Chapitre 4 ◇ Sobre

1491 Words
Un soupir de soulagement s'échappe de mes lèvres tandis que des larmes embuent mes yeux. « Azalea, oh ma chérie », ses yeux s'emplissent d'inquiétude et je remercie Dieu en silence qu'elle soit sobre et non mon père. Elle tombe à côté de moi et me prend dans ses bras. Je pleure contre son épaule et sa main me caresse le dos pour m'apaiser. « Que s'est-il passé ? » demande-t-elle doucement en s'écartant et en essuyant mes cheveux blonds de mon visage moite. « Il m'a enfermée ici », je pose mon visage contre son épaule. « Mais qu'est-ce que vous foutez là ? Je croyais qu'on était tous d'accord pour ne pas y aller », la voix grave de mon père emplit l'embrasure de la porte et mon cœur bat la chamade. Je ne l'ai pas entendu sobre depuis un bon moment. D'habitude, avant qu'ils ne me voient le matin, je suis déjà sortie et à la librairie. Étonnamment, ils n'ont pas perdu leur emploi. Je sais qu'ils doivent avoir la gueule de bois, mais je suppose que tous les flacons de médicaments dans les placards du bas les aident à gérer ça. « Jack, c'est quoi ce bordel ? » me dit ma mère, me surprenant. J'ai toujours eu trop peur de les voir sobres, peur qu'en réalité, ils soient les mêmes, sobres ou ivres. Peut-être, du moins, ma mère ne l'est pas. « Quoi ? » demande-t-il. Ma mère s'écarte de moi et se tourne vers lui. Son regard se pose sur moi, je le sens, mais je garde les yeux rivés au sol. « Tu l'as enfermée ici », lui dit-elle durement, et il reste silencieux. « Je ne me souviens pas d'avoir fait ça », est la seule chose qu'il trouve à dire. « Peut-être parce que tu étais ivre », me surprends-je à retrouver un peu de courage après tout ce temps. « Pardon ? » Il plisse les yeux, me laissant encore un peu effrayée. « Tu m'as traînée jusqu'ici, tu m'as enfermée là-dedans », une larme coule sur ma joue, « tu m'as laissée là. » « Azalea, tu délires, je n'ai rien fait de tout ça », dit-il, et je reste silencieuse. Il n'éprouve aucune compassion pour le fait que j'aie passé la nuit dans la chambre de mon frère décédé. Il n'y a rien dans son regard. Je délire. « Bon, Azalea, je crois que la mort de Jake te touche vraiment en ce moment », ma mère me passe la main dans le dos. Je les regarde tous les deux. Je sens presque mon cœur brisé se briser davantage et tomber dans un gouffre sans fond. Je les dépasse tous les deux et vais directement dans ma chambre. Je prends une douche et repense à tout ce qui vient de se passer. Si je pouvais pleurer davantage, je le ferais. J'ai tellement mal à la tête à force de pleurer. Je me regarde dans le miroir en pied de ma chambre. La cicatrice au-dessus de mon sourcil. L'énorme cicatrice sur mon tibia. Les cicatrices sur mon genou. La terrible cicatrice sur ma côte. Je suis à moitié en métal maintenant. Trois des quatre côtes que j'ai cassées ont dû être fixées avec des plaques métalliques. Un tube a dû être inséré dans ma cage thoracique pour regonfler mon poumon après son affaissement lorsque les côtes se sont brisées et ont percé mon poumon. Mon genou a dû être reconstruit après une fracture complète de la rotule, sans parler de la rupture du ligament croisé antérieur (LCA) qui a entraîné une autre opération. Mon tibia et mon péroné ont dû être équipés de plaques métalliques et de vis. Tout cela du côté droit. Mon épaule et ma tête étaient les seules autres parties du corps qui étaient complètement abîmées. Mon épaule était luxée et couverte de cicatrices, et j'ai subi une commotion cérébrale de grade 3. Je n'ai récupéré la mémoire de l'accident que deux semaines environ après. Le jour où je me suis réveillée et que je me suis enfin souvenue de ce qui s'était passé, ce fut le pire jour de ma vie et il le restera à jamais. Personne ne sait exactement ce qui s'est passé. M. Terrip en connaît la raison ; mon frère et moi avons eu un accident il y a presque deux ans. Il est décédé, pas moi. J'enfile une robe d'été jaune pâle fluide. Je renonce à mettre un pull par-dessus, mais je le regretterai probablement, car M. Terrip maintient toujours la