Azalea
Je me gare dans mon allée et l'angoisse m'envahit. Les lumières de la maison sont toujours allumées.
J'éteins ma voiture et sors de la voiture.
Peut-être, peut-être, qu'ils ne seront pas fâchés. Peut-être ont-ils simplement oublié d'éteindre les lumières avant d'aller se coucher.
Je me surprends à souhaiter parler à ce mystérieux homme de tout à l'heure plutôt que d'entrer chez moi.
J'ouvre prudemment et lentement la porte d'entrée et entre aussi discrètement que possible. De mon côté, j'entends un raclement de gorge.
Ma mère et mon père sont debout dans la cuisine, des canettes de bière à la main et des vides éparpillées sur le plan de travail.
« Ça t'a pris du temps », me gronde mon père, et mon cœur s'emballe.
« Où est le clair de lune ? » La voix pâteuse de ma mère rebondit sur nos hauts plafonds, provoquant un léger écho dans mes oreilles.
« Je ne l'ai pas », dis-je en gardant les yeux rivés au sol, tout en disant la vérité.
« Pourquoi pas ? »
« J'ai donné l'argent à un gentil sans-abri », expliquai-je, n'hésitant pas à leur mentir. Ça ne sert à rien de dire la vérité.
J'entends le bruit de mon père qui défait sa ceinture et je ferme les yeux pour les empêcher de pleurer.
J'ai peur de mon père quand il est ivre.
Ses pas traînants se dirigent vers moi et je prends mon courage à deux mains pour le fuir.
Je ne veux pas de ça, rien de tout ça. Je veux juste retrouver mes parents normaux.
Je veux retrouver mon frère.
Courir n'a pas fonctionné. Il m'a juste fouetté avec la ceinture dans le dos à une distance plus grande.
La douleur lancinante me frappe violemment et je tombe à genoux en poussant un cri étouffé. Sa grande main attrape mon bras et me tire vers le haut.
L'odeur de bière et d'autres alcools forts m'envahit le nez et il replie la ceinture une seule fois tandis que je me tortille dans ses bras.
« Papa, s'il te plaît », je gémis, mais on m'ignore. Il ramène son bras en arrière avant de plaquer à nouveau la ceinture contre mon dos. Je sens mon dos se gonfler et il la baisse de nouveau quelques secondes plus tard.
Mon regard croise celui de ma mère, qui semble inquiète.
Inquiète, mais ne faisant rien pour l'arrêter.
Il me lâche et je me laisse tomber par terre, me tenant le dos droit pour éviter que la douleur ne s'intensifie.
« Quand on te dit de faire quelque chose », il me saisit le menton en s'assurant que je le regarde bien, « fais-le. »
Il repousse mon visage brutalement avant de lever le bras et de me donner un dernier coup de fouet dans le dos, le plus douloureux de tous.
« Jack », commence ma mère d'une voix un peu moins pâteuse, « elle a retenu la leçon, c'est fini pour elle. »
Je garde la tête basse et je laisse échapper des sanglots silencieux.
Ce n'est même pas la douleur de la ceinture qui fait le plus mal.
C'est le fait que tout est arrivé à ce point depuis que Jake est au paradis.
Je comprends pourquoi ils boivent.
Je comprends pourquoi mon père agit comme il le fait.
Ils souffrent tous les deux et ils déversent leur frustration sur des ustensiles de cuisine cassants, et mon père s'en prend parfois à moi.
Je suis la cause de tout ça, et cela seul suffit à surmonter la douleur atroce qui irradie dans mon dos.
« Tu ne prends pas le verre et tu donnes mon argent », crie mon père avec colère, tandis que mon dos me fait mal et me brûle comme du feu.
« Je… je suis désolée », murmurai-je à travers mes larmes en levant les yeux vers mon père qui se tient au-dessus de moi.
Je perçois une lueur de remords dans ses yeux, mais au lieu de parler de ses actes, il jette la ceinture par terre à côté de moi avant de se retourner et de sortir de la cuisine.
« Nettoie ça », ma mère manque de trébucher en le suivant. Je regarde autour de moi et tout le verre de tout à l'heure est encore par terre.
Je me lève de ma position assise par terre, en me déplaçant lentement pour éviter que mon dos ne s'étire trop, ce qui ne ferait qu'aggraver la douleur.
Je commence ensuite à tout ranger.
Je me dis souvent que ce qu'il fait n'est qu'une punition parentale.
Je me le répète souvent.
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« Oh, M. Terrip ? » je m'écrie, sachant qu'il se cache probablement de ma présence.
Je tourne au coin d'une rue et me retrouve face à sa silhouette grande et mince.
« Je ne vous ai pas entendue entrer, Azalea », il me lance son sourire caractéristique, celui du « je vous mens en face ».
« J'en suis sûre, M. Terrip », je lui rends mon sourire.
« C'est l'ouïe, je vous le dis », m'informe-t-il, et j'acquiesce.
Je suis absolument sûre que c'est ça.
« M. Terrip », dis-je en l'aidant à ranger ses livres. Je « travaille » ici, même si ce n'est pas officiel.
Il refuse de m'embaucher parce qu'il aime se dire indépendant, mais je sais qu'il apprécie mon aide.
« Oui, Azalea ? »
« J'ai rencontré un inconnu hier », je lui dis et il secoue la tête.
« Jeune demoiselle, on rencontre souvent des inconnus », il lève son long bras et pose un livre sur l'une des étagères du haut.
Les étagères occupent la majeure partie du magasin. Même s'il n'est pas le plus jeune homme de tous les temps, la plupart du magasin paraît assez ancien. Cela ne m'empêche pas de l'aimer moins.
Je trouve ça plutôt esthétique.
« Vous avez raison, M. Terrip », j'acquiesce, « mais cette fois, je ne sais pas. Il était juste mystérieux, vous savez ? »
« Pas forcément », il secoue la tête et je ris.
Je lève le bras pour poser un livre sur une étagère en hauteur et, ce faisant, mon dos s'étire douloureusement. Je pousse un léger sifflement, que malheureusement, M. Terrip entend.
Mmh, mais il ne m'a apparemment pas entendue entrer.
« Qu'est-ce que vous vous êtes fait ? » L'accent du Sud dans ses paroles me rappelle la voix de mon père. Quand il n'est pas ivre, bien sûr.