Azalea
« Pensez-vous que je le reverrai un jour, M. Terrip ? » je demande, ce qui me donne vraiment envie de me jeter d'un pont.
Ça fait une semaine et demie. Une semaine et demie que je me pose des questions sur lui. Une semaine et demie que j'essaie de me dire d'arrêter de penser à lui et d'oublier ses mauvaises manières et son attitude grossière.
« Qui ? » demande M. Terrip, et j'ai envie de lui balancer un livre à la tête.
« Albuquerque, la dinde », je réponds impassible, et il rit.
« Oublie ce que j'ai dit, je crois que je deviens folle », je secoue la tête.
« Je crois que tu es folle depuis un moment », me taquine M. Terrip, et je pointe un doigt menaçant vers son visage.
« Sur ce, je m'en vais », je reprends mon livre pour la nuit.
« À demain, Azalea », me dit-il en sortant. Je reste à ses côtés pendant qu'il ferme la porte et, une fois terminé, nous nous séparons.
« Où est ta voiture ? » m'appelle-t-il, ce qui me fait grimacer.
« J'ai marché », je souris.
« Je t'avais dit de ne pas faire ça », me gronde-t-il, ce qui me fait soupirer.
« Au revoir ! » je crie par-dessus mon épaule et je le vois secouer la tête, déçu.
Je jure, il fait comme si j'habitais à une heure de chez moi.
Ce matin, je me suis réveillée avec un peu d'énergie, alors j'ai marché. De toute façon, j'ai appris à préférer marcher à conduire.
Cependant, je ne suis pas allée à la librairie à pied depuis l'accident.
C'est peut-être pour ça que mon genou me fait un léger mal.
J'arrive à la maison et je constate que mes deux parents sont là.
Mon Dieu, s'il vous plaît, faites-moi passer une bonne journée.
J'ouvre la porte d'entrée et garde la tête baissée. Je traverse le salon. J'aperçois quelques bouteilles de Jack Daniels sur la table basse et je ferme les yeux pour essayer d'imaginer la table telle qu'elle était avant l'accident.
Des fleurs fraîches dans un vase transparent. Peut-être même quelques magazines « Bon Vivre ».
J'aurais dû m'arrêter en fermant les yeux. Mais je ne l'ai pas fait.
Pour un enfant, les bras d'un père devraient être l'endroit le plus sûr au monde. Pas le plus effrayant.
L'odeur d'alcool sur lui a d'abord frappé mes sens, puis j'ai senti sa main serrée sur le dos de ma chemise.
Il m'éloigne de lui comme si j'étais en feu et mon décolleté se resserre jusqu'à m'étouffer.
« Je… je suis désolée », je me débats en essayant d'avaler ma salive. Il lâche ma chemise et m'éloigne de lui. Mon genou cède et je tombe sur la table basse.
J'aperçois la bouteille juste avant qu'elle ne tombe de la table basse. Elle tombe au sol, se brisant sous l'impact.
La peur m'envahit et mon cœur se serre tandis que le liquide noir coule sur le parquet.
Le bruit de sa ceinture qui se déboucle me fait monter les larmes aux yeux.
« Regarde-moi », le bruit de sa ceinture s'arrête. Je lève les yeux vers lui avec hésitation. Il remet sa ceinture et je remercie Dieu en silence.
« Tu nous l'as enlevé », dit-il d'une voix pâteuse. Je me mords la lèvre pour retenir un sanglot déchirant qui ne demande qu'à s'échapper.
« Je sais », je crie doucement, « je sais que je l'ai fait. »
Pense-t-il que je ne le sais pas déjà ?
« Tu es le dernier visage qu'il ait jamais vu », poursuit-il et je pleure plus fort, « la personne qui lui a fait ça est la dernière chose qu'il ait jamais vue. »
Le vide et l'obscurité dans ma poitrine ne font que grandir tandis que mon père me répète des choses que je me dis déjà.
« Monte », sa voix devient sombre. Il me serre fort par le bras et m'entraîne vers l'escalier.
La panique m'envahit tandis qu'il me traîne devant ma chambre. Il s'arrête devant la porte de Jake.
« S'il te plaît, papa », je sanglote. « S'il te plaît, ne fais pas ça. »
Il ouvre la porte de la chambre où je ne suis pas allée depuis l'accident. Je ne retiens pas les cris qui s'échappent de mes lèvres tandis qu'il me force à entrer.
« C'est à cause de toi qu'il n'est pas là », murmure-t-il à mon oreille avec colère.
« S'il te plaît, sors-moi de là », je sanglote en essayant de me libérer de son emprise.
Ça fait tellement mal.
« Pense à ce que tu as fait », il repousse brutalement mon bras, et je manque de m'écraser au sol.
« Tu as ruiné cette famille, j'espère que tu le sais », il referme la porte derrière lui. J'entends un clic et je panique à nouveau.
Je me lève brusquement de ma position au sol et attrape la poignée de la porte. Je la secoue et essaie de l'ouvrir, mais elle est verrouillée.
La culpabilité m'envahit et je m'écroule au sol, pleurant jusqu'à la dernière goutte.
C'est pire que tout ce que mon père aurait pu me faire subir, bien pire.
Je m'appuie contre la porte et, pour la première fois, je jette un coup d'œil à la pièce par-dessus mes cheveux.
Elle est la même que la dernière fois que je l'ai vue.
Sauf le silence qui règne maintenant.
Un silence si douloureux s'accroche à la pièce et résonne à mes oreilles.
Les trophées, les récompenses sportives et les maillots me fixent, me rappelant le talent et les dons de mon frère.
Et je l'ai enlevé au monde.
Il s'épanouissait dans tout ce qu'il entreprenait.
Il était aimé de tous.
Il allait à l'université, il avait une bourse pour pratiquer le sport qu'il aimait, et je lui ai tout pris.
Mon Dieu, ça aurait dû être moi. Pourquoi ne m'as-tu pas prise à ma place ?
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Le bruit de la porte qui tremble me réveille le matin.
Je halète et me redresse, terrifiée à l'idée que mon père revienne ici et trouve peut-être quelque chose de pire à me faire que de passer la nuit dans la chambre de mon frère.
La porte s'ouvre et ma mère entre dans la pièce, sa tenue de travail sur le corps.
Elle est sobre.