température du magasin à 15 °C. Il a vite chaud et ça me stupéfie. Pour être franche, je pense qu'il fait exprès de maintenir la température froide pour m'énerver, car il sait que j'ai froid facilement. « Tu es assez en retard aujourd'hui, Azalea », me gronde M. Terrip sans se rendre compte que je suis dans le magasin depuis plus de trente minutes. « Je suis flattée que tu aies remarqué mon absence », je lui souris doucement. « Je suis venu te cerner », il plisse les yeux en me regardant. « Tu me cernes, hein ? » Je rigole en secouant la tête. « Tu n'as pas l'air normale », remarque-t-il, et je grogne. « Je ne pense pas être normale, Monsieur Terrip », je lui adresse un sourire avant de poursuivre, tout en captant son attention. « Voyez-vous, j'ai un problème, soyez indulgent, Monsieur Terrip, et ce problème est vraiment insoluble, à mon avis. » Je baisse les yeux vers lui et constate qu'il n'écoute déjà plus, le nez plongé dans son journal. Je me félicite d'avoir esquivé les questions de Monsieur Terrip sur les raisons de mon comportement anormal aujourd'hui. Je m'éloigne de son bureau, un sourire satisfait aux lèvres. Je m'installe confortablement sur mon petit fauteuil et je sors mon livre. Je mets un écouteur dans mon oreille et mes pensées s'évadent tandis que j'écoute de la musique et que je lis des mots simultanément. Monsieur Terrip me harcèle sans cesse en me disant que je devrais me concentrer sur un seul sujet, et non sur les deux en même temps. Il dit que ça va me donner encore plus de mal à la tête que je n'en ai déjà. Il ne comprend tout simplement pas que je suis une championne nationale du multitâche, une proxénète et une agente de la CIA ; il n'a rien à me reprocher. Une proxénète est-elle une proxénète ? Une maquerelle ? Une pimpine ? « Comment appelle-t-on une maquerelle ? » je demande à voix haute à M. Terrip. « Azalea, lis ton livre », soupire-t-il, déçu, et je me mords la lèvre pour retenir un petit rire. Après une heure de lecture, je suis prête pour l'aventure. « Tu aimerais que je fasse quelque chose ? » Je m'appuie contre le bureau de M. Terrip. Il me repousse d'une main et je retiens l'envie de lui tirer la langue. Je décide simplement de savourer le fait que ma playlist musicale soit complètement déjantée. C'est un large éventail de genres musicaux. Étonnamment large. Stevie Nicks : Edge of Seventeen, Børns : Electric Love, Queen : Too Much Love Will Kill You, Greta Van Fleet : Edge of Darkness, Kacey Musgraves : Butterflies. Zut alors, j'ai tout ce qu'il faut, des Beach Boys des années 50 à Blackstreet de la fin des années 90, jusqu'à aujourd'hui. Mais les classiques ne me font pas vibrer. Par exemple, le groupe Toto est surtout connu pour sa chanson Africa. C'est une excellente chanson, sans aucun doute. Elle ne me fait juste pas autant vibrer que Hold the Line, du même groupe. 9 to 5 de Dolly Parton est génial. Love Is Like a Butterfly me fait vraiment vibrer. Les classiques sont excellents, mais ce ne sont pas toujours les plus belles œuvres de tous les grands artistes. L'ennui m'envahit, alors je décide de réaliser un rêve. Je mets du Old Time Rock N Roll à fond et je me dirige vers l'arrière du magasin. Bien que je porte une robe d'été jusqu'aux genoux et non un boxer et une chemise, je fais la danse du Risky Business. Tom Cruise serait fier. Bien sûr, je ne peux pas glisser avec des chaussures plates, mais l'espace ouvert au fond du magasin est parfait pour n'importe quelle chorégraphie. Et j'adore inventer des danses. J'ignore la douleur dans mon genou tandis que je cours le long de la haute rangée de livres, tentant sans succès un de ces sauts de ballerine. Je retombe sur mes pieds, de justesse, et quand je lève les yeux, des yeux noirs et sombres me fixent. Eh bien, zut, s'il ne venait pas de voir la prochaine star du Lac des Cygnes ! J'oublie l'espace d'une seconde qu'il me déteste jusqu'au bout des ongles. J'enlève mes écouteurs et baisse les yeux vers mes ballerines, sentant mes joues chauffer légèrement.
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