Imagine, je m’effondrai sur un de ces arbres morts,
Observant ce qu’il restait du ciel,
Et j’eus à peine le temps de souffler qu’une tempête arrivait.
PS : je survis, encore.
Ce qu’on ne vous dira jamais, ici, c’est : « Quel temps magnifique ! Et quelle chaleur ! Il fait quarante degrés ! ». Parce que ici, le cliché comme quoi il pleut tout le temps, et bien, ce n’est pas complètement faux. Et en plus de ça, il y a le vent. C’est pourquoi je ne suis guère surprise lorsque, à dix sept heures, je sors du lycée, et que je vois une pluie abondante accompagnée d’un vent bien fort. Novembre, en plus, le pire mois. En plus, j’ai oublié de prendre un manteau, ce matin.
— Ce n’est pas grave, tu sais, tu cours, me dit Victor.
Lui, au moins, il est équipé. Je soupire. Je n’ai pas vraiment le choix, de toute manière.
— Bon, je vais voir Mathis, moi. Bon courage.
Il me donne une petite tape sur l’épaule. Il a suffi de deux semaines pour que Victor et Mathis deviennent amis, voir meilleurs amis, et pour que Victor s’éloigne de moi. Déjà que de base, nous ne sommes pas proches, c’est pire maintenant. Il a quand même été mon ami le plus proche parmi tous les autres, à part Simon. Et voilà que ce dernier a disparu depuis vendredi soir. Même son meilleur ami ne se fait pas de souci. D’après lui, Simon est allé « faire quelque chose de très important ». Il ne m’a rien dit, et je me suis retrouvée seule aujourd’hui parce que Mathis et Victor sont trop occupés à flirter ensemble, et que mes autres amis sont partis à une sortie scolaire avec la classe défense. Je suis quand même allée parler avec des filles de ma classe, mais je me suis vite ennuyée.
En deux semaines, j’ai eu le temps de visiter tout l’autre monde entre chaque rêve. Elven m’a appris à identifier quelques créatures dangereuses comme les Serpents bleus, ces gros serpents visqueux avec des pattes qui vivent dans la forêt bleue – l’un d’eux a failli me tuer il y a deux semaines.
Je me lance sous la pluie et commence à courir. Je ne vois pas grand-chose à travers la tempête, mais je connais le chemin par cœur. Je distingue à peine les sapins qui encadrent la petite route de graviers, maintenant devenue boueuse. Je suis tellement dans ma course que je ne vois pas que je fonce droit sur quelqu’un. Je n’ai pas le temps de ralentir que je percute la personne de plein fouet.
— Aïe.
Je trébuche et tombe par terre.
— Luna ?
Je distingue deux yeux bleus. C’est Simon. Il m’aide à me relever.
— Je suis désolée, je souffle.
— C’est moi qui m’excuse d’avoir disparu sans donner de nouvelles. Qu’est-ce que tu fais comme ça, sous la pluie ?
— Ah, j’ai oublié mon manteau.
Il commence à enlever son manteau.
— Oh non, ne t’inquiète pas, je peux faire sans, je l’arrête.
Il ne m’écoute pas et passe son manteau sur mes épaules. Je passe la capuche sur ma tête, frigorifiée.
— Merci, je lâche.
Il me sourit à peine. Je trottine pour le rattraper lorsqu’il continue son chemin d’un pas vif.
— Tu vas bien ? Tu étais où ? je demande, le souffle court.
— Oui, ça va. Je suis allé rendre visite à ma mère.
Je ne sais pas quoi répondre. Je sursaute lorsque j’aperçois au loin une silhouette monstrueuse.
— Attends ! je crie à Simon en l’attrapant par le poignet.
À travers la pluie épaisse, je ne distingue qu’une large silhouette et deux yeux rouges. Ça n’a rien d’humain. Simon s’arrête et se tourne vers moi.
— Qu’est-ce que c’est ? me demande-t-il, visiblement alarmé tout autant que moi.
Comme si j’ai la réponse !
— Aucune idée, je réponds d’une voix tremblante.
Cette chose doit mesurer deux voir trois mètres. Mon pouls s’accélère lorsque ce truc s’approche. Et il fait trembler le sol.
— C’est une rêve ? me souffle Simon.
Je n’ai pas le temps de répondre. La chose court vers nous. C’est un cauchemar, forcément. Ça ne peut pas être réel. Je n’arrive toujours pas à distinguer ce que c’est. Je reste pétrifiée sur place, serrant le poignet de Simon, comme si il peut se volatiliser. Et puis je me sens tomber en arrière. Je n’ai pas le temps de heurter le sol que je ne vois plus rien. Je sens toujours le poignet de Simon dans ma main.
J’ouvre les yeux sur un plafond gris. Je me redresse en position assise. Ma tête me tourne. J’examine l’endroit où je suis et reconnais la base une de l’autre monde. Je suis soulagée avant de voir Simon, son poignet toujours emprisonné dans ma main, l’air perdu.
— On est où, au juste ? me demande-t-il.
Comment est-ce qu’il a pu venir avec moi ? Et comment lui expliquer ? Je relâche son poignet.
