Le lendemain je jongle pour prendre une décision concernant le fait d'aller travailler. Je sais bien que je vais y passer mais c'est assez bizarre car j'ai à la fois peur et envie de le revoir. C'est donc avec appréhension que je me rends sur mon lieu de travail. Comme d'habitude, j'arrive avant lui et m'installe. Je regarde ma montre. Monsieur Cartier sera là dans cinq minutes et trente secondes. Je le sais car il arrive toujours à huit heures tapantes. C'est avec les mains tremblantes que je lui prépare donc son café. Il l'aime chaud avec du lait et du sucre... beaucoup de sucre. Un homme qui aime le sucré, je trouve ça mignon. Un sourire inespéré et incontrôlable ravive mon visage terne.
Lorsqu'il finit par arriver, il me dépasse comme s'il ne m'avait pas vu. Je n'ai pas non plus droit à son bonjour habituel. Qu'est-ce qui lui prend ?
Je lui amène la tasse en le saluant poliment mais une fois de plus je me heurte à son silence. Est-ce avec le même homme que j'ai partagé un verre hier nuit ?
Finalement il sort quelques documents de sa malette. Pendant ce temps je le détaille. Il semble avoir mal dormi. Est-ce son ex-femme qui lui a encore mené la vie dure? À ce qu'on raconte, elle aurait tenté de lui soutirer près de la moitié de sa fortune au cours de ce divorce. Si ce n'est pas Orianne la cause de cette mine, alors ça ne peut être que moi. J'espère qu'il n'a pas été blessé par mon départ précipité de la veille.
Je sursaute en l'entendant m'ordonner sèchement de sortir mon carnet pour noter l'emploi du temps du jour. Qu'est-ce qu'il a à la fin? Jamais il ne m'avait parlé sur ce ton. J'ai bien envie de me révolter mais c'est mon chef et j'ai un frigo à remplir alors autant éviter d'être virée.
Ce qu'il s'est passé hier ne signifie pas qu'on est devenu des amis. Je m'exécute alors et note ses directives, puis il me congédie froidement. Cependant, arrivée à la porte, je suis prise d'une audace soudaine. Je me retourne vers lui et ose demander :
- Monsieur, est-ce-que tout va bien ?
Il paraît surpris par la question mais se reprend vite.
- Je ne vous paie pas pour jouer à la psychologue avec moi. Si ça allait mal dans ma vie, ce n'est sûrement pas à vous que j'en parlerai. Maintenant allez travailler.
Blessée par son ton et ses propos, je sens mes yeux s'humidifier. Tête baissée, je quitte le bureau et me dirige vers le mien en manquait de chialer pitoyablement. Je n'y peux rien, je suis une personne sensible qui déteste qu'on lui parle de la sorte. Comment peut-il se comporter comme un connard alors que la veille il était si gentil ? Ça me dépasse.
Même si ça s'avère être dur, je chasse assez vite Jacques Cartier de mon esprit pour me concentrer sur mon job. Il ne manquerait plus qu'il me vire à cause d'un faux pas. Vu comment il est irritable aujourd'hui, il serait capable de le faire.
L'après-midi, je reçois un appel de Monsieur Cartier me disant qu'il rentre chez lui. Nos bureaux étant collés, il aurait simplement pu venir dans le mien pour me le dire mais apparemment ma vue le dégoûte. Sans me donner plus d'explications, il raccroche sèchement. À travers la porte entrouverte, je vois sa silhouette passer sans s'arrêter. Je me replonge dans le travail en l'insultant mentalement. Ce n'est qu'un bouffon, un rustre qui cachait bien son jeu. Et moi, ça m'apprendra à croire que tout le monde est gentil.
Vers dix-neuf heures, je finis la montagne de dossiers qu'il m'a demandé de vérifier. C'était carrément une punition dont j'ignorais la raison. Je considère cela ainsi car j'ai eu à m'occuper de contrats datant d'il y a plusieurs années. Ce sont des histoires classées dont plus personne ne se souvient. Personne sauf mon boss et il a décidé de me pourrir la journée avec. Ciel, Jacques Cartier n'a pas honte ? Essaierait-il de me pousser à démissionner ?
Je fais craquer les articulations de me doigts car à force de tenir le stylo non-stop, il sont devenus douloureux. Heureuse d'être arrivée à bout de ces papiers, je décide de rentrer chez moi. Mon lit me manque. C'est alors que le téléphone sonne. Je décroche en pensant que c'est un client mais non, il s'agit du patron, ce bâtard sans cœur. Il aurait soit disant oublié un dossier important sur son bureau et voudrait que je les lui apporte dans l'immédiat. Je tente de lui signifier que mes heures de travail sont arrivées à terme pour aujourd'hui.
- Mais ma journée est...
Il raccroche sans attendre ma réponse.
- Connard sans éducation, je l'insulte après avoir bien entendu vérifier que la communication était bel et bien éteinte.
Je croise les bras et laisse échapper un soupir d'épuisement. Je trouve ça étrange, surtout qu'il aurait pu attendre demain pour les récupérer lui-même.
Tout en ronchonnant, je pars récupérer ledit dossier de malheur. Moi qui ne voulait pas revoir Jacques avant demain, c'était raté. Je sors du building après avoir salué quelques agents d'entretien et vigiles sur mon passage. Je trouve un taxi libre après quinze minutes d'attente sur le trottoir. Il faut vraiment que je m'achète une voiture, ça me faciliterait la vie. Malheureusement je dois patienter une année avant que mes économies ne me permettent de rêver si haut.
