Le rejet et la chute - Sous la lumière de la Lune
La Lune baignait la clairière de sa lueur argentée. Le vent léger agitait les branches, et les murmures de la forêt semblaient porter une promesse ancienne : chaque louve finit toujours par trouver son âme sœur.
Je levai les yeux vers l’astre brillant et un sourire étira mes lèvres. J’étais impatiente d’y être.
Depuis mon enfance, j’attendais ce moment. Toute ma vie, on m’avait répété qu’un jour, la Lune me guiderait vers l’Alpha qui serait mon compagnon, mon amour, mon protecteur, mon destin.
Mon cœur battait fort dans ma poitrine rien qu’à y penser.
— Bientôt… murmurai-je pour moi-même.
Demain aurait lieu la cérémonie du choix, celle où la Lune révélerait les liens d’âme sœur. Certaines louves attendaient ce moment avec peur, d’autres avec impatience. Moi, je brûlais d’impatience.
Je n’étais pas la plus forte, ni la plus belle, mais je savais que, quelque part, quelqu’un m’était destiné. Un lien sacré, inébranlable, incassable.
Je fermai les yeux un instant et laissai mon esprit vagabonder. Je m’imaginais déjà sentir cette chaleur unique, cette attirance irrésistible, le regard de mon Alpha posé sur moi avec fierté et désir. J’imaginais sa main serrant la mienne, sa voix grave m’appelant “ma Luna”.
Rien que cette pensée me fit frissonner.
Demain, ma vie changerait à jamais.
Demain, je ne serais plus seulement Elena, la fille discrète et effacée de la meute, celle que l’on remarque à peine lors des rassemblements.
Demain, je deviendrais la Luna de mon Alpha, sa compagne, son équilibre, son autre moitié.
Demain, je cesserais d’être une simple ombre pour devenir une lumière à ses côtés, portant la force et la fierté d’un rôle sacré que nul ne pourrait me contester.
Je posai une main sur ma poitrine, comme pour calmer l’excitation qui me consumait. L’impatience me submergeait. J’étais si certaine que mon avenir commencerait bientôt…
Mais au fond de moi, une étrange angoisse se fit sentir. Comme si la Lune me chuchotait un avertissement que je refusais d’entendre.
Et tandis que la brise glaciale traversait la clairière, je jurai d’ignorer ce frisson d’inquiétude.
Car demain… rien ne pouvait briser mon destin.
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Pourtant, la forêt semblait s’assombrir, comme si elle voulait contredire mes pensées. Les ombres des arbres s’allongeaient autour de moi, dansant au rythme du vent. Je connaissais chaque recoin de cette clairière, j’y venais souvent pour réfléchir, mais ce soir, quelque chose avait changé. Une tension flottait dans l’air, invisible, presque imperceptible, mais bien réelle.
Je pris une inspiration profonde, chassant cette impression désagréable. Ce n’était rien, me dis-je. Juste mon imagination qui s’emballait. La veille de la cérémonie, toutes les louves étaient nerveuses, il était normal que mon esprit invente des présages qui n’existaient pas.
Pourtant, mes pensées se perdirent dans un souvenir ancien. Petite, j’avais entendu une vieille histoire chuchotée au coin du feu. On racontait qu’il arrivait parfois que la Lune se trompe, ou plutôt… qu’elle impose un choix cruel. Certaines âmes sœurs ne s’aimaient pas, certaines unions apportaient plus de douleur que de bonheur. Ces histoires, rares mais réelles, étaient devenues des légendes interdites. On nous apprenait à les ignorer, à ne pas leur accorder de valeur. Mais ce soir, elles revenaient frapper à la porte de ma mémoire, et je ne pouvais les chasser.
Je secouai la tête. Non. Ma destinée ne pouvait pas être une tragédie. J’avais attendu trop longtemps pour que la peur vienne ternir cette nuit.
Je m’assis dans l’herbe fraîche, les yeux rivés vers l’astre lumineux. Sa clarté m’enveloppait comme une caresse, apaisant en partie mes doutes. “Guide-moi”, soufflai-je, espérant qu’elle m’entende, qu’elle m’apporte la certitude que j’attendais.
Le silence de la clairière me répondit.
Un craquement soudain dans les fourrés me fit sursauter. Mon cœur s’emballa, mes sens s’aiguisèrent. Instinctivement, mes muscles se tendirent, prête à bondir si nécessaire. Mais la silhouette qui émergea de l’ombre me fit relâcher ma respiration dans un soupir soulagé.
— Elena ? Que fais-tu ici, seule ?
C’était Adrian, le futur bêta de la meute. Ses cheveux bruns tombaient en mèches rebelles sur son front, et ses yeux couleur d’ambre brillaient d’une inquiétude sincère.
Je baissai un instant le regard, gênée d’avoir été surprise dans mes rêveries.
— Je réfléchissais, répondis-je doucement. La cérémonie approche… je n’arrive pas à trouver le sommeil.
Un sourire compréhensif étira ses lèvres. Il s’approcha, s’assit à mes côtés et leva les yeux vers la Lune, comme je le faisais quelques instants plus tôt.
— Tu n’es pas la seule, dit-il après un silence. Toute la meute attend demain avec impatience. Les âmes sœurs… c’est un moment unique. Mais c’est aussi effrayant, parfois.
Je tournai la tête vers lui, surprise par son ton plus grave que d’ordinaire. Adrian n’avait jamais semblé douter de lui.
— Effrayant ? répétai-je.
Il hocha doucement la tête.
— Parce que tu ne sais pas à qui tu seras lié. Et parfois… ce n’est pas ce qu’on espérait.
Ses mots résonnèrent douloureusement dans mon esprit, réveillant mes peurs secrètes. Pourtant, il détourna le regard avant que je puisse chercher à comprendre davantage.
Un silence pesant s’installa entre nous, seulement brisé par le chant des grillons.
Finalement, il se leva et m’offrit sa main pour m’aider à me redresser.
— Rentre, Elena. Tu auras besoin de toute ta force demain.
J’acceptai son aide, le cœur encore plus troublé qu’avant. Ses paroles avaient semé un doute insidieux dans mon esprit, un doute que je n’arrivais pas à chasser, malgré mes efforts.
Sur le chemin du retour, je sentais son regard posé sur moi, protecteur mais aussi… étrange. Comme s’il savait quelque chose que j’ignorais encore.
Lorsque j’atteignis enfin ma cabane, je me retournai une dernière fois. Adrian était resté en retrait, figé dans la lueur lunaire. Et dans son expression, il y avait une intensité que je ne lui avais jamais vue auparavant.
Un frisson parcourut mon échine.
Et je compris alors que, peut-être, mon destin ne serait pas aussi simple que je l’avais rêvé.
Demain, tout allait changer.
Demain, la Lune parlerait.
Et je n’étais plus certaine d’aimer ce qu’elle allait me révéler.