— Euh…Tu ne me croirais pas…
— Luna, tu es de retour ! Et…c’est qui ? s’écrie une voix qui me fait sursauter.
Je fais volte-face vers November.
— C’est quoi ce délire ? marmonne Simon, à côté de moi.
— Euh…C’est Simon. Je ne sais pas comment ça se fait qu’il ait pu venir…mais, juste avant, je veux dire dans le monde réel, il y avait un monstre, et il voulait nous attaquer, alors j’ai pris peur et…
— C’est moi qui t’ai amenée ici parce que Ronan, je ne sais comment, a réussi à envoyer ses monstres sur Terre. Et je ne savais pas que tu étais avec…lui, là, me coupe November.
November n’est pas ma plus grande amie ici, mais disons qu’on essaie de se supporter.
— Mais nous devons retourner à l’internat, là, on était en plein milieu d’un chemin, sous la pluie, je réponds.
— Quelqu’un vous ramènera. Bon, je disais, les monstres de Ronan vont passer leur temps à te chercher, donc il te faut de quoi te défendre.
— Mais comment c’est possible ?
— Je ne sais pas. Le fait est que seules les cibles verront ces monstres. C’est-à-dire toi, et maintenant, ton ami.
— Je l’ai vu avant d’atterrir ici, l’interrompt Simon.
— C’est bizarre, ça.
— Je ne comprends pas où nous sommes et comment on a pu venir ici. C’est un rêve ? Ou sinon peut-être comme dans les films de science-fiction, là. Ou sinon, Luna, tu as des pouvoirs magiques et on s’est téléportés ?
November soupire.
— Débrouille-toi pour lui expliquer, me lâche-t-elle.
— Quoi ? Mais il n’y croira pas.
— C’est ton problème.
Sur ces derniers mots, elle s’éclipse. Oui, en deux semaines, j’en ai beaucoup appris. Simon se lève, et je l’imite.
— Bon, on est dans un monde parallèle qui n’a pas de limite. Enfin, à part le Mur. Je veux dire, il y a des tas de créatures, des lieux qu’on ne trouve pas sur Terre, et c’est vraiment un endroit cool, tu verras. Enfin après, de l’autre côté du mur, il y a Ronan, un sorcier gris, qui veut détruire le monde, donc on doit l’en empêcher.
— Attends, tu m’as perdu. C’est un peu trop d’un coup.
— Tu sais, tu peux te pincer, tu verras que tu ressens bien la douleur. On n’est pas dans un rêve.
Il se pince le bras un peu fort pour moi.
— Ah oui, d’accord. Ça craint ! Ça fait longtemps que tu viens là ?
— Deux semaines.
— Et comment tu peux être sûre qu’il faut croire ces gens, enfin je veux dire, ils racontent n’importe quoi, des fois, et ce Ronan, comme tu m’as dit, est peut-être gentil, ou peut-être que c’est une blague, tu ne peux pas en être sûre.
Il n’a pas complètement tort, mais j’ai un moyen de le prouver.
— Suis-moi.
Je commence à partir vers le petit couloir qui mène à la sorte de pièce extérieure. Je sens que Simon me suit.
— Tu viens souvent ? me demande-t-il.
— Je n’ai pas le choix. Dès que je m’endors ou que je m’assoupis, j’atterris ici. Tu te rappelles, il y a deux semaines, en permanence, lorsque j’avais l’air blasée et qu’on aurait dit que j’avais vu un fantôme ?
— Oui, je m’en souviens.
— J’étais ici.
— Ah oui, donc des fois, les gens sur Terre nous voient avec de grands yeux flippants en train de fixer le ciel, évanouis par terre. On va avoir l’air de deux morts, comme ça.
— Je ne sais pas…
Nous arrivons face au Mur.
— Original. Et ça sert à quoi ?
— Voyager entre les différentes parties du monde. On peut aller de l’autre côté du Mur, même si je n’y suis jamais allée. Enfin, la seule fois que j’y suis allée, c’était avec Elven, et on est resté cinq minutes parce qu’on a vite été repérés.
— C’est qui, ce Elven ?
— Un ami.
— Hmm.
Il fixe le mur comme pour fuir mon regard. Je secoue la tête avant d’appuyer tout en bas du mur, le petit point caché qui permet d’accéder de l’autre côté. Je me redresse.
— Traverse le mur.
— Quoi ?
— Tu passes à travers le mur.
— Comment ça ?
Je tends ma main et la passe dans le mur. À mon contact, le Mur devient liquide, comme de l’eau multicolore. Je retire ma main.
— Comme ça, tu vois, c’est simple.
— Mais c’est bizarre !
— Bon, j’y vais en première.
Je n’hésite pas une seconde et passe d’abord ma main dans le mur avant de m’y enfoncer toute entière. Je déteste la sensation du liquide qui colle à la peau, c’est pourquoi je ne m’y attarde pas trop et le traverse d’un pas. De l’autre côté, j’arrive face à une forêt grise. Du moins, les restes d’une forêt, puisque les arbres sont morts. Le ciel est couvert par d’épais nuages gris.
— Je déteste traverser des murs.
