Et si on se perdait ?

Chapitre 3

Au moins, il commençait à mesurer l'absurdité de ma situation. Moi, de mon côté, je cherchais encore une solution. Je ne supportais plus de me disputer avec ma mère.

Alors que j'étais perdu dans mes pensées, Khalis brisa le silence :

- Y'a qu'une seule solution : tu dois épouser une autre.

- Ne me dis pas ça... j'ai pas envie de faire ça, répondis-je, agacé.

- Tu n'as pas le choix. Mélina, par exemple. Elle accepterait volontiers. Ce ne serait que temporaire, juste le temps que ta mère se calme.

- Tu te rends compte que cette fille est amoureuse de moi ?!

- Là, mon pote, j'sais plus quoi te dire, lâcha-t-il en haussant les épaules.

Je n'arrivais pas à croire qu'on en était là. Que je devais littéralement me chercher une femme à épouser juste pour satisfaire ma mère. C'était ridicule... mais en même temps, je savais que je ne pouvais pas la laisser sombrer. Elle se mettait une pression énorme, toute seule, comme si elle étouffait à petit feu.

- Et Mayah alors ? lança soudainement Khalis.

Je le regardai, interloqué. Il avait vraiment des idées tordues, celui-là.

- Mayah quoi ?

- Il te faut une femme à épouser. Une qui n'est pas amoureuse de toi, justement.

Je lui lançai un regard noir. J'étais déjà à bout, et lui, il en rajoutait une couche. Comment pouvait-il me sortir un truc pareil ?

- Quoi ? fit-il, surpris par ma réaction.

- C'est ma pote. Mieux que ça, c'est comme ma sœur, Khalis !

- Ta meilleure amie, ouais... mais vous n'avez pas le même sang, répondit-il sans sourciller.

- Le sang, ça veut rien dire quand il s'agit de Mayah.

- Peut-être. Mais elle reste une amie, pas ta sœur. Et franchement, tout le monde pense déjà que vous êtes ensemble. Je vois pas le problème.

- Je n'ai jamais eu la moindre vue sur elle. Alors évite de me dire ce genre de conneries.

- C'est juste pour que ta mère se calme, voilà tout.

- Arrête ! Je t'ai dit d'arrêter !

Je me levai brusquement, hors de moi, et sortis du bureau. C'était officiel : tout le monde voulait me rendre fou aujourd'hui. J'étais à bout. J'avais tout pour être heureux, et pourtant, il fallait qu'un truc pareil vienne tout gâcher.

Khalis me suivit jusqu'au parking.

- Tu comptes te torturer encore combien de temps ? Yannick, parfois, faut savoir enfreindre les règles.

- Tu me connais. Je suis un mec droit. J'ai des limites.

- Mayah est prête à tout pour toi. C'est juste un mariage.

- Ne me parle pas de Mayah !

- C'est la seule option qui te reste !

Il éclata d'un rire nerveux, incrédule face à la situation.

- Le mariage, c'est pas une plaisanterie, Khalis !

- Fais comme tu veux, débrouille-toi alors, dit-il en se dirigeant vers sa voiture, visiblement à bout lui aussi.

Je restai planté là, la tête en feu. Toute cette histoire nous rendait tous dingues. J'avais l'impression d'être dans un mauvais rêve, un cauchemar absurde dont je ne savais plus comment sortir.

Point de vue de Yannick

Je dois l’avouer, Khalis a peut-être raison. C’est une idée complètement folle… mais une excellente idée. Choisir Mayah comme épouse temporaire, c’est logique. On s’entend bien, on se connaît depuis toujours, on se comprend sans même parler. Il n’y a aucun sentiment amoureux entre nous, et surtout, elle ne risquera jamais de me faire une scène à cause de Jasmina. Elles s’entendent bien toutes les deux.

Mayah est parfaite pour me sortir de ce pétrin. Mais malgré tout… rien qu’en y pensant, j’ai un haut-le-cœur.

C’est malsain.

Une vraie dinguerie, cette histoire.

Je me sens mal à l’aise, presque sale. Mayah, c’est comme ma sœur. Lui demander de m’épouser, même temporairement, c’est la trahir. C’est lui manquer de respect. C’est utiliser sa gentillesse contre elle. C’est malhonnête. Et pourtant, je suis à court d’options. Ma tête tourne. J’suis perdu, vraiment perdu.

Point de vue de Mayah

Je suis seule dans le salon, toujours remontée. Cette histoire avec Jordan m’a mis les nerfs à vif. Il m’a énervée comme jamais. Je n’ai rien compris à sa réaction de la nuit dernière. Ce n’est pas de ma faute si mes parents ne l’apprécient pas. Ni celle de Yannick. Et au lieu de chercher une solution, monsieur préfère s’emporter pour un rien.

