Azalea
Je fixe mon horrible lèvre inférieure éclatée dans le miroir.
J'ai dû être bête de croire qu'il n'irait pas jusqu'à me donner un coup de coude. Bien qu'il ait fait de son mieux pour me convaincre que c'était un accident, je savais au fond de moi qu'un coup de coude ne se lance pas par hasard.
J'ai pris son alcool. Apparemment, c'était de trop pour lui.
Ma mère ne l'a pas arrêté. Elle s'est assise sur le canapé et a regardé son coup de coude me frapper au visage.
Je ne peux pas non plus le cacher avec du maquillage.
Non seulement ma lèvre supérieure a une petite coupure depuis hier soir au bar, mais la lèvre inférieure aussi. Même si c'est bien pire.
Je pousse un léger soupir.
Je prends mon téléphone et mes clés de voiture que mon père m'a gentiment jetées après m'avoir éclaté la lèvre inférieure.
J'éteins la lumière et ouvre la porte de ma chambre. Je la referme derrière moi et m'arrête en entendant quelqu'un à ma gauche.
Je tourne la tête et vois mon père, toujours habillé comme hier soir. J'avale ma salive et prie Dieu.
Je suppose qu'il a trop la gueule de bois pour aller travailler aujourd'hui.
Il ne peut pas être encore ivre, n'est-ce pas ? J'espère que non.
« Pourquoi tant de peur ? » Sa voix épuisée me parvient aux oreilles et je n'arrive toujours pas à savoir s'il est ivre ou pas.
Pourquoi tant d'imbécillité ?
Je l'ignore, voulant sortir d'ici au plus vite. Je dévale les escaliers sans m'arrêter.
Une fois enfin dehors, je m'appuie contre ma voiture et me penche pour masser mon genou légèrement douloureux.
Je me ressaisis et me dirige vers la librairie. Seulement deux heures plus tard que d'habitude.
« Tu n'es pas en forme, Azalea ? » M. Terrip me demande dès mon entrée.
« Non », je réponds. « Pourquoi ? J'en ai l'air ? Tu peux me dire si je suis moche ou pas, tu n'as pas besoin d'être gentil. »
« Si tu étais moche, je ne te laisserais pas passer tout ton temps dans ce magasin », il pose sa main maigre sur mon front, « tu ferais fuir tous mes clients. »
« C'est adorable de ta part de dire ça », je l'entoure de mes bras, savourant sa chaleur paternelle.
Nous nous écartons et il prend ses lunettes sur son bureau et les pose sur son nez. Il plisse les yeux avant d'attraper mon visage très délicatement et de l'incliner pour le voir à travers ses lunettes à double foyer.
« Mais qu'est-ce que c'est ? » il voit mes lèvres éclatées.
Mon entraînement de danse exotique ne se passe pas bien. Je me cogne la bouche contre ma barre.
Si je lui disais ça, il ferait sûrement une crise cardiaque.
À qui parlerais-je alors ?
« Voilà le problème », je commence. « J'étais au lit, mon réveil m'a réveillée. Ça m'a fait peur, non ? Du coup, je me suis cogné le genou contre la bouche. »
« Tu devrais sortir plus souvent », il enlève ses lunettes et je reste bouche bée.
« Je croyais que tu appréciais ma compagnie ! » je m'exclame, et il hoche la tête après une seconde d'hésitation.
« Bien sûr que si. Je me dis juste que tu aurais besoin d'une journée de détente à la maison », dit-il en haussant les épaules. La simple idée de passer la journée à la maison me met mal à l'aise.
« Non merci », dis-je doucement en me dirigeant vers ma chaise.
Je m'affale sur mon siège et pose ma tête contre la chaise. La sonnette au-dessus de la porte tinte et je me lève d'un bond.
De ma position, je vois que c'est une fille d'environ mon âge. Je la laisse faire le tour et regarder un moment, le temps de rassembler mon courage.