Je me tourne vers Simon et ris lorsque je vois son expression dégoûtée.
— Je suis d’accord.
Il me sourit. Je détourne les yeux en faisant mine d’observer le paysage alors que c’est juste pour m’éviter de le fixer pendant une heure et d’oublier tout le reste. Oui, je suis toujours autant déstabilisée par son regard.
— C’est triste, comme endroit, lâche Simon dans mon dos.
Je le trouve plus effrayant et ne comprends pas vraiment en quoi il le trouve triste.
— Enfin, ça donne l’impression d’un monde abandonné, délaissé, qui s’est effondré, développe-t-il.
Je hausse les épaules. C’est peut-être le fait de me dire qu’une personne cruelle l’occupe, que je le vois comme un endroit saccagé par son propriétaire pour le rendre le plus repoussant possible. Je commence à m’avancer vers les arbres morts. Je frissonne lorsque je réalise qu’il fait très froid, malgré que j’aie toujours le manteau de Simon sur mes épaules.
— Il fait froid ici, remarque Simon qui m’a rejointe.
— C’est clair.
— Au fait, on rentre comment, après ?
— Tu veux dire, sur Terre ?
— Non, de l’autre côté. Le côté des gentils, si tu veux.
Je m’arrête net. J’ai oublié.
— Euh…
— Ne me dis pas que tu ne sais pas ?
— La dernière fois, Elven se téléportait, alors je ne sais pas, je n’ai jamais demandé…
— Et on peut retourner sur Terre, d’ici ?
— Aucune idée.
Simon ne répond rien. Je me sens vraiment idiote. Nous voilà coincés dans un endroit que je connais à peine, qui plus est dangereux. Nous nous enfonçons dans la forêt d’arbres morts. J’entends soudain un craquement à ma droite.
— Sinon, il y a peut-être moyen de…
J’interromps Simon en levant un doigt, la tête tournée vers la source du bruit. Je m’arrête net lorsqu’il me semble distinguer du mouvement. Je commence à reculer vers Simon lorsque je vois une grosse araignée marron, qui doit bien mesurer disons…cinquante centimètres de hauteur ?
— Tu as peur des araignées ? me chuchote Simon.
— C’est ma plus grande phobie.
L’araignée s’avance vers nous. Elle est plus effrayante que n’importe quelle araignée sur Terre. Elle a cependant quelque chose d’étrange. On dirait…qu’elle danse.
— Je rêve ou elle twerk ? marmonne Simon.
— Je crois que tu ne rêves pas, je réponds.
J’ai presque envie de me cacher derrière Simon. Je ne peux pas m’empêcher de fixer cette araignée dansante.
— Elle n’a pas l’air méchante. Enfin, tu devrais savoir comment s’en débarrasser ? Au pire, j’ai juste à l’écraser.
— Écrase la si tu veux. Je ne m’en approche pas, moi.
Simon s’avance doucement vers l’araignée qui s’immobilise.
— C’est fou comment elle ressemble à mon ex, me dit-il.
— Quoi ? Je ne savais pas que tu…
Je frémis lorsque son pied aplatit l’araignée géante et qu’un bruit dégueulasse de truc visqueux qu’on vient d’écraser résonne. Simon se retourne vers moi et sourit.
— Bah voilà, ce n’était pas compliqué, en fait.
J’écarquille les yeux. Juste derrière lui, plein d’araignées s’avancent. Une bonne centaine. Et elles n’ont pas l’air contentes.
— Qu’est-ce qu’il y a ? me demande Simon, dans l’incompréhension.
Il se retourne.
— Quelle horreur ! Plein d’araignées twerkeuses ! Là par contre, ne compte pas sur moi pour toutes les…
Il n’a pas le temps de finir sa phrase que je suis déjà partie en courant.
— Attends moi !
Simon me rattrape sans difficulté pendant que les araignées commencent à nous poursuivre, furieuses.
— Quand tu m’as dit qu’il y avait des créatures et que ce monde est cool, je ne pensais pas à ça !
— Je ne parlais pas de cette partie du monde !
Les araignées sont plus rapides que nous.
— Tu n’as pas une idée pour s’en débarrasser ?
— Aucune !
Simon retire son sac à dos de son épaule – j’ai oublié que j’ai toujours le mien aussi – et fouille dedans. Il sort une claquette.
— Tu as des claquettes dans ton sac ?! je lui demande.
— On n’avait pas le droit d’aller dans les chambres avec des chaussures à lacets, pas de ma faute !
Je remarque que les araignées se sont brusquement écartées.
— Eh, attends, elles n’ont pas l’air d’aimer les claquettes, je fais remarquer à Simon en ralentissant, épuisée.
Il s’arrête à côté de moi et lève sa chaussure d’une main. Les araignées reculent.
— Tu crois que je peux leur lancer dessus ?
— Essaie.
Il balance sa claquette au milieu d’un attroupement d’araignées. Elles se désintègrent. Les autres s’enfoncent entre les arbres avant de disparaître de notre vue.
— Faiblesse des araignées géantes twerkeuses : les claquettes, dit Simon en ramassant sa chaussures pour la remettre dans son sac.