J’essaie de me calmer, en vain. Alors je me lève, direction la cuisine. Une bonne glace, c’est la seule chose capable de m’apaiser quand je suis en colère.

Quand je reviens au salon, je vois une notification sur mon téléphone. C’est Jordan. Il m’écrit qu’il est devant la porte et qu’il veut me parler.

Je lui réponds de rentrer. Mes parents sont sortis faire des contrôles de santé. Ils en profiteront pour passer à l’entreprise, vérifier que tout va bien. Mon oncle et mon cousin Murât gèrent tout quand papa est absent.

Quelques minutes plus tard, il entre. Il tente de m’embrasser, mais je le repousse. Il s’assoit alors à côté de moi.

— Bébé, je suis désolé…

Je garde les yeux rivés sur l’écran. Aucune réaction. Il croit vraiment qu’un simple "je suis désolé" suffit après ce qu’il m’a fait subir ?

— Parle-moi, Mayah… Je reconnais que je me suis emporté pour rien.

— Tu me fais passer pour la coupable, comme si tout était de ma faute.

— J’avoue, j’ai mal réagi. Pardonne-moi.

— C’est facile de dire pardon. Mais tu dois apprendre à te contrôler. T’as pété un câble pour rien du tout.

— Je sais… Allez, Mayah, oublions tout ça.

Je boude toujours. J’ai encore la colère coincée dans la gorge.

— Arrête de faire la tête. Je suis sincèrement navré.

— Plus jamais tu n’agis comme ça. Plus jamais.

— D’accord… D’ailleurs, j’ai pris une décision.

Je tourne la tête vers lui, méfiante.

— Quelle décision ?

Il me sourit doucement, comme s’il s’apprêtait à m’annoncer quelque chose d’important.

— Je vais aller voir Yannick. Je vais tout faire pour qu’il m’aide à convaincre tes parents.

Je ne peux pas m’empêcher de sourire. Il se bat pour nous. Pour qu’on puisse se marier. C’est mignon. Très mignon.

Je lui saute dans les bras. J’aime quand il prend ses responsabilités, quand il agit comme un homme.

— J’espère qu’il t’aidera.

— Yannick est un mec bien. Si je suis honnête avec lui, ça peut marcher, non ?

— Oui. Sois sincère et respectueux, et tu verras, il t’écoutera.

— Pour toi, je suis prêt à tout. Je te promets qu’on va se marier.

— J’ai tellement hâte… soufflai-je en souriant.

Jordan n’est pas parfait. Mais je l’aime. Il est maladroit, parfois impulsif, mais il a un bon cœur. On s’est blottis l’un contre l’autre, et on a regardé un film. C’était doux, apaisant. Romantique. Comme dans les bons jours.

Point de vue de Yannick

Cela fait des heures que je tourne en rond, incapable de prendre une décision. Cette situation me ronge. Elle me fatigue, elle m’use. Je n’ai même pas envie de rentrer chez moi parce que je sais exactement de quoi on va parler. Encore et encore. Ce mariage. Ce choix. Cette pression.

Être fils unique, c’est porter des responsabilités silencieuses. Être le seul garçon, c’est devenir l’héritier de tout, des espoirs comme des attentes.

Ma mère… c’est tout ce qu’il me reste. Ma force, mon repère, ma reine. Toute ma vie, j’ai essayé de la rendre fière, de lui montrer que je peux être à la hauteur de ses sacrifices. Ses désirs ont toujours été mes priorités. Toujours. Mais là… cette fois, je ne peux pas. Je n’y arrive pas.

Elle veut que j’épouse Sonia. À tout prix. Même si je ne l’aime pas. Même si j’en aime une autre. Jasmina.

Et c’est justement elle que ma mère rejette de toutes ses forces. Jasmina, cette femme qu’elle refuse de voir à mes côtés, qu’elle méprise sans même essayer de la connaître. J’ai tenté de lui parler, de lui expliquer ce que je ressens, combien je suis sérieux avec Jasmina. J’ai même supplié.

Mais rien. Elle reste ferme. Inflexible. Elle a même osé me menacer.

— Si tu l’épouses, tu ne seras plus mon fils.

Ses mots résonnent encore dans ma tête. Durs, brutaux, tranchants.

Jamais elle ne s’était immiscée dans mes relations. Jamais. Mais cette fois… je ne comprends pas. Pourquoi tant de haine ? Pourquoi cette obstination ? Pourquoi me pousser vers une femme que je ne veux pas, que je n’aimerai jamais ?

Je suis perdu. Entre ce que je dois faire et ce que je ressens. Entre ma loyauté envers celle qui m’a élevé… et mon amour pour celle que j’ai choisie.

À suivre...