Quelques heures plus tard
Je suis allé manger seul dans un restaurant cinq étoiles. Mais franchement, je n’ai rien avalé. L’assiette est restée devant moi, intacte. J’étais ailleurs. Perdu dans mes pensées. Entre la pression du travail qui s’accumule et cette histoire de mariage, je sens que je vais exploser. Il faut que je trouve une solution, et vite.
En sortant du restaurant, je tombe sur Jasmina. Mon cœur a fait un bond. Elle, par contre, n’avait pas l’air surprise de me voir.
— Ah baby, je t’ai enfin retrouvé. Ça fait un moment que je t’appelle, mais tu ne réponds pas. Qu’est-ce que tu fais ici ?
— C’est un restaurant, Jasmina, répondis-je simplement.
— Je sais, mais je suis étonnée de te voir seul. Je faisais du shopping pas loin.
Je la fixe un instant. Elle sait que je ne suis pas dupe.
— Ne fais pas semblant. Tu savais que j’étais ici.
Elle sourit, un peu coupable.
— J’avoue… Khalis m’a dit où tu étais.
— Tu pouvais simplement m’appeler.
— Mais je l’ai fait ! Plusieurs fois. Tu ne répondais pas.
— Je ne sais même pas où j’ai mis mon téléphone. Il doit être resté dans la voiture. Désolé, j’ai la tête ailleurs en ce moment.
— Qu’est-ce qui ne va pas ?
Elle connaît déjà la réponse, mais je n’ai pas envie d’en parler. Pas maintenant. Je sais à quel point tout ça la blesse. Alors, je change de sujet.
— Tu vas quelque part ? Je peux te déposer ?
Elle me regarde, pas convaincue. Elle sent que je lui cache quelque chose. Mais elle décide de ne rien dire, pour le moment.
— Oui, chez moi.
— D’accord, on y va.
Nous montons en voiture. Le silence s’installe. Un silence lourd, pesant. Puis, Jasmina finit par briser la glace.
— Dis-moi ce qu’il y a. C’est encore mère Neslihan, pas vrai ?
— Jasmina…
— Ne me cache rien, s’il te plaît.
— Ok…
— Mon cœur… laisse-moi lui parler, je t’en supplie. Peut-être qu’elle changera d’avis.
Sa voix est douce, presque fragile.
— Je t’ai déjà dit d’oublier cette idée. Tu ne la connais pas, Jasmina. Elle est bornée.
— Peut-être, mais je veux essayer. Je suis prête à affronter ses paroles, même si elles me blessent.
— Non. J’ai dit non. Et n’insiste pas. Je vais gérer ça à ma façon.
Fin de la discussion.
Elle regarde par la fenêtre, silencieuse. Elle doit se sentir mal. Et je la comprends. Cette situation est injuste pour elle. Elle n’a rien fait de mal. C’est moi qui suis coincé entre deux mondes. Elle veut juste être aimée et acceptée. Et moi… je veux juste l’épouser. Elle est une bonne personne. Ma mère ne voit que ce qu’elle refuse d’accepter.
On arrive enfin chez elle.
— Merci.
Elle s’apprête à descendre, mais je verrouille les portières. Son attitude froide me dérange.
— Jasmina…
— Quoi ?
— Tu ne m’as même pas embrassé.
— J’ai pas la tête à ça.
— C’est pas toi qui disais que quoi qu’il arrive, on devait rester soudés, ne rien laisser changer entre nous ?
Elle baisse les yeux, puis hoche la tête.
— Oui… tu as raison.
Elle m’embrasse. Doucement. Longuement. Ce moment efface tout, pendant quelques secondes. J’aurais voulu que ça dure plus longtemps. Que le monde entier disparaisse.
Mais je me retiens.
— Allez, bisou. Rentre bien. Je t’aime.
— Moi aussi, je t’aime.
Je la regarde entrer, puis je redémarre. Ce moment avec elle m’a soulagé. Elle a réussi à faire taire mes tourments, ne serait-ce qu’un instant.
Je conduisais sans vraiment savoir où aller. J’étais perdu dans mes pensées, pris au piège entre la colère et la lassitude. J’évitais de rentrer chez moi, de croiser ma mère. Elle aussi, elle me faisait de la peine, mais son comportement restait… à désirer. C’était comme si je vivais un enfer, un cauchemar sans fin.
Après mille réflexions, une seule personne me vint en tête. Mayah.
Dans ce genre de situation, c’était toujours elle. Celle à qui j’avais envie de me confier… et parfois de me disputer. Avec tout ce qui m’arrivait ces derniers temps, c’était la catastrophe. J’avais sérieusement besoin de lui parler, vraiment, et j’espérais que cette fois, ça porterait ses fruits.
Après une bonne minute de route, j’arrivai enfin chez elle. Je pénétrai dans le salon, où se trouvait son père, Hüseyin.