J'arrive devant son immeuble et prend l'ascenseur menant à son appartement. Il m'accueille vêtu de façon décontractée. Je me mord la lèvre en voyant la peau légèrement hâlée que dévoile sa chemise dont les trois premiers boutons sont défaits. Lui aussi me détail mais de façon plus ouverte. En vérité je n'ai pas pris la peine de rentrer chez moi pour me changer. À quoi bon ? Me connaissant, j'aurais été tentée de me faire belle et il aurait pris ça pour une invitation à me b****r. Néanmoins j'ai un peu honte de me tenir devant sa face avec les mêmes vêtements portés durant toute la journée. Ma tenue est froissée, ma coiffure ne tient plus vraiment à cause des mèches folles de mes cheveux frisés et blonds vénitiens.
Je reviens à moi et répond poliment à son "bonsoir" puis il s'écarte pour me laisser entrer. Il a l'air moins revêche que ce matin, ce qui me rassure un peu. Je lui rends les documents et m'apprête à partir. Cependant il me désigne le divan d'un geste du menton. Contrainte, je m'y installe doucement tandis qu'il prend place dans un fauteuil non loin de moi. Il se met à lire les contrats du consortium tout en les signant. Pendant ce temps je jette un coup d'œil circulaire à l'endroit. C'est la première fois que je viens chez lui. Ça n'a pas l'air d'un appartement de couple. Aucune des rares photos accrochées aux murs ne montre l'ancien couple Cartier. Au moins les effets de son ex-femme ne sont plus là. Je me reconcentre sur cet Adonis qui ronge mon cœur depuis le premier jour. Je n'avais qu'une envie, déchirer son haut et admirer sa musculature, toucher sa peau, embrasser ses lèvres... Je me mets à fantasmer comme si j'étais une femme en chaleur.
Une jambe posée sur l'autre, il ignore tout de mes pensées et prend son temps. Ça va faire trente minutes que je poireaute là. Je commence à regarder fréquemment ma montre et il finit par le remarquer. Lorsque je lève les yeux, je croise les siens.
– Seriez-vous pressée ?
– Non monsieur.
Il m'offre un sourire en coin qui n'atteint pas ses yeux. Merde, ça sent le piège.
– Alors vous ne verrez sans doute aucun inconvénient à partager mon dîner avec moi.
Encore ?! Cette fois-ci je ne peux m'empêcher de lâcher un rire moqueur et froid. Ça y est, je suis en colère. Il pense vraiment pouvoir jouer au yoyo avec moi ? Je n'aime pas les hommes bipolaires et il va l'apprendre d'ici peu.
– Pourquoi faire ? Pour que demain vous vous comportiez à nouveau en salo-
Je me rends compte de mon erreur et met la main devant ma bouche pour m'empêcher de dire plus de conneries. Qu'est-ce qu'il m'a pris ? Je vois Jacques froncer sévèrement les sourcils puis jeter sèchement le dernier dossier sur la table basse. Je vais certainement me faire virer et le pire, c'est qu'il aura raison de le faire. Je viens carrément de le traiter de s******d, je viens d'insulter mon chef. D'une voix chevrotante, j'essaie pitoyablement de me rattraper.
– Je suis désolée monsieur Cartier, ce n'est pas ce que-
– Vous trouvez donc que je me suis comporter comme un rustre ce matin ?
– Parce que pour vous ce n'était pas le cas ?
Je me mord la langue. Franchement il faut que je la coupe car elle va me mettre dans un sacré merdier. Par chance, il n'en tient pas compte.
– Savez-vous pourquoi je vous ai proposer de boire avec moi hier Margaux? me questionne-t-il d'un ton calme mais froid.
Je peine à avaler ma salive. Ça sent le calme avant la tempête.
– Pour trinquer à votre divorce ?
– Pas seulement pour cette raison.
– Quoi d'autre alors ?
Je vois sa mâchoire tressauter de... nervosité ?
– Je voulais passer du temps avec vous. Vous connaître plus...intimement.
Je serre fortement mes cuisses en frottant les paumes de mes mains contre le tissu de la jupe de mon tailleur rouge bordeaux, geste qu'il remarque. Je vois des iris s'obscurcir comme s'il se retenait de me faire quelque chose.
– Alors pourquoi avoir été si froid et insipide ce matin ? ne puis-je m'empêcher de demander.
– Parce que votre départ précipité m'a énervé. C'est frustrant de se dire que vous ne vouliez pas passer du temps avec moi.
C'est donc pour ça qu'il m'a fait tout ce cinéma ? On dirait un caprice d'enfant.
– Je voulais passer du temps avec vous, je vous le jure. C'est simplement que...que...
– Que quoi ?
– Monsieur, vous êtes mon patron, les relations amicales ne sont pas permis et-
– Qui a dit que je voulais simplement d'une amitié ?
Mon cœur rate un battement. Cette fois-ci je deviens aussi rouge qu'un coquelicot. Je me recule dans mon siège en le voyant se lever et s'approcher de moi. Je n'ai pas le temps de me poser plus de questions qu'il me force à me mettre debout. Il me tient solidement les bras pour m'empêcher de prendre la poudre d'escampette.
– Je veux bien plus que ça Margaux. Je te veux toi.
– Qu'est-ce que vous faites ?! couiné-je faiblement en le voyant approcher son visage du mien.
– Ce que j'irai dû faire depuis des mois.
L'instant d'après, sa bouche s'écrase sur la mienne avec gourmandise.