Le silence pesait lourd dans la clairière, un silence presque étouffant, où chaque respiration résonnait comme un coup de tonnerre. Mon cœur battait si fort que je croyais que toute la meute pouvait l’entendre, ce martèlement désespéré qui cognait contre ma poitrine comme pour réclamer justice. J’attendais un signe… une parole… une reconnaissance. Un simple geste qui confirmerait ce que la Lune m’avait montré.
Mais il n’y avait rien.
L’Alpha restait immobile, figé dans une posture que je connaissais : celle du chef, inaccessible, insensible, maître de lui-même. Son visage était fermé comme une forteresse dont je ne pouvais franchir les murs. Enfin, il fit un pas vers moi. Mon souffle se coupa, mon âme trembla. C’était le moment. Il allait m’accepter, me nommer Luna devant tous, et mon rêve se réaliserait.
Mais ses yeux ne reflétaient aucune chaleur. Pas même une once de doute ou de trouble. Seulement une froideur qui glaça mon sang.
— Tu te trompes, Elena, dit-il d’une voix dure qui résonna dans la clairière.
Les murmures s’élevèrent aussitôt autour de nous, comme une vague qui se propageait dans le cercle. Ils me frappèrent de toutes parts, ces chuchotements empoisonnés, mi-curieux, mi-moqueurs. Je sentis les regards de ma meute se poser sur moi, lourds, acérés, me perçant la peau comme mille aiguilles.
— N… non… balbutiai-je, incapable de comprendre. La Lune… elle nous a liés, je l’ai senti…
Ma voix trembla, presque inaudible, brisée par la peur et l’incrédulité. Mais il me coupa net, son ton sec et sans appel, tranchant comme une lame.
— Ce n’était rien. Un simple mirage. Tu n’es pas destinée à moi.
Chaque mot s’abattait sur moi comme une sentence. Mon souffle se brisa. Je suffoquais. Comment pouvait-il nier l’évidence ? Le lien était là, brûlant, vibrant dans mes veines, aussi vrai que le sang qui coulait en moi. Mais il le rejetait, publiquement, devant tous.
— Tu ne seras jamais ma Luna, ajouta-t-il d’une voix glaciale.
Un rire étouffé s’éleva quelque part derrière moi, cruel et malveillant. D’autres suivirent, plus timides, comme des échos étouffés. Je baissai la tête, honteuse, incapable de soutenir son regard plus longtemps. Tout en moi se fissurait, s’écroulait. Mon rêve venait de s’effondrer en poussière devant toute ma meute.
Je n’étais plus la future compagne de l’Alpha, l’élue que la Lune avait destinée à ses côtés, la promesse fragile d’un avenir glorieux. En un souffle, ce rêve s’était brisé, et je n’étais plus qu’une ombre au milieu de ma meute, une illusion effacée, une louve marquée non pas par l’honneur, mais par le rejet.
J’étais la risée.
Je cherchai du réconfort dans le regard de mes parents, mais n’y trouvai que le gouffre de ma solitude. Mon père, debout non loin, détourna les yeux, comme s’il ne me reconnaissait plus. Ma mère resta figée, ses lèvres pincées, le visage blême. Aucun ne vint à mon secours. Comme si, en un instant, j’étais devenue une étrangère, une tâche honteuse que l’on devait cacher.
La douleur me serrait la gorge. J’aurais voulu crier que ce n’était pas juste, que la Lune ne mentait jamais, que le lien ne pouvait pas être une illusion. Mais aucun son ne sortit de mes lèvres. Mes larmes brûlaient mes yeux, menaçant de couler, et je luttais de toutes mes forces pour les retenir. Pleurer, ici, devant eux, devant lui, aurait été une autre défaite, une faiblesse supplémentaire que je ne pouvais pas leur offrir.
La meute continuait de murmurer. Certains me fixaient avec pitié, d’autres avec un sourire cruel. J’entendis des voix s’élever, chuchotant des mots que je n’aurais jamais cru entendre un jour à mon sujet. “Faible”… “Illusionnée”… “Ridicule”. Ils ne voyaient pas ma douleur, seulement un spectacle.
Je levai les yeux une dernière fois vers lui, mon Alpha, celui que la Lune m’avait désigné. Je cherchai, désespérément, un éclat de vérité dans son regard, un signe que ses paroles n’étaient qu’un mensonge, une façade. Mais il n’y avait rien. Aucune hésitation. Aucune lutte. Seulement la certitude glaciale d’un homme qui venait de briser mon destin… sans le moindre remords.
Ses yeux étaient durs, implacables. Ce n’était pas seulement un refus : c’était une condamnation.
Et dans ce regard, je compris.
Je n’étais pas rejetée par un homme. J’étais rejetée par mon chef, par le pilier même de ma meute. Ses paroles étaient une sentence gravée dans le marbre. Si l’Alpha ne me reconnaissait pas, alors qui le ferait ? Personne n’oserait défier son jugement. Personne ne viendrait à mon secours.
Le froid me saisit de l’intérieur, plus cruel que la morsure du vent nocturne. Mon corps tremblait, mais pas de peur. De désespoir. Tout ce que j’avais cru, tout ce que j’avais espéré, venait de s’effondrer en un instant.
Sous la lumière froide de la Lune, mon rêve se changea en cauchemar.
Je me sentais étrangère à ma propre chair. Mon cœur battait toujours pour lui, mais ce battement n’était plus qu’une douleur, une plaie béante. Le lien brûlait en moi, mais lui l’avait nié, piétiné. Alors, à quoi servait-il ? Était-ce une erreur ? Une cruauté des astres ? Ou bien une épreuve que je n’avais pas encore les forces de comprendre ?
Je voulus m’enfuir, courir loin de tous ces regards, mais mes jambes refusaient de bouger. J’étais prisonnière de cette clairière, de ce moment, de cette humiliation. Et chaque seconde rallongeait mon supplice.
Je n’étais plus Elena, la jeune louve qui attendait son destin avec espoir.
J’étais Elena, la rejetée.
Et cette marque, je le savais déjà, ne s’effacerait jamais.
Un murmure plus fort que les autres s’éleva dans le cercle. Une voix ironique, tranchante, qui prononça ces mots que je craignais plus que tout :
— Elle n’était pas digne.
Les rires reprirent, plus clairs cette fois. Une vague de honte m’engloutit, me noyant dans son amertume.
La Lune brillait toujours, implacable, indifférente, témoin cruel de ma chute.
Et tandis que je baissai la tête, incapable de soutenir davantage cette humiliation, une seule pensée me traversa l’esprit :
Mon Alpha m’avait rejetée.
Et avec lui, c’était toute ma meute qui venait de le faire.