— Bonsoir, mon oncle.
— Yannick… sois le bienvenu. Comment vas-tu ?
— Bien, merci. Et vous ?
— Ça ne va pas fort, mais je remercie Dieu, dit-il avec difficulté.
Il m’avait fait peur, à vrai dire. Il avait l’air mal, fatigué. Il essayait de le cacher, mais je voyais bien qu’il déclinait de jour en jour.
— Et Neslihan ? J’espère qu’elle va bien ? me demanda-t-il.
— Oui, elle va bien, répondis-je.
— Ah, tant mieux. Tu es venu voir ta préférée ?
— Haha, c’est exact.
— Elle ne cesse de dire que c’est elle ta préférée, pas Mia.
— Elle n’a pas tort.
— Merci pour tout ce que tu fais pour ma fille.
— Vous n’avez pas à me remercier, mon oncle. C’est normal.
Il avait l’air sincèrement touché. Et moi, j’étais heureux qu’il reconnaisse que je m’occupais bien de Mayah. C’était mon devoir, après tout.
Il se leva difficilement et appela sa fille. Il avait l’air si faible… sa maladie l’affaiblissait chaque jour un peu plus.
Mayah arriva quelques minutes plus tard. Elle me sourit doucement.
— Viens, on va dans l’autre salon.
— D’accord, dis-je.
Je me levai du canapé.
— À tout à l’heure, oncle Hüseyin.
— Ok, à plus tard.
Dès que nous fûmes dans l’autre salon, elle me prit dans ses bras. On resta un moment comme ça, silencieux. J’en avais besoin. Elle avait toujours ce don de me réconforter sans parler. Puis on s’installa sur le canapé.
— Bae, qu’est-ce qui t’amène ? me demanda-t-elle.
— Faut que je parle à quelqu’un, et tu es la seule qui me comprend.
— Vas-y, je t’écoute. Qu’est-ce qui ne va pas ? Je te sens préoccupé.
— C’est très sérieux, Mayah. J’aurais jamais cru que ça allait être aussi dur, dis-je.
— Tu me fais peur, là. Qu’est-ce qu’il y a ?
J’avais du mal à parler. C’était une dinguerie, ce que j’allais lui dire. Mais je devais le faire. J’avais déjà assez de rage contre moi-même.
— Tu sais déjà que ma mère veut que j’épouse une femme, là, rapidement…
— Y’a pas qu’elle, moi aussi je veux que tu te maries. J’ai envie d’être tata !!
Je n’ai pas pu m’empêcher de rigoler. Elle aussi. Elle était trop mignonne. Si elle savait qu’elle risquait de porter cet enfant… au lieu d’en être la tata. J’étais à bout. Je n’arrivais plus à penser correctement.
— Plus sérieusement, ma mère ne veut pas que ce soit Jasmina… et Sonia, tu sais déjà que je ne l’aime pas.
— Fais un effort, s’il te plaît, bae. Sonia a l’air gentille.
— Et Jasmina, alors ?
— Ah ouais… c’est vrai. Mais tu peux l’épouser, et Jasmina après. Je crois pas qu’elle serait en position de refuser, déclara Mayah.
— C’est vrai… mais tu sais déjà qu’elle est amoureuse. Et je veux pas la faire souffrir, tu vois…
Elle me fixa sans rien dire. Son regard me transperça.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demandai-je.
— Je t’aime tellement, dit-elle avec une beauté désarmante.
— Je suis sérieux, Mayah.
— Je sais. Mais je devais te le dire. Yannick, t’es un homme… un vrai. Tu fais passer les désirs des autres avant les tiens. Et pour ça, je t’aime encore plus.
— Merci, princesse. Mais pour l’instant, j’ai la tête ailleurs.
Sa sincérité me touchait. Mayah avait toujours été comme ça. Gentille. Adorable. Vraie.
— Bon, tu n’as pas d’autre choix que d’épouser une autre.
— Exact.
— J’ai de la peine pour toi, exprima-t-elle.
— Merci. Moi aussi, j’ai de la peine pour moi-même, dis-je.
Elle me prit la main. Un geste simple, mais fort. J’appréciais énormément.
J’en avais affronté, des difficultés. Mais jamais une comme celle-là.
— Détends-toi. Tout va bien se passer.
— Comment ? Actuellement, je suis incapable de réfléchir, dis-je.
— Tu veux que j’aille parler avec mère Neslihan ? Je te le dis tout de suite, elle m’écoutera pas. Tu sais qu’elle me déteste… parce que je suis amie avec Jasmina.
— Non, répondis-je.
— Pas de souci. Est-ce que tu as déjà en tête la personne que tu vas devoir épouser ? me demanda-t-elle.
— Oui.
— C’est qui ? Est-ce que je la connais ? demanda-t-elle encore.
— Oui… puisque c’est toi.
Un silence s’installa.
À suivre…