi d'Aquiri se raviva. Trop d'incertitudes dans cette histoire rendaient sa position de plus en plus délicate. De nouveau totalement oppressée, elle étouffait. Sortir d'ici, fuir ce château et ses ombres inquiétantes, cette atmosphère pesante qui la minait ! Ne contrôlant plus l'affolement qui l'étreignait, ses yeux se rouvrirent sur le lac et le balayèrent à la recherche du jeune homme, sans arriver à le localiser. Serait-il parti ? Une immense tristesse l'envahit. Lui aussi l'avait finalement abandonnée. Désemparée, elle s'assit et se recroquevilla avant de reconnaître son pas puis sa voix : — Est-ce que vous allez bien ? Son cœur bondit. Non, il ne l'avait pas quittée, il était encore là pour elle ! Elle se leva précipitamment et se jeta contre lui. Des bras, apparemment hésitants, finirent par se refermer autour d'elle. Rassurée, elle relâcha enfin la pression qui la tenaillait et se mit à sangloter. Tant de temps s'était écoulé depuis ses dernières larmes qu'elle ignorait qu'elle savait encore pleurer… Il ne se permit aucune question, se contentant de la serrer contre lui. Les yeux fermés, elle appréciait la douce chaleur de son corps et ce premier contact intime. Puis, se rappelant qu'elle était fiancée, elle s'écarta de lui d'un brusque mouvement. À présent, elle se sentait mieux, prête à repartir au château. Et ce fut ce qu'elle fit, sans un remerciement, sans un mot, sous le regard décontenancé d'Avelin, pour qui elle restait par trop insaisissable. Il envisageait sérieusement de renoncer à cette quête absurde. Il ne cherchait qu'à la protéger et, pourtant, un étrange sentiment au fond de sa conscience lui murmurait que sa démarche serait vouée à l'échec. Certains êtres ne peuvent être sauvés d'eux-mêmes et la certitude désagréable que la jeune femme faisait partie de cette catégorie contracta le cœur du prince. Elle appartenait à l'univers cruel de Césarus et sa présence au lac représentait la dernière passerelle qui la liait à un monde comme le sien. Soudain, elle réapparut devant lui. Elle était revenue ! — Qui est la Dame Blanche ? Tout à sa joie de la revoir, il répondit étourdiment : — Aila ! Totalement désespéré par sa bévue, il la regarda fixement. — Elle a… ? répéta-t-elle, les sourcils froncés, attendant la suite. Une onde de sueur froide parcourut le dos du fils de Sérain qui se rattrapa comme il le pouvait. — Euh… Cette dame, elle a bien un manteau blanc ? — C'est possible… — Oh…, alors, j'ai juste entendu parler d'elle. — Et que disait-on sur elle ? Il chercha désespérément les informations qui ne nuiraient pas à son amie. — Qu'elle vivait loin dans le sud, c'est à peu près tout ce que je connais sur elle… Ah ! si, je crois qu'il existe une légende ancienne là-bas qui raconte sa vie, rien de plus.
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