« Tu as besoin d'aide pour trouver quelque chose ? » je demande doucement, ne voulant pas être de celles qui vous abordent et vous coincent pour vous faire acheter quelque chose.
Avec un peu de chance, on pourrait peut-être devenir amies.
Elle me regarde et secoue la tête. Elle est super jolie. Je lui adresse un sourire triste et m'approche du bureau de M. Terrip.
« Sois honnête avec moi », dis-je en m'approchant de lui. Il lève les yeux vers moi.
« Est-ce que j'ai l'air sympa ? Accessible même ? » Je m'assois au bout de son bureau.
« Bien sûr que si », répond-il, mais c'est un peu le genre de situation où il est obligé de dire oui parce qu'il me connaît. Il est partial.
La fille s'approche de nous, deux livres à la main. M. Terrip se lève et enregistre ses livres. Je garde les yeux baissés sur ma jupe noire boutonnée.
La sonnette retentit à nouveau. Je lève les yeux et vois Grey entrer, magnifique comme toujours.
J'ai les paumes moites en le voyant. Une mèche de cheveux tombe sur son front et je n'ai jamais eu autant envie de passer mes mains dans les cheveux de quelqu'un.
« Bonne journée », dit M. Terrip à la fille en attrapant son sac et en s'éloignant de la caisse.
Je lui adresse un sourire, mais elle ne le voit pas.
Mon sourire s'estompe lorsqu'elle passe devant Grey, l'observant visiblement.
Il ne la fusille pas du regard comme il me le fait.
À ces mots, je baisse les yeux vers ma jupe. Mes cheveux blonds me tombent sur le visage, bloquant la vue de Grey.
Je sens sa présence devant moi et je me tourne vers M. Terrip.
« M. Terrip, voici Grey. Grey, voici M. Terrip », murmurai-je doucement.
« C'est à lui que vous parliez… »
« M. Terrip ! » l'interrompis-je, « vous ne devriez pas finir vos mots croisés ? »
« Enfin, je suppose… »
« D'accord », je prends son cahier de mots croisés et le lui tends. Il m'adresse un petit sourire narquois avant de prendre son livre et de s'asseoir à son bureau.
Au moins, maintenant, je sais qu'il écoute vraiment parfois.
« Tu es là pour le livre que tu as oublié ? » je demande en levant les yeux et en le voyant me fusiller du regard.
Je laisse échapper un léger soupir.
Je descends prudemment du comptoir et m'éloigne de lui, vers le fond du magasin.
Il n'y a aucune raison de me fusiller du regard, surtout quand il ne fusille pas du regard cette autre fille.
Quoi ? Jalouse ?
Elle était vraiment jolie, pourtant. Peut-être qu'il l'aimait bien. C'est probablement ça.
Je sais que je l'agace. Il me le rappelle assez souvent.
Peut-être que je devrais juste arrêter de parler.
En me dirigeant vers une rangée de livres à ranger, j'en prends un.
La main de Grey saisit le dos de mon t-shirt, me faisant tourner face à lui.
Sa main se lève et il la pose juste au-dessus de ma gorge. Il me relève la tête et me fusille du regard.
Il fait chaud ici.
« Il n'y en avait pas hier soir », grogne-t-il en regardant ma lèvre inférieure.
« Si, si », je réponds, « c'était gris foncé, tu ne l'as juste pas vu. »
Je lève la tête et prends doucement sa main qu'il a sous ma mâchoire.
Mon Dieu, cet homme a de belles mains.
Je baisse nos mains pour éviter de le regarder.
« Ton livre ? » je demande nerveusement.
« Je ne veux pas de ce foutu livre », s'exclame-t-il, agité.
Il a besoin d'un livre pour bien communiquer. Je ne peux pas lire dans les pensées ici.
Je lève les yeux vers lui. J'attends qu'il dise quelque chose, mais bien sûr, il ne dit rien.
S'il ne veut pas de livre, à quoi bon être ici ?
Est-ce qu'il aime me faire culpabiliser ? J'en ai assez partout ailleurs.