1.La paix dans les campagnes
Au printemps de cette année-là, l’état-major achevait un voyage d’études sur les lignes de l’Oise, de la Somme et de l’Aisne. Les autos s’étaient arrêtées au pied d’un coteau, entre Vailly et Craonne. Les officiers avaient monté la côte et, la jumelle aux yeux, admiraient le joli paysage de fraîcheur et de verdure qui s’étendait à perte de vue en un panorama sur lequel s’abaissait lentement le déclin du soleil. Sur le versant des côtes, Chavignon, Vailly, Berry-au-Bac étalaient leurs maisons couvertes d’ardoises des Ardennes, et le filet de l’Aisne serpentait à leurs pieds en longs et multiples anneaux qui semblaient garder, en descendant vers Soissons et Compiègne, les reflets des sombres frondaisons de la forêt d’Argonne.
Sur le haut du plateau où les officiers venaient de s’arrêter, le Chemin des Dames profilait sa régularité parfaite parallèlement à la rivière, en frôlant la ferme d’Heurtebise et la tour du vieux moulin à vent de Vauclère, d’où Napoléon suivit les détails de la bataille en 1814. Vers le sud, un étroit repli de cette vallée d’ombre, de fraîcheur et de repos est traversé par le ruisseau du Ployon et se barre du côté de l’Aisne par un long talus naturel appelé bois des Couleuvres.
Là, est le village de Craonnelle… Au long du Ployon, des moulins.
Noms terribles, noms sanglants qu’allaient illustrer bientôt les plus admirables héroïsmes, les plus magnifiques exemples de bravoure, de dévouement et d’esprit de sacrifice que notre histoire ait jamais enregistrés.
Le colonel Rochefière s’était détaché du groupe et avancé de quelques pas jusqu’auprès du moulin à vent et là, immobile et rêveur, il paraissait jouir de la paix du soir qui ensommeillait les campagnes recueillies.
— C’est un joli et doux pays, mon colonel ! fit la voix jeune d’un officier d’ordonnance qui s’était rapproché.
— Je le connais de longue date, capitaine, et devinez à quoi je pensais… Non, vous ne devinerez pas… J’aime mieux vous dire !… Je pensais tout simplement qu’il ferait bon venir ici achever de vieillir, lorsque bientôt on me fendra l’oreille… et surtout qu’il serait peut-être plus facile qu’ailleurs d’y oublier l’amertume de ma vie tout entière passée sous les armes, obscurément, mais avec une âme inlassable, dans l’espérance de cette chose superbe et affreuse, pour laquelle nous sommes nés, nous autres soldats, pour laquelle nous avons vécu, et qui n’arrivera pas…
— La guerre, n’est-ce pas, mon colonel ?
— La guerre.
— Elle arrivera, mon colonel… elle est inévitable, et peut-être prochaine.
— Elle n’arrivera pas assez tôt pour moi. J’aurai vieilli et je ne serai plus bon à rien. Vous êtes jeune, vous, peut-être aurez-vous plus de chances… mais nous autres ! Quelle tristesse, qu’il faut ensevelir au fond du cœur !… Avoir tous les jours espéré pour la grandeur de son pays ! Tous les jours avoir accompli les monotones besognes pour l’accomplissement desquelles il faut vraiment être trempé d’airain et de bronze si l’on ne veut pas se laisser aller au découragement ! Avoir enfin consacré les plus belles heures et les années les plus triomphantes de sa jeunesse et de sa maturité à préparer la victoire et puis… et puis… Mais après tout, c’est idiot ce que je vous dis là, capitaine, et je ne sais ce qui me prend, ce soir.
— Mon colonel, vous n’êtes pas juste envers vous-même. Si vous ne voyez pas la victoire, vous aurez fait les hommes qui la gagneront.
Rochefière resta silencieux, et soudain :
— Si je pouvais le croire ! Lorsqu’ils partent, ils sont pleins d’entrain et de fierté ! Et certes, on doit compter sur eux… Mais que fait, de ces braves enfants, l’amollissement de la vie douce où ils retrouvent vite les habitudes d’oubli et d’indifférence qui sont, hélas ! celles de notre pays ? Et les théories ineptes et criminelles, sous prétexte d’humanitarisme, les émasculent en leur représentant que toute guerre est devenue impossible. Depuis les plus humbles jusqu’à ceux d’en haut, que fait d’eux la vie à laquelle nous condamne une longue paix énervante, une paix conquise à coups d’humiliations, la paix allemande qui nous déprime parce qu’elle nous abaisse ? Que font d’eux l’insouciance, la légèreté des mœurs, l’âpreté des luttes difficiles pour l’argent, qui absorbe les énergies, le désarroi de certaines idées de droiture et d’honneur si bien obscurcies qu’on ne s’y reconnaît plus ? le détachement de certains liens ? l’indifférence pour certains devoirs austères ?… Et en voilà assez là-dessus, capitaine. Je ne suis pas une vieille baderne ça n’est pas une raison parce que je vais quitter l’armée pour m’imaginer que l’armée souffrira de mon départ !
— Mon colonel, tout n’est pas parfait chez nous, bien sûr… On s’y occupe un peu trop des élections, des scandales, du tango, des financiers et des crimes passionnels… Surtout nous autres — ceux qu’ils appellent les galonnés — on ne nous écoute pas assez lorsque nous essayons de crier gare… Mais il faut bien prendre les Français comme ils sont… Enfin, si je vous posais la question… la grande question… la seule qui compte pour nous ? Si je vous demandais : « Mon colonel, si la guerre éclatait inopinément, serions-nous victorieux ? » Que répondriez-vous ?
Rochefière fit deux ou trois pas sur le plateau, parut d’abord n’avoir pas entendu, puis se retourna vers le jeune officier :
— Nous vivons à une époque de platitude et de petitesses, de compromissions où les caractères s’effacent… La guerre serait un coup brutal qui réveillerait les cœurs. J’ai lu quelque part une phrase d’une admirable vérité et que je voudrais voir gravée en lettres d’or au fronton de nos monuments publics : « La France a besoin d’héroïsme pour vivre ! » Sans héroïsme, la France manque à ses destinées… Donnez un idéal à nos soldats le jour du danger et leurs cohortes traverseront les champs de bataille en balayant tout sur leur passage… Ai-je répondu, capitaine ?
— Oui, mon colonel ! fit le jeune homme, souriant et ému.
Alors, Rochefière resta seul.
Il faisait presque nuit. Sur la route, les phares des autos s’allumaient, mais la lune, qui brillait, prolongeait un peu la lumière du jour. Au fond de la vallée, une jolie maison simple se cachait dans le crépuscule tout au bord de la rivière.
La maison aux volets blancs que regardait Rochefière était l’habitation d’un moulin désaffecté et s’appelait Vieux-Moulin.
Elle est à vendre. On me l’a dit à Craonne, pensait le colonel. Dans deux ans, j’aurai ma retraite et je viendrai m’installer ici avec ma fille.
Le lendemain, il était de retour à Paris.
A Craonne, on lui avait donné le nom du notaire, Me Léontinier.
Il courut à l’étude, rue Neuve-des-Petits-Champs :
— Parfaitement, dit le notaire, Vieux-Moulin est à vendre. Voici la notice qui vous renseignera. Vous savez qu’il y a une quarantaine d’hectares de terres et de prairies au long de la rivière ? En tout, avec la maison qui est en très bon état, cent mille francs.
Rochefière baissa le front comme un enfant prie en faute.
— J’ai ma retraite et une petite fortune pas bien grosse… Ce chiffre, est-ce le dernier mot ?
— Ecoutez, fit, rondement Me Léontinier, moi je n’ai pas le droit de diminuer. Mais, à parler franc, suivez mon conseil… La maison dépend du domaine de la Butte-aux-Cailles, qui appartient, vous le savez sans doute, à M. Holmutz.
— Le banquier dont on a tant parlé en ces dernières années ?
— Juste. Allez trouver M. Holmutz… Carré en affaires… Excessivement riche… Il est le maître du marché de Paris et à la Bourse on le salue bas… Mais très arrangeant. Le cœur sur la main… Je suis sûr que voue tomberez facilement d’accord avec lui.
— Mais, fit le colonel avec hésitation… Holmutz n’est-il pas… Allemand ?
— Allemand d’origine, oui, mais, depuis vingt ans, naturalisé Français… a épousé en premières noces une Française, en secondes noces, une Française… Et, ceci va calmer vos scrupules, ses deux fils, Roger et Frédéric, ont fait leurs deux années de service militaire en France, bien entendu… Donc, en voilà un qui est bien des nôtres, pas vrai ?
— Je l’admets comme vous… Cela ne peut faire de doute… J’irai le voir…
— Et bonne chance, mon colonel.
Avenue du Trocadéro, un hôtel élégant.
C’était là que demeurait le fameux banquier.
Les bureaux de la banque étaient rue Vivienne.
Le colonel fit passer sa carte et, résigné, attendant son tour, alla modestement prendre place dans un fauteuil resté vide.
— Monsieur est à vous dans cinq minutes.
Les cinq minutes n’étaient pas écoulées que Holmutz entrait, d’un pas lourd, raide et rapide, et disait d’un ton bonhomme :
— Mon colonel, j’étais prévenu de votre visite, et je n’ai pas voulu vous faire attendre… Le notaire m’a téléphoné, je suis au courant… Vous avez envie de m’acheter Vieux-Moulin, mais vous hésitez, devant la forte somme… Cent mille, c’est trop… Entre nous, Vieux-Moulin ne les vaut pas. Faites une offre.
C’était un grand et gros homme, d’allure débonnaire, de mise élégante, sans bijoux, à l’exception d’un fort beau brillant à sa cravate. Robuste et haut en couleur, cheveux gris collés par le cosmétique, rasé de près, il portait solidement ses soixante ans, et n’en paraissait pas cinquante.
— Mon Dieu, monsieur, fit Rochefière embarrassé, je n’ai pas eu beaucoup de temps pour évaluer… mais il me semble…
Holmutz se mit à rire.
— Soixante mille, voulez-vous ?
Interdit, le colonel n’osait.
— Contrat en mains, naturellement, acheva le banquier, c’est-à-dire tous les frais à ma charge… Ça va ?… Entendu !
Et il tendit la main à l’officier.
Au Vieux-Moulin en attendant sa retraite, Rochefière installa sa sœur Annette et sa fille Marie-Blanche, pendant la belle saison. La vie fut calme et très douce, dans une uniformité dont la jeune fille ne se plaignait pas. Elle avait pour son père une adoration religieuse, une sorte de culte pieux. Vingt ans, blonde, mince, les yeux de ce gris-bleu, parfois très tendre et parfois qui s’imprègne d’une énergie singulière, la jeune fille était trop jolie pour ne pas attirer l’attention toujours et souvent des hommages. Elle passait indifférente, un peu hautaine, dans une réserve fière, qui faisait dire à Annette :
— Toi, petite, tu veux trop choisir… Tu ne trouveras jamais !
Alors, Marie-Blanche fermait un moment les yeux comme pour voiler sa pensée intime et dérober mieux peut-être un secret de son cœur, et quand elle relevait les paupières, quelqu’un d’attentif aurait pu lire, dans son regard trouble, je ne sais quoi de découragé, je ne sais quelle répulsion et quelle amertume.
Elle avait aimé déjà…
Et déjà elle n’aimait plus ! Amours d’hier, amours fanées !
Il s’appelait Simon Beaufort, et, au plus loin que se reportaient ses souvenirs d’enfant, elle revoyait toujours auprès d’elle cette figure rieuse, aux yeux noirs flamboyants. Plus âgé qu’elle de dix ans, il la traitait en petite fille, avec une protection toute paternelle. Le commandant Beaufort, son père, avait été tué au Congo, aux côtés de Rochefière, et son dernier mot fut :
— Mon fils va être seul… sa mère malade ne survivra pas à ma mort… je te le confie… Il est bon, mais faible… Il sera riche… J’ai peur pour lui…
La mère mourut dans une crise cardiaque. Rochefière prit l’enfant chez lui. Simon avait quinze ans, Marie-Blanche en avait cinq. Ce fut ainsi qu’ils se connurent.
Ce fut ainsi que, dès l’extrême enfance, l’amour entra en Marie-Blanche, naturellement, comme le soleil pénètre une fleur et comme l’air la fait vivre…
Lui, jouait avec elle comme avec une gentille poupée qui parlait, criait, riait, pleurait. Mais quand elle pleurait, par sa faute, il n’en finissait plus de l’embrasser.
Puis, ce fut la séparation.
Mis en possession de sa fortune, Simon Beaufort voulut, comme on disait alors, « vivre sa vie », et il la vécut en s’y jetant âme et corps perdus.
Marie-Blanche connut la souffrance.
Pourtant, si désordonné qu’il fût, le jeune homme n’était pas inoccupé.
Ingénieur chimiste, l’esprit inventif, doué d’aptitudes admirables, il s’amusait à chercher, pour son plaisir et par goût, un explosif nouveau dont il avait trouvé les éléments et les formules incomplètes dans les papiers de son père. Après des nuits de plaisirs exaspérés et de fête éperdue, il n’était pas rare de le voir, frais comme l’œil, sans nuance de fatigue, à son cabinet d’expériences, parmi ses instruments et ses fourneaux, attentif au résultat d’une opération nouvelle.
Au loin, Marie-Blanche pensait à lui toujours.
Cette vie de jeune fille avait été presque monacale. L’humeur aventureuse de Rochefière l’avait retenu longtemps en Afrique, du Congo au lac Tchad et du Tchad au Maroc, partout où l’on se battait, et Marie-Blanche avait vécu seule auprès de sa tante Annette, sans autres éclaircies, dans cette existence, que les lettres paternelles qui venaient du bout du monde. Puis, Rochefière, enfin, reparut, fut attaché à l’état-major, et Marie-Blanche fut heureuse.
Heureuse ?…
Depuis six mois, elle n’avait pas revu Beaufort. Il promenait une maîtresse aux quatre coins de l’Europe, mais de retour à Paris, il la remercia, car elle avait cessé de lui plaire et il ne s’attardait guère à ses amours. Alors, en une heure d’isolement, il se souvint qu’il existait, rue du Ranelagh, un humble et chaud foyer où il avait grandi. Il y courut.
Marie-Blanche avait dix-neuf ans.
Et il resta devant elle, étonné, avec un geste d’admiration.
Elle comprit qu’il la trouvait très belle, rougit et pâlit…
Et Simon, par gaminerie de camarade, se frottait les paupières, comme ébloui soudain par une lumière trop vive.
— Dis-donc, Blanchette, où as-tu pris ces yeux-là ?
Elle dit, sans trouble, malicieuse :
— Je les ai toujours eus, mais il paraît que tu ne les voyais pas ?
Il l’embrassa et sentit que, sous le b****r léger dont il effleura ce frais et charmant visage, aux lignes délicates et pures, elle frissonnait.
Brusquement devant lui s’ouvrait un monde nouveau. Il en eut l’intuition et pensa : Elle m’aime.
Et il fut à la fois joyeux, triste et inquiet.
Pendant deux mois, on le revit rue du Ranelagh, tous les jours. Il reprenait les habitudes d’autrefois et s’y nourrissait des souvenirs délicieux de son enfance.
Il aimait…
Cela devait être… Il lui fut impossible de ne pas répondre à l’amour ingénu et immense, au charme virginal de cette enfant qui abandonnait son âme, sans feinte.
Il le lui dit, un jour :
— Je ne t’avais jamais connue… Et maintenant que je sais qui tu es, je voudrais vivre auprès de toi.
Les lèvres de l’enfant remuèrent faiblement, ne prononcèrent pas, et il devina : Moi aussi, je t’aime…
Ce fut de cette heure bénie, source d’espoirs et qui aurait dû marquer tant de joies divines, que tout un drame commença, de terreurs et de ruines morales.
Les habitudes de Simon, ses faciles et légères amours avaient rayé d’une lourde empreinte un caractère que les luttes de la vie n’avaient point trempé. Pas encore gâté, il était atteint. Pour sa guérison, il fallait l’instrument qui tranche dans la plaie et fait jaillir le sang. Au prix de quelles douleurs et de combien de larmes ! Il ne changea rien à sa vie voluptueuse. Un sourire et des yeux de promesse le trouvaient sans résistance… Certes, il ressentait des remords, et dans les nausées qui lui venaient parfois, après des nuits folles, il s’étreignait le front et s’écriait avec une rage douloureuse et repentante :
— Je suis indigne d’elle ! Je souillerais cette vierge…
Et voici le drame qui éclata, simple et foudroyant.
Marie-Blanche avait dit à son père, le soir du premier aveu :
— Si tu savais comme je suis heureuse !
Il n’eut pas besoin d’autres paroles pour comprendre. Longtemps, il avait caressé le rêve de confier sa fille à cet homme. Ce rêve était trop beau. Il n’osait y croire.
Et huit jours après, un matin, Marie-Blanche sortit avec tante Annette pour faire des courses dans les magasins. Vers onze heures, le taxi qui les conduisait rue du Ranelagh passa avenue Friedland devant l’hôtel de Simon Beaufort.
Une pensée joyeuse vint à l’esprit de la jeune fille :
— Tante, il faut monter chez lui, nous le surprendrons à son travail.
— Mais ce n’est pas convenable ! se récria la tante… Pense donc ! Un garçon !
— Il n’est plus garçon… Il est mon fiancé.
— Mais il n’est peut-être pas chez lui ?
— Eh bien, nous le saurons.
— Et s’il refuse de nous recevoir ?
— J’entrerai de force.
Une bataille entre elles deux, c’était, de tout temps, une bataille perdue pour Annette. Déjà Marie-Blanche l’entraînait. Elle connaissait l’hôtel. Toute enfant, elle y était venue, avec son père. Au concierge effaré, qui essayait de l’arrêter, elle jeta :
— Nous montons le surprendre…
Elle n’entendit pas ce que le concierge disait. Au premier étage, dans un large vestibule, elle s’arrêta pour se laisser rejoindre par la tante essoufflée.
Un valet de chambre accourait, déconcerté, hésitant, essayant d’expliquer :
— Mademoiselle… Monsieur aurait été bien heureux… mais il est… il est sorti de bonne heure… et il ne rentrera pas pour déjeuner…
Il se tut, gêné.
Des voix rieuses arrivaient du fond d’une chambre… une voix de femme… la voix de Simon.
La tante comprit, voulut entraîner Marie-Blanche.
— Viens, petite… un autre jour, nous le préviendrons… il nous attendra.
Marie-Blanche écoutait les voix qui se disputaient gaminement. Elle s’effondrait dans un grand vide noir plein d’horreurs… le cœur glacé… pâle jusqu’aux lèvres.
— Il est là… Dites-lui qui nous sommes… Il viendra.
Elle pénétra dans un salon sobre, d’une élégance sévère, et la première chose qu’elle vit, ce fut sa photographie, à elle, sur un petit meuble. Elle la déchira.
— Mon enfant, mon enfant, grelottait la pauvre Annette.
De longues minutes s’écoulèrent en silence.
Marie-Blanche entendait les coups sonores qui martelaient son cœur.
Enfin, il entra… Il avait passé hâtivement un vêtement de chambre.
— Quelle joyeuse surprise !
Mais ce fut tout. Il resta blême de terreur, de colère contre elle et contre lui-même.
Elle fit deux pas vers lui :
— Simon, je veux voir !
Il bégaya, se sentant mourir de peur, de honte et de désespoir :
— Quoi donc, Blanchette ?
— Celle qui est là.
Il n’eut pas le temps de s’y opposer. Elle traversa le salon en chancelant.
Quand elle revint, elle paraissait étrangement calme. Elle prit le bras de sa tante :
— Tu avais raison… Nous n’aurions pas dû venir…
Elle ne regarda pas Beaufort, ne lui parla point, et partit.
Alors, il tomba dans un fauteuil et sanglota :
— C’est fini… par ma faute… tout est fini !