Chapitre1 ♤ Les papillons
Azalea
Ma maison était un endroit que j'adorais. Rentrer était le moment fort de ma journée.
Les rires de la famille et l'odeur d'un bon repas maison étaient mes meilleurs moments.
Jamais je n'aurais pensé que le bruit des cris et du verre brisé deviendrait la nouvelle norme.
Je serre mon oreiller plus fort contre mes oreilles tandis que le bruit de notre porcelaine fine, autrefois si chère, se projette contre les murs de cette maison que j'adorais.
Peu importe combien de fois cela arrive, je ne peux pas m'empêcher de pleurer.
Surtout en sachant que tout est de ma faute.
Savoir à quel point tout a changé ces deux dernières années me fait mal au cœur.
Le bruit des pas dans l'escalier me ramène brutalement à la réalité. J'essuie mes larmes salées sur le visage et cligne rapidement des yeux pour atténuer leur rougeur.
Ma porte s'ouvre et ma mère entre en titubant. Je me précipite hors du lit et viens à son secours.
Ma chambre est mon seul refuge. Je ne veux pas qu'elle devienne un lieu où elle peut évacuer sa frustration, comme la cuisine.
J'ai réussi à garder tout intact dans ma chambre et j'aimerais vraiment que cela reste ainsi.
Je suis même allée jusqu'à ranger mes assiettes et mes tasses dans un tiroir de ma commode. Tous les verres se cassent s'ils sont laissés dans la cuisine.
« Maman », je fais de mon mieux pour la retenir, ivre. Elle attrape mes cheveux blond clair pour ne pas tomber et je me mords la lèvre, retenant un cri.
Elle ne l'a pas fait exprès.
« Azzy », dit-elle d'une voix pâteuse, « on n'a plus d'alcool. »
Mon cœur se serre et je me gronde intérieurement d'avoir pensé qu'elle voulait peut-être discuter d'autre chose avec moi.
« Je suis désolée », murmurai-je en l'asseyant au bord de mon lit, incapable de soutenir sa silhouette légèrement plus grande que la mienne.
« Va chercher du whisky pour ton père et moi », marmonne-t-elle avec un sourire négligé.
Je repousse mes cheveux derrière mes oreilles et redresse mon short en tissu.
S'il y a une chose que je déteste dans la région du Tennessee où je vis, c'est l'accès facile au moonshine ; la boisson préférée de mes parents.
« Maman, tu sais que je ne peux pas faire ça », j'écarte ses cheveux châtain foncé qui lui arrivent au menton de ses yeux bleu terne.
Je me souviens de l'époque où ces yeux brillaient.
« Pourquoi pas ? » La voix grave de mon père résonne depuis ma porte, me faisant sursauter de peur à son apparition soudaine.
« J'ai 19 ans, vous vous souvenez ? » leur rappelai-je en jouant nerveusement avec mes doigts.
« Donny s'en fiche », marmonne-t-il, « va à sa boutique et prends-en. »
Je les regarde tour à tour, le cœur battant la chamade.
« Je ne sais pas où est la boutique de Donny », marmonné-je doucement. Mon père frappe ma porte du poing, me faisant sursauter une fois de plus.
Il n'est pas v*****t quand il est sobre. Quand il est ivre, il peut avoir tendance à être un peu méchant avec moi.
« C'est à côté du magasin d'appâts d'Irène », me lance-t-il un regard noir. « Tu sais où c'est. Va le chercher. »
Je reste assise à côté de maman et le regarde d'un air suppliant. Tout ce que je veux, c'est qu'il ait un minimum de sobriété pour comprendre que je n'ai vraiment pas envie d'y aller.
« Vas-y avant que je récupère ma ceinture », me prévient-il. Je me lève de mon siège, le souvenir horrible de lui me frappant avec sa ceinture en tête.
Mais c'est seulement quand il est ivre.
J'enfile un sweat-shirt bleu marine et enfile une paire de tongs. Mon père me tend un billet de vingt dollars tout neuf que je prends à contrecœur.
« Fais attention, ma puce », crie ma mère en quittant ma chambre. Je sors mon téléphone de la poche de mon sweat-shirt et regarde l'heure.
22 h 38
Je descends les escaliers et j'enjambe prudemment le verre brisé en traversant la cuisine.
Je nettoierai ça à mon retour.
Je prends les clés de ma chère Toyota 4Runner, modèle ancien, avant de sortir.
Je m'installe côté conducteur et respire profondément, comme chaque fois que je dois me rendre quelque part en voiture.
Bien que conduire me donne presque une crise cardiaque, c'est beaucoup moins terrible que d'être assise côté passager.
Des souvenirs horribles me reviennent.
« Azzy, tu veux une glace ? » Jake tourne la tête vers moi, le bras droit tendu et agrippé au volant.
Je lui adresse un sourire malicieux. Il sait combien j'adore ma glace.
« Quelle question idiote ! » Je secoue la tête, toujours moqueuse.
Il laisse retomber ses Ray-Ban sur son nez et ses yeux marron me fixent par-dessus.
« Tu es folle, Az. »
Je cligne des yeux, les yeux embrumés, et secoue la tête, chassant mes souvenirs.
~~~~~
Je me gare un peu à l'écart de la place du village. Ce n'était peut-être pas la meilleure décision, cependant.
En journée, la place du village est magnifique. Elle est remplie de gens heureux qui marchent, sourient, rient, font du shopping et s'amusent.
La nuit, les lumières s'éteignent, à l'exception de quelques lampadaires au loin, et tout est un peu sombre.
Je n'ai jamais vraiment aimé l'obscurité.
Je sors de ma voiture et atterris sur le trottoir où je me suis garée. Je m'entoure de mes bras pour tenter de calmer un peu ma peur.
Des rires bruyants montent dans la longue rue, un peu derrière moi, et mon cœur s'effondre.
Quand les boutiques et les magasins ferment, les bars de la rue Rouge ouvrent.
Grâce à ma démarche plus lente, une caractéristique que j'ai depuis que je sais marcher, le groupe me rattrape rapidement.
Mon cœur revient presque à la normale lorsqu'ils me dépassent en titubant sans me jeter un regard.
Merci pour ça, mon Dieu.
Je regarde le groupe de cinq personnes, deux filles et trois garçons, poursuivre leur chemin devant moi vers Dieu sait où.
On dirait qu'ils sont tous des amis proches. Ou peut-être sont-ils simplement ivres.
J'aime à penser qu'ils sont amis. J'imagine qu'ils se connaissent depuis l'enfance. Ils sont restés amis tout au long du collège et même du lycée.
Maintenant, comme ils ont l'air d'être à la fin de leurs études supérieures, j'en déduis qu'ils ont un peu perdu contact et que ce soir, ils se retrouvent en souvenir du bon vieux temps.
J'espère qu'ils resteront amis.
Un sourire triste me vient aux lèvres en repensant à mon groupe d'amis. Les oreillers de mon lit, ma couette en plumes, ma bibliothèque remplie de livres que j'ai lus et relus, et enfin, M. Terrip, de ma seule et unique librairie préférée.
M. Terrip est un homme au grand cœur, presque soixante-dix ans, et il est toujours aussi dynamique. Je le connais depuis de très nombreuses années et il a toujours été une figure protectrice pour moi.
Même avant que papa et maman ne se tournent vers l'alcool pour échapper à ce que j'avais causé.
Bien sûr, j'aimerais avoir d'autres amis que des objets inanimés et un libraire paternaliste.
J'ai essayé de me faire des amis. Au lycée, je n'ai jamais vraiment trouvé ma place. On dirait que dans le monde des adultes, je n'y parviens pas non plus.
Je ne sais pas où est ma place.
C'est comme si j'étais si près de la trouver, mais dès que je m'y mets, je suis attirée en arrière. Probablement par mon bavardage. Un trait que j'ai depuis que je sais parler de manière cohérente.
M. Terrip n'y voit pas d'inconvénient. Il est aussi sourd d'une oreille, celle qu'il me tend quand je bafouille, mais bon, ça va.
Le bruit soudain d'une canette qui s'entrechoque sur le trottoir me ramène à la réalité. Je lève les yeux et je regarde le même groupe de cinq personnes debout au-dessus de quelque chose que je ne distingue pas bien, vu qu'elles sont toutes si loin devant moi.
L'une d'elles jette sa boisson sur l'objet, la renversant partout. Une autre donne un coup de pied dedans et mon cœur se serre.
Je ne sais pas ce qu'elles frappent, mais je suis sûre que ça ne le mérite pas.
À peine ont-elles commencé que le groupe s'arrête et elles s'éloignent de l'objet en riant et en parlant comme si de rien n'était.
J'accélère le pas pour voir ce qu'elles faisaient et un léger halètement s'échappe de mes lèvres lorsque je réalise ce qu'elles faisaient.
Un vieux sans-abri, frêle, est allongé sur le trottoir, ramassant quelques affaires éparpillées. Voyant que je m'arrête devant lui, il recule, la peur au bord du trottoir.
« Mademoiselle, s'il vous plaît », il lève ses bras maigres, « je ne veux pas vous causer d'ennuis. »
« Non, non ! » dis-je doucement, « vous ne faites rien de mal. »
Ses yeux restent emplis de peur et mon cœur se serre pour ce pauvre homme. Qui s'approcherait d'un malheureux comme lui et commencerait à le frapper sans raison ?
Et dire que je voulais que ce groupe d'amis reste amis pour toujours. Ils ne le méritent pas maintenant.
« Je ne ferai pas ce que ces gens ont fait, promis », je lève les mains pour lui montrer que je ne veux absolument pas lui faire de mal. Je me penche lentement et l'aide à rassembler ses quelques affaires.
« Ça va ? » le questionnai-je d'un ton inquiet.
« Je vais bien », il m'adresse un petit sourire reconnaissant, exhibant ses dents légèrement pourries, mais je ne suis pas du genre à juger. Seul le bon Dieu sait ce que cette pauvre âme a traversé.
« Voudriez-vous… Voudriez-vous un peu d'argent pour manger ou peut-être un nouveau manteau ? » le questionnai-je en serrant les vingt dollars dans la poche de mon sweat